L'arrivée du printemps n'a pas le même sens pour tout le monde. Pour les désespérés qui tentent, à la faveur du temps doux, de rejoindre l'Europe par la Méditerranée, cela signifie encore plus de risques de naufrage, dans des bateaux de fortune plus bondés que jamais.

Dans la seule journée de lundi, on estime que quelque 400 migrants venus de l'Afrique subsaharienne se seraient noyés au large des côtes libyennes. La Garde côtière italienne en a rescapé 140 et retrouvé neuf cadavres, mais selon les témoignages des survivants et d'après la taille du bateau, l'embarcation aurait contenu des centaines de passagers clandestins. Les hommes entassés sur le pont supérieur s'en sont tirés, mais les autres, incluant des femmes et des enfants, ont coulé à pic.

En seulement cinq jours, les sauveteurs italiens ont rescapé 10 000 migrants embarqués sur des bateaux mal entretenus où les passeurs entassent à ras bord des jeunes gens prêts à tout pour atteindre l'eldorado.

La situation empire, aggravée par les conflits du Proche-Orient. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, environ 3500 clandestins sont morts l'an dernier en tentant la traversée de la Méditerranée - 3000 de plus que l'année précédente. Pour les quatre premiers mois de 2015, la funèbre comptabilité (effectuée à partir des témoignages des survivants et des rapports des familles endeuillées) s'établit aux environs de 900... l'an dernier à la même date, on évaluait à 47 le nombre de décès.

La Méditerranée, cette fertile mare nostrum qui a vu naître notre civilisation, devient un tombeau où s'achèvent, dans l'anonymat, de jeunes vies de misère. Il faut s'attendre à voir se reproduire des tragédies comme celles qui se sont produites en 2013 au large de Lampedusa (360 cadavres retrouvés) et au large de Malte (200 morts probablement, dont la majorité n'a pas été retrouvée).

Comme si cela n'était pas déjà assez, le fanatisme religieux s'en mêle. Selon la police italienne, au moins neuf réfugiés chrétiens auraient été récemment jetés par-dessus bord par d'autres Africains - musulmans ceux-là - lorsqu'une bataille à propos de la religion a éclaté sur un bateau en provenance de la Libye.

La Libye est effectivement devenue le pivot de tous les trafics. C'est l'une des conséquences du renversement du régime Kadhafi par les forces occidentales. Le colonel avait établi, de concert avec les Européens, un système de surveillance destiné à empêcher le trafic de migrants vers l'Italie. L'atomisation de la Libye a fait de ce territoire une zone de non-droit où circulent tous les trafics.

Ce sont bien sûr les Italiens qui sont les premiers à subir les contrecoups de cette ignoble traite. Chaque mois, des centaines de migrants aboutissent sur leurs côtes, certains rescapés de justesse de la noyade. Les habitants sont excédés par la présence d'une population marginale, parfois délinquante, qui n'en finit plus d'augmenter et qui draine les ressources sanitaires locales. Une situation politiquement explosive qui a fait dire à un sénateur que le gouvernement Renzi est en train de «déchirer le tissu social de nos villes tout en ouvrant la porte aux terroristes islamistes».

Des tensions analogues se font sentir à tous les points d'entrée de l'Europe, à Athènes envahie par des clandestins venus par l'est, ou à Calais, à la pointe ouest de la Normandie. Là s'entassent des centaines de réfugiés qui attendent n'importe quelle occasion de s'embarquer pour l'Angleterre, où il leur sera plus facile de trouver du travail.

Un film éloquent a d'ailleurs été fait sur le sujet en 2009: Welcome, avec Vincent Lindon dans le rôle d'un maître-nageur qui accepte de donner des cours de natation à un jeune sans-papiers kurde qui veut traverser la Manche à la nage...