Je vous avais promis de vous en dire plus sur Dalila Ben Mbarek Msaddek et sa famille. Cette avocate quinquagénaire fait partie du Comité de défense des prisonniers politiques, une organisation formée en février dernier quand les arrestations ont commencé à se multiplier.

De nombreux opposants politiques ont été arrêtés, y compris… son frère, Jaouhar Ben Mbarek.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

L’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek fait partie du Comité de défense des prisonniers politiques.

Ce professeur de droit constitutionnel estimait que c’est un coup d’État qui s’est produit le 25 juillet 2021. Il avait pris la tête d’un mouvement pour le dénoncer. Il fait maintenant partie, lui aussi, des Tunisiens accusés de complot contre la sécurité de l’État.

« Ma vie a été chamboulée. Je vis un vrai cauchemar », me dit Dalila Ben Mbarek Msaddek, dont le père avait été mis en prison pendant des années sous le régime de Ben Ali.

Pour sa famille, l’histoire bégaie.

On est terrorisés. On ne sait pas qui va être le prochain sur la liste. On ne comprend pas ce qui nous arrive. Tu ne sais pas pourquoi tu vas être arrêté ni pour combien de temps.

Dalila Ben Mbarek Msaddek, avocate

Au beau milieu de l’entrevue, on cogne à la porte. Pendant un moment, je me dis que les autorités vont débarquer. Avant d’ouvrir, elle demande prudemment qui est là. On vient simplement lui livrer un litre de lait !

(Brève parenthèse : l’économie de la Tunisie est dans un piteux état. Le pays est frappé par plusieurs pénuries, du lait à la farine en passant par le café. Pendant mon reportage, même l’essence se faisait rare à Tunis et il y avait de longues files d’attente devant les stations-service.)

Je rencontre Dalila Ben Mbarek Msaddek chez elle à La Marsa, cette banlieue de Tunis qui est aussi une populaire station balnéaire. C’est un dimanche matin et elle porte un survêtement de coton gris et des pantoufles.

Sa tenue est décontractée, mais elle ne l’est pas. Elle grille une après l’autre des cigarettes Marlboro.

PHOTO FETHI BELAID, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation à Tunis, le 26 septembre 2021, pour protester contre les mesures prises en juillet de cette année-là par le président, Kaïs Saïed

L’avocate estime qu’une « bonne centaine de personnes ont été arrêtées ». Et qu’il y a « encore plus de personnes inculpées, mais en liberté, peut-être 250 ou 300 ».

Elle-même a dû comparaître à deux reprises devant un juge d’instruction ces dernières semaines. Entre autres parce qu’elle a discuté publiquement du complot dont on accuse son frère. Le ministère de la Justice a décrété qu’il était interdit d’en parler dans les médias.

« On a l’impression d’être dans une voiture où les freins ne marchent pas, le conducteur roule à 200 km/h et on ne sait pas quand on va tomber dans le vide… Si on n’est pas déjà en train de chuter. »