Influenceur, Yannick Nézet-Séguin l’est résolument. Par ses choix artistiques, son attitude de leader rassembleur et ses looks qui défient les codes, celui qui est considéré comme l’un des chefs les plus doués de sa génération nous mène à la baguette. Et on ne s’en plaint pas.

Nous sommes en mai. Yannick Nézet-Séguin est au pupitre de l’Orchestre de Philadelphie. Au début du troisième mouvement de la Symphonie no 9 de Bruckner, une sonnerie de téléphone (la seconde en quelques minutes) retentit dans le Verizon Hall. Le sang du maestro ne fait qu’un tour.

Après avoir arrêté les musiciens, il se tourne vers le public et pousse un véritable cri du cœur : « Can we live without the damn phone for just one hour, please ? » (Pouvons-nous vivre sans le fichu téléphone pendant une heure, s’il vous plaît ?)

L’évènement fait rapidement le tour de la planète. Depuis lors, on peut se procurer à la boutique de l’Orchestre de Philadelphie des t-shirts, des sacs fourre-tout et des étuis pour cellulaire affichant la fameuse phrase.

Cette histoire est anecdotique, mais elle en dit long sur l’impact qu’a Yannick Nézet-Séguin par ses prises de position (il a récemment appuyé les musiciens de Philadelphie dans leurs revendications syndicales) et ses orientations artistiques. « Je ne sais pas si je suis un influenceur, mais j’essaie d’apporter une façon de voir les choses de manière positive, m’a-t-il confié de New York. C’est ça, mon but dans la vie : faire voir les choses autrement et avec de l’espoir. »

Avant d’aller plus loin, il a fallu démêler une chose : où s’arrête l’influence et où commence le pouvoir ? La question intéresse vivement Yannick Nézet-Séguin. « Le pouvoir est un mot que j’ai toujours détesté. Dans mon métier, il symbolise souvent quelqu’un qui est au-dessus de la mêlée et qui écrase les autres. »

Le vrai pouvoir est celui qui permet d’inspirer, d’élever et de permettre une vie meilleure aux gens.

Yannick Nézet-Séguin

À la tête de trois institutions, Yannick Nézet-Séguin a de l’influence sur les musiciens, le public et les jeunes chefs à qui il offre des classes de maître. L’influence qui tend à combler les musiciens autour de lui trône au sommet. « Quand ils ont le sentiment d’avoir bien joué et d’avoir apporté de l’émotion au public, je me dis que j’ai bien fait mon travail. »

Mais il reconnaît que les choix artistiques qu’il fait dans le but avoué de faire bouger les choses sont devenus un moteur dans sa vie. « En ce moment, je tente d’influencer le cours de la musique classique avec certaines rectifications historiques, le répertoire et l’accès à l’art. Cette influence-là me rend très heureux, car elle touche la société, pas juste les amateurs de musique. »

Pour celui qui a un « contrat à vie » avec l’Orchestre Métropolitain de Montréal, cela passe par la place qu’il faut donner aux communautés qui se sont « senties exclues trop longtemps » et aux femmes, tant sur le podium que sur les lutrins.

Un maestro sur TikTok

L’influence est souvent accompagnée d’une notoriété. Celle de Yannick Nézet-Séguin est immense dans le monde de la musique classique, mais aussi de plus en plus dans les autres milieux. « Je n’oublie jamais que le message que je souhaite transmettre est que la musique classique peut toucher tout le monde, peut aider à rendre la vie plus belle. »

C’est pour cette raison qu’il a accepté d’aider la comédienne Sophie Desmarais à se glisser dans le rôle d’une cheffe d’orchestre pour les besoins du film Les jours heureux. Ce rôle de coach, il l’a également endossé auprès de Bradley Cooper, avec qui il est à tu et à toi, pour le film Maestro sur la vie de Leonard Bernstein.

Un autre exemple de cette « popularité populaire » se trouve dans une vidéo montrant le chef en compagnie de l’All City High School de Philadelphie qui fait un tabac sur TikTok. Le chef lance les musiciens dans les premières mesures d’une œuvre, mais ceux-ci entament plutôt le Happy Birthday. La vidéo a enregistré à ce jour plus de 2 millions de visionnements.

« J’accueille cette notoriété, car je veux qu’elle rejaillisse sur les musiciens. C’est eux qui font la musique. Moi, je suis un visage là-dessus. Je ne dis pas que je ne travaille pas fort, mais je ne travaille pas plus fort qu’eux. »

Une influence en dehors de la musique

L’influence qu’exerce Yannick Nézet-Séguin est plurielle. Ayant fait le choix de ne pas laisser son homosexualité dans le placard de sa loge, le musicien est conscient que cette transparence peut aider des jeunes de la communauté LGBTQ+ qui ont besoin de modèles provenant de divers milieux.

« Ce qui me motive à en parler aujourd’hui, c’est de voir que dans plusieurs endroits dans le monde, c’est encore un problème. Je reçois des messages de jeunes musiciens qui me disent que ça les inspire. J’espère aussi que cela puisse aider des gens qui n’appartiennent pas au monde de la musique à s’afficher plus ouvertement. »

Sur une note plus futile, j’ai abordé avec lui le sujet de ses tenues vestimentaires qui sont loin des queues-de-pie normalement portées par les chefs d’orchestre. Ce n’est un secret pour personne, Yannick Nézet-Séguin apprécie les vêtements griffés et a pris l’habitude de porter des costumes flamboyants spécialement conçus pour les concerts et les opéras qu’il dirige.

« Mon conjoint, Pierre, est un styliste incroyable. On aime la mode. Je ne fais pas ça pour avoir des abonnés, mais dans l’esprit d’être moi-même. On veut que les gens expriment authentiquement leurs émotions. Pourquoi ils ne le feraient pas à travers leurs vêtements pendant qu’ils font de la musique ? »

Le sujet de la garde-robe de Yannick Nézet-Séguin fait réagir depuis quelques mois. Celui dont la chevelure passe du bleu au blond platine le temps d’un prélude de Bach en est conscient. Et il s’en amuse. « Ça remet en question la conception de ce que devrait être un chef. Si ça dérange certaines personnes, elles ont juste à ne pas me regarder », dit-il en riant.

La discussion a glissé sur le climat causé par des conflits qui semblent insolubles. Dans ce contexte, la présence de modèles positifs semble être capitale.

On a besoin de gens capables de montrer ce qu’il y a de beau dans notre monde. Je ne parle pas de mettre simplement des lunettes roses. Quand on regarde la vraie beauté du monde, on a le courage d’affronter la laideur.

Yanick Nézet-Séguin

Cette beauté du monde, Yannick Nézet-Séguin croit qu’on peut la trouver plus que jamais dans l’art et les artistes. « Il faut des gens qui nous inspirent quand on se lève le matin et qui nous donnent le goût d’offrir la meilleure version de nous-mêmes. »

Qui est Yannick Nézet-Séguin ?

  • Né en 1975 à Montréal
  • Formé notamment au Conservatoire de musique du Québec et à l’Université Rider, au New Jersey, il est nommé directeur artistique et chef principal de l’Orchestre Métropolitain en 2000.
  • De 2008 à 2018, il est à la tête de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. En 2012, il devient directeur musical de l’Orchestre de Philadelphie. En 2018, il succède à James Levine au Metropolitan Opera de New York.
  • Il a remporté trois Grammy : Florence Price avec l’Orchestre de Philadelphie (2022), Fire Shut Up In My Bones avec le MET (2023) et Voice of Nature – The Anthropocene (2023). Il est en lice pour deux autres prix Grammy en vue du gala de février prochain.