Connaissez-vous la différence entre une barre granola et une barre céréalière ?

Selon vous, une barre qui contient une garniture aux fruits est-elle nécessairement une barre aux fruits ? Et comment distinguer une véritable barre aux noix d’une simple barre granola contenant des noix ?

Les réponses à ces questions épineuses – et à bien d’autres que vous ne vous êtes jamais posées – se trouvent sur le site web de l’Agence du revenu du Canada (ARC) dans une section intitulée « GI-020 : tablettes et barres »1. Le document fait pas moins de 11 pages.

En tombant là-dessus, j’ai d’abord cru à une pièce de théâtre qui aurait été coécrite par l’écrivain austro-hongrois Franz Kafka et le maître de l’absurde Eugène Ionesco.

Au-delà de l’anecdote, j’ai choisi de vous en parler parce que l’affaire me semble révélatrice de la bureaucratie qui peut gangrener une fonction publique quand on n’y prend pas garde. Sans compter qu’il peut y avoir des conséquences pour les familles qui peinent à joindre les deux bouts.

« C’est le symptôme d’une organisation qui ajoute et ajoute des couches jusqu’à atteindre un niveau de complexité spectaculaire », commente Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique.

Expliquons l’affaire pour en comprendre les implications.

Si les très sérieux fonctionnaires de l’ARC s’intéressent aux barres tendres, c’est pour savoir si elles devraient être taxées dans les épiceries. Pour résumer, le gouvernement souhaite taxer la malbouffe, mais pas les denrées essentielles. Il veut aussi éviter que les épiceries ne livrent une concurrence déloyale aux cafés et casse-croûte en vendant les mêmes produits qu’eux, mais exempts de taxes.

Ces objectifs sont parfaitement légitimes.

Pour savoir quelles barres doivent être taxées, l’ARC a établi tout un système de classification de la barre tendre qui remplirait d’admiration le regretté botaniste suédois Carl von Linné, le premier à avoir répertorié et classé l’essentiel des espèces vivantes de son époque.

Dans ce système fédéral, la tablette de chocolat et la barre de friandise occupent la même branche. On recense aussi la barre granola, la barre aux fruits, la barre aux noix, la barre céréalière (une famille à laquelle appartient aussi le muffin en barre) ainsi que les barres énergétiques et les barres protéinées.

Vous y apprendrez que la barre granola est taxable. La barre céréalière, elle, ne l’est pas, à moins qu’elle soit vendue dans un emballage contenant moins de six unités.

Comment les distinguer, direz-vous ? Excellente question – d’autant plus que la barre granola et la barre céréalière, nous dit l’ARC, peuvent contenir les mêmes ingrédients. Le truc : si ces ingrédients ont été « transformés au point où ils ont perdu leurs caractéristiques distinctes », il faut parler d’une barre céréalière plutôt que d’une barre granola (quoique la possibilité qu’on ait plutôt affaire à un muffin en barre ne soit pas à exclure).

Pour la barre énergétique ou la barre protéinée, il faut d’abord déterminer si elle peut être considérée comme un substitut de repas ou un supplément nutritif. Si c’est le cas, elle n’est pas taxée – à moins, attention, qu’elle soit vendue dans une machine distributrice.

Sachez aussi que ce n’est pas parce qu’une barre contient des noix qu’il s’agit d’une barre aux noix – idem pour les fruits.

J’arrête ici la torture.

« C’est effectivement difficile de s’y retrouver, la réglementation est complexe. Malgré tout, de façon générale, les détaillants finissent par savoir quoi taxer, notamment en raison du fait que les changements à la loi ont été peu fréquents au cours des dernières années », commente Samuel Bouchard Villeneuve, directeur des affaires publiques de l’Association des détaillants en alimentation du Québec.

Maxime Dorais, codirecteur général de l’Union des consommateurs du Québec, est quant à lui convaincu que le consommateur n’a aucune chance de savoir si un paquet de barres tendres sera taxé lorsqu’il le lance dans son panier.

C’est hypercomplexe, alambiqué au possible, absurde. Au minimum, si on veut conserver le statu quo, il faudrait une étiquette permettant au consommateur de savoir si c’est taxé ou non.

Maxime Dorais, codirecteur général de l’Union des consommateurs du Québec

M. Dorais souligne aussi un effet pervers des règles : le fait que les ménages au budget serré achètent souvent de plus petits formats, qui sont davantage taxés. Certains fabricants ont aussi fait passer de six à cinq le nombre de barres dans leurs boîtes sans en baisser le prix – un phénomène de « réduflation » qui, en plus, expose les consommateurs aux taxes. Ça fait particulièrement mal dans le contexte d’inflation actuel.

Sylvain Thibeault, fiscaliste et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, n’est pas étonné de voir des règles comme celles qui régissent la taxation des barres tendres.

« Un texte de loi est écrit, puis de nouveaux produits arrivent sur le marché. On essaie ensuite de les rentrer dans les règles prévues », explique-t-il.

Chaque fois que quelqu’un trouve un truc pour contourner une loi, il faut s’ajuster, dit-il. D’où des règles de plus en plus complexes.

« C’est ça, la fiscalité ! », lance MThibeault. L’expert convient néanmoins que le cas des barres tendres pourrait sans doute être simplifié. Une suggestion de mon cru : ne pourrait-on pas simplement utiliser le taux de sucre de la barre ?

Marie-Soleil Tremblay, de l’ENAP, souligne qu’il est assez facile de pondre une règle qui permet d’atteindre 80 % d’un objectif. « Souvent, pour aller chercher les 20 % supplémentaires, c’est là qu’il faut s’embarquer dans de la complexité à n’en plus finir », dit-elle.

Par « principe », dit-elle, les organisations seront souvent tentées d’aller jusqu’au bout et de boucher tous les trous. L’experte incite plutôt à voir les coûts de cela en regard des risques de ne pas le faire.

Dans ce cas, on peut parier que la société canadienne tiendrait le coup si un type de barre tendre en venait à échapper aux taxes. Chose certaine, on n’a pas besoin de se compliquer la vie pour des collations.

1. Consultez la section « GI-020 : tablettes et barres » sur le site de l’Agence du revenu du Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue