Dans le camp Poilievre, on présente sa visite dans un campement de gens liés à l’extrême droite comme un arrêt impromptu. Chez certains experts, on peine à croire qu’il s’agit d’une nouvelle coïncidence. Pour Justin Trudeau, c’est une autre occasion en or de dépeindre son rival comme un dangereux personnage.

(Ottawa) « Une bonne vieille révolte fiscale »

Le politicien conservateur est débarqué au jour 23 de l’occupation d’un terrain entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, près d’une autoroute reliant les deux provinces, mardi dernier. « J’ai entendu parler de vous aux nouvelles. Nous vous avons aperçus, alors j’ai dit à l’équipe de s’arrêter », dit-il dans une vidéo tournée par une campeuse. « Tout le monde est heureux de ce que vous faites », ajoute le chef de l’opposition, encourageant le groupe à tenir bon dans ce qu’il a qualifié de « bonne vieille révolte canadienne contre les taxes ».

D’autant plus que « tout ce qu’a dit » Justin Trudeau, c’est « de la connerie, du début à la fin », peste Pierre Poilievre avant de se diriger vers une roulotte, en circulant entre les drapeaux « Fuck Trudeau ». Au moment où il monte à bord, on voit sur la porte du véhicule un dessin du drapeau du groupe Diagolon. Le logo – un trait blanc diagonal sur fond noir – est petit. Mais il témoigne de la présence d’adeptes du groupe, dont des traces avaient été trouvées dans une cache d’armes au barrage de Coutts, en Alberta, lors des manifestations du « convoi de la liberté ».

« Un bref arrêt impromptu »

Si Pierre Poilievre a fait « un bref arrêt impromptu » le long du trajet, c’est « en tant que fervent opposant à la taxe carbone punitive de Justin Trudeau », soutient sa porte-parole Marion-Isabeau Ringuette. Il a fallu insister pour savoir si le chef conservateur appuyait Diagolon. « Non », a-t-elle fini par trancher. Il ne s’agissait pas du premier contact entre le chef conservateur et le réseau aux visions néo-fascistes. Durant la course à la direction de Pierre Poilievre, en août 2022, le fondateur de l’organisation, le Néo-Écossais Jeremy MacKenzie, s’était présenté à l’un de ses rassemblements.

Pierre Poilievre l’a désavoué un mois plus tard : Jeremy MacKenzie avait évoqué l’idée de violer sa femme, Anaida. « Il dénonce ces groupes quand il est personnellement visé. Mais ces groupes font subir ça à un tas de personnes : des politiciens, des femmes, des individus racisés », regrette Barbara Perry, directrice du Centre sur la haine, le biais et l’extrémisme de l’Université Ontario Tech, à Oshawa. D’après la Gendarmerie royale du Canada, Diagolon est « une milice accélérationniste », dont les membres croient « qu’une guerre civile ou l’effondrement des gouvernements occidentaux sont inévitables et doivent être accélérés ».

Des hasards remis en question

Grande réinitialisation (Great Reset), boycottage du Forum économique mondial, allergie à l’obligation vaccinale contre la COVID-19 : ces idées foisonnent dans les cercles d’extrême droite et elles ont toutes été promues par Pierre Poilievre. Le Great Reset a d’ailleurs inspiré au conspirationniste américain Alex Jones un ouvrage. Le même Alex Jones qui a récemment donné un enthousiaste sceau d’approbation au politicien canadien : « Je suis ce gars depuis des années, et il est solide [the real deal] ! », a-t-il écrit sur X. Jusqu’à présent, le chef conservateur n’a pas personnellement pris ses distances. « Nous ne suivons pas cet individu et nous n’écoutons pas ce qu’il a à dire », a réitéré sa porte-parole.

« Pierre Poilievre n’est pas aussi radical qu’Alex Jones et Donald Trump, mais il surfe là-dessus », constate Charles-Étienne Beaudry, auteur du livre Radio Trump : Comment il a gagné la première fois. Les Alex Jones canadiens – le chercheur cite RadioPirate, Rebel News et Jordan Peterson – ont un discours « plus ou moins mainstream, mais empreint de complotisme ». Dans le cas de Rebel News, un média qui avait été mis au ban par les anciens chefs conservateurs Andrew Scheer et Erin O’Toole, il est revenu dans les bonnes grâces de Pierre Poilievre, qui admet ses représentants à ses conférences de presse. Quant au professeur polémiste Jordan Peterson, il a reçu le chef Poilievre à sa balado.

M. Beaudry, qui est chargé de cours à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, ne croit pas au caractère inopiné des rencontres entre Pierre Poilievre et la frange de l’électorat susceptible de camper en bordure d’autoroute pour protester contre la taxe sur le carbone. « Il souffle le chaud et le froid parce qu’il ne veut pas se les aliéner », estime-t-il. « Il est fallacieux de parler de hasard. Pierre Poilievre sait ce qu’il fait », abonde Barbara Perry.

Des munitions pour Justin Trudeau

Justin Trudeau sait lui aussi ce qu’il fait. Encore une fois, vendredi dernier, il a mis au défi son adversaire de clarifier ses allégeances. « Voici ce qu’il devrait dire : je rejette catégoriquement l’appui et le soutien de Diagolon et d’Alex Jones. Car Diagolon est une organisation nationaliste blanche violente, et Alex Jones est une ordure de théoricien du complot. » Il y a fort à parier que le premier ministre saisira toutes les occasions qui s’offriront à lui pour parler de ces accointances, alors que sa formation est à la traîne dans les sondages.