Récemment, nous avons entendu parler de l’organisme Aide à vivre⁠1, qui cherche à présenter aux gens en fin de vie la possibilité de ne pas recourir à l’aide médicale à mourir, mais d’envisager plutôt d’autres voies. Une rumeur veut que cet organisme ait des liens avec des groupes religieux.

Écartons les considérations religieuses, qui faussent le débat, mais regardons tout de même un autre point de vue.

Il y a plusieurs années, j’ai travaillé à titre de recherchiste et scénariste à une trilogie documentaire animée par Claude Charron, sous le titre Le dernier match de la vie. Cela portait sur la fin de vie des gens admis en soins palliatifs, selon trois points de vue : les soignants, les familles et les mourants eux-mêmes. Ce fut une expérience intense, qui m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur cette ultime étape de la vie et sur le désir des grands malades d’abréger ou non leurs jours.

La première découverte que j’ai faite en parlant à des gens atteints de cancer et dont la mort était imminente, c’est que la notion de « qualité de vie » évolue avec la maladie.

Pour la majorité des gens en bonne santé, même en présence de handicaps, la qualité de vie consiste à pouvoir vivre sans trop de douleur, en étant actif et autonome, en ayant un travail, des loisirs et une vie de famille. Cette définition de ce qu’est la qualité de vie comporte évidemment bien des variantes selon les individus.

Mais après une lutte, plus ou moins longue, contre une maladie incurable, des étapes sont franchies, au cours desquelles sa propre perception de ce qu’est la qualité de vie tend à changer. On devient moins exigeant, à condition, bien sûr, que la douleur soit absente ou supportable.

Rempli de bonheur

Parmi les patients en soins palliatifs qui ont eu la générosité de me faire partager cette ultime expérience, j’ai rencontré un homme dans la cinquantaine qui approchait de la fin, même s’il avait l’air très bien. Le visage rond et rose, le regard vif et très bleu, il me racontait le plaisir qu’il aurait le lendemain de se faire laver les cheveux et de recevoir la visite de sa petite-fille de 2 ans. Cela le remplissait de bonheur. Il n’avait pas besoin de plus, ayant oblitéré ce qu’il ne pouvait plus faire pour se concentrer sur ce qu’il pouvait encore vivre et apprécier. Il est décédé quatre jours plus tard.

La douleur est au cœur du choix de recourir ou non à l’aide médicale à mourir. À force de les côtoyer, j’ai découvert que ceux qui œuvrent en soins palliatifs, un milieu chaleureux et très humain, sont des spécialistes de la douleur. Ils ne craignent pas de recourir à toute une panoplie de moyens pour soulager les souffrances, et ce, avec des résultats étonnants d’efficacité, la plupart du temps.

Le problème fondamental au Québec, dont on ne parle que trop peu quand il est question d’aide médicale à mourir, l’éléphant dans la pièce, c’est que les soins palliatifs ne sont pas offerts à tous ceux qui en auraient besoin.

Quand on n’en peut plus de souffrir, on se tourne naturellement vers l’aide médicale à mourir qui est, en fait, l’aide médicale à ne plus souffrir, exactement comme le suicide chez ceux qui n’en peuvent plus de souffrir de lourdes maladies mentales et qui ne veulent pas mourir, mais faire cesser d’intolérables souffrances.

Qu’en est-il de la maladie d’Alzheimer et de la demande anticipée d’aide médicale à mourir ? Ma mère, une femme instruite et autonome, nous avait toujours dit qu’elle ne voulait pas finir comme sa propre mère, atteinte d’alzheimer et dont la vie s’est réduite à demeurer couchée dans son lit, en position fœtale.

Or, ma mère est éventuellement devenue à son tour vulnérable, diminuée et fragile, à cause d’une série d’AVC, échelonnés sur 40 ans, qui ont provoqué chez elle de la démence vasculaire. Parvenue à 86 ans, incapable de marcher, de lire et privée d’autonomie, elle m’a dit un jour qu’elle en avait assez de tout ça. Je lui ai demandé doucement si elle était en train de me dire qu’elle souhaitait mourir. Elle m’a répondu, spontanément et avec force : « Ben non ! » Alors, que fait-on dans ces cas-là ? On respecte sa volonté à 50 ans ou celle exprimée à près de 87 ans ?

Quant à la pression des familles, elle présente deux facettes. S’il y a des gens qui tentent en effet de dissuader leurs proches de recourir à l’aide médicale à mourir, il y en a d’autres, malheureusement, qui les encouragent, plus ou moins subtilement, à le faire.

J’approuve sans réserve l’offre d’aide médicale à mourir. Mais tant que notre société n’offrira pas aussi des soins palliatifs pour tous, pour une fin de vie sereine, il y aura de terribles dérapages, indignes d’une société dite civilisée.

1. Lisez la lettre « Osons jaser au Québec de l’aide à vivre » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue