À la veille de ses 125 ans d’histoire, Desjardins se réveille affaibli après que l’une ou l’autre de ses composantes eut infligé une inacceptable et inexcusable blessure aux Québécoises et Québécois et à leur nation en portant offense à la mémoire des patriotes⁠1. Ce geste incompréhensible de la part d’un bâtisseur de l’histoire du Québec m’invite au débat entourant l’état de son âme.

Actif à différents titres chez Desjardins depuis le début des années 1980, j’ai souvent été confronté à des jugements rapides sur le fait que Desjardins était en train de perdre son âme. J’ai vécu cette période où Claude Béland était aux prises avec ce dilemme malgré ses convictions coopératives et son nationalisme québécois bien assumé. Il l’a surmonté en faisant adopter démocratiquement la grande réforme de Desjardins du début des années 2000 afin de dissiper cette impression et assurer son avenir dans un monde financier en profond changement tout en préservant son âme.

PHOTO TIRÉE DE X

L’affiche installée dans certaines caisses Desjardins soulignant la Journée nationale des patriotes avec un drapeau du Canada

J’ai eu la responsabilité et l’immense privilège de mener à terme la plus grande transformation de Desjardins depuis sa création par Alphonse Desjardins le 6 décembre 1900. Je l’ai entreprise en misant à la fois sur le respect d’un héritage historique qui le plaçait au cœur de l’histoire du Québec et sur un regard réaliste sur l’avenir.

À mon arrivée à la présidence de Desjardins, j’ai proposé d’actualiser le rêve d’Alphonse Desjardins, celui de doter le Mouvement d’un modèle d’affaires qui évacuait toute possibilité de le confondre avec un modèle d’affaires capitaliste dont la logique est de maximiser le rendement à l’actionnaire en protégeant le pouvoir de l’argent.

Nous avons alors privatisé totalement Desjardins afin d’éliminer toute possibilité de confondre l’intérêt des membres avec ceux d’actionnaires qui n’ont aucun souci de protéger son âme.

Nous avons réaffirmé le choix d’évoluer dans une économie de marché avec ses exigences concurrentielles. Sa propriété collective, sa gouvernance démocratique et sa logique de service aux membres ont continué d’imprimer la distinction coopérative dans ses pratiques commerciales.

Identité coopérative et ancrages culturels

Mais où loge donc l’âme de Desjardins ? Elle loge dans son identité coopérative et ses ancrages culturels. Desjardins est reconnu partout dans le monde comme exemplaire dans la façon dont il incarne le respect des valeurs et des principes coopératifs au fondement de cette identité.

Jusqu’à maintenant, son identité coopérative est sauve, mais elle est méconnue. Je reconnais que cette protection est constamment menacée par la fragilité croissante des ancrages culturels du modèle coopératif. Les derniers évènements le rappellent douloureusement.

Malheureusement, les blessures aux ancrages culturels sont difficiles à guérir. Elles risquent de faire oublier le rôle essentiel joué par Desjardins dans l’émancipation économique du Québec depuis bientôt 125 ans.

Elles risquent de faire oublier que Desjardins est devenu une figure de proue mondiale dans la poursuite des efforts à déployer pour faire en sorte que l’identité coopérative se retrouve aux fondements de la reconnaissance du coopératisme comme système économique de rechange au système capitaliste.

La diversité au chapitre des systèmes économiques en démocratie est du même ordre d’idée que celle de la biodiversité invoquée par Hubert Reeves afin d’éviter l’extinction de la condition humaine actuelle.

Desjardins incarne les requis de cette diversité. N’allons pas cependant envoyer aux oubliettes ce malheureux accident de parcours en plaidant que la nouvelle n’en sera plus une demain.

1. Lisez « Desjardins présente ses excuses pour les affiches controversées » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue