L’auteur se demande pourquoi les francophones s’inquiètent tant d’une toute petite diminution de la proportion de Canadiens qui ont le français comme première langue parlée.

En tant qu’anglophone ayant grandi dans les Cantons-de-l’Est, une région fondée par des loyalistes qui s’est énormément francisée au cours du dernier siècle, j’ai souvent l’impression de vivre dans un univers parallèle.

Et quand j’entends certains alarmistes convaincus que le français va disparaître, je me dis que je n’habite pas la même planète.

Tout est dans la manière de voir les choses, I guess.

La petite colonie de la Nouvelle-France s’est établie en 1608, plus ou moins, avec 28 individus. Aujourd’hui, 415 ans plus tard, les francophones dits « de souche » (ou, pour utiliser la version contemporaine de cette expression douteuse, « ceux qui parlent principalement français à la maison ») sont plus de 7,8 millions au Québec et au Canada.

Les francophones descendants de ces premiers colons ont prospéré et se sont implantés un peu partout en Amérique du Nord, de Detroit à La Nouvelle-Orléans, du Grand Lac Salé à Saint-Boniface.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Depuis 2019, plus de 10 millions de Canadiens – le quart de la population du pays – peuvent soutenir une conversation en français, estime Statistique Canada.

Depuis 2019, plus de 10 millions de Canadiens – le quart de notre population de 40 millions – peuvent soutenir une conversation en français. C’est une excellente nouvelle, non ?

La population francophone augmente chaque année. Et le taux de bilinguisme des anglophones aussi. C’est un fait⁠1.

Mais il paraît que le français est toujours en déclin.

Dans les Cantons-de-l’Est, cette belle région fondée et cultivée par mes ancêtres irlandais et écossais, on trouve des municipalités du nom de Dunham, Knowlton, Sutton, Sherbrooke, Lennoxville. À ses débuts, ce territoire de plus de 12 500 km⁠2 était presque entièrement anglophone. Aujourd’hui, 250 ans plus tard, il est habité à 90 % par des francophones.

Ce n’est pas grave. On s’aime bien. On est un beau mélange, et tout est dans un flux continuel, comme disait Rousseau.

Malgré cette croissance historique, dans la psyché collective, le français est encore en recul.

Le recensement de 2021 a déclenché une avalanche d’articles anxieux sur le sujet. C’est là, j’ai l’impression, que toute cette nouvelle poussée nationalo-linguistique est repartie.

Depuis, on se déchire la chemise collectivement. À peu près tous les médias francophones répètent en chœur la même chose, jour après jour : « Le français est en déclin ! » Le débat est clos, apparemment. C’est maintenant de l’hérésie de dire le contraire, ou essayer d’apporter un peu de nuance à cette déclaration.

Alors, je suis allé relire le recensement de 2021. Et là, dans les premiers paragraphes, j’ai lu ceci :

« De 2016 à 2021, le nombre de Canadiens qui parlent français de façon prédominante a augmenté au Québec, en Colombie-Britannique et au Yukon2. »

Ah bon ? Mais malgré cette augmentation de la population francophone au Québec et dans d’autres provinces (la Colombie-Britannique, en plus !), on se concentre toujours sur les éléments négatifs :

« Le français est la première langue parlée d’un nombre croissant de Canadiens, mais la proportion qu’ils représentent a diminué de 2016 (22,2 %) à 2021 (21,4 %). »

OK. Alors toute cette angoisse pour une diminution de 0,8 point de pourcentage au sein de la population canadienne – qui peut s’expliquer par toutes sortes de raisons, comme l’augmentation de l’immigration en Alberta dans une période spécifique, ce qui n’affecte en rien ce qui se passe au Québec, à l’autre bout du pays.

Bien sûr, on ne peut pas nier que la proportion relative de la population francophone dans les autres provinces est en baisse depuis 1901⁠3. Ça aussi, c’est un fait. Mais il y a plusieurs raisons à cela, y compris le fait que l’Alberta et la Saskatchewan se sont jointes à la Confédération en 1905 (largement à grâce aux efforts d’un premier ministre québécois, Wilfrid Laurier), tout comme Terre-Neuve, en 1949.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le « déclin » du français est un prétexte pour prendre des mesures extrêmes et coûteuses comme la loi 96, ou qui vont nuire au financement d’institutions de réputation mondiale, comme l’Université McGill, estime l’auteur de cette lettre.

Quoi qu’il en soit, tout ça est très, très différent d’un « déclin du français » dans le sens général. Et il me semble que c’est très important de le souligner, surtout lorsque ce « déclin » est un prétexte pour prendre des mesures extrêmes et coûteuses comme la loi 96, ou qui vont nuire au financement d’institutions de réputation mondiale, comme l’Université McGill.

Malgré le fait que le français est la première langue parlée d’un nombre croissant de Canadiens et de Québécois, il semble que pour beaucoup de gens, le français sera toujours en déclin.

François Legault et ses ministres ont compris comment instrumentaliser cette peur. Ils appuient sur cet enjeu identitaire et émotif sans aucune nuance, pour motiver leur base électorale et rouvrir les vieilles rancœurs.

C’est déplorable, en 2023. Et nous revoici dans un contexte de tension linguistique accrue. Ça va laisser des séquelles sociales et économiques profondes pour le Québec.

1. Consultez le Portrait des communautés d’expression anglaise du Québec 2. Consultez le rapport de Statistique Canada sur les langues parlées au pays 3. Consultez « L’évolution des populations de langue maternelle au Canada, de 1901 à 2016 » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue