À l’aube de la deuxième saison de La Une diffusée à Télé-Québec, les journalistes Fanny Lévesque, Katia Gagnon, Hugo Joncas et Tristan Péloquin, participants à l’émission, vous en dévoilent plus sur leurs reportages ainsi que sur leur expérience. Ils vous invitent dans les coulisses des tournages qui ont eu lieu au courant de l’année 2022 pour mieux comprendre les défis et l’importance du métier de journaliste sur le terrain.

Quels reportages ou enquêtes sur lesquels vous travailliez ont été suivis pendant le tournage ?

Fanny Lévesque : J’ai notamment accepté que l’équipe de tournage de La Une m’accompagne sur le terrain lors du passage du Convoi de la liberté à Québec. Dans le contexte où plusieurs manifestants et sympathisants du convoi remettaient justement en question le travail journalistique, pourquoi ne pas donner accès aux coulisses de la couverture de ce genre d’évènements ? Le public est à même de constater que nous exerçons un travail rigoureux et impartial.

Tristan Péloquin : L’équipe de La Une m’a suivi dans deux enquêtes. La première était au sujet d’un leader anti-mesures sanitaires au passé criminel trouble, qui a joué un rôle important dans la récolte de dons monétaires lors du blocus d’Ottawa par les camionneurs, au début 2022. Après avoir reçu des informations d’une femme qui se disait victime de manœuvres frauduleuses d’une entreprise de construction lui appartenant, j’ai décidé d’aller le confronter sur place, au quartier général des manifestants, dans un stationnement d’hôtel à Ottawa, un milieu plutôt hostile pour les journalistes. C’est le genre d’enquête où tout déboule très vite, et où la tension et le stress montent rapidement.

La deuxième enquête, au sujet des combattants canadiens qui ont décidé d’aller se battre en Ukraine contre la Russie, s’est étalée sur plusieurs semaines. L’équipe de La Une voulait montrer comment les journalistes doivent parfois tisser des relations à long terme avec des personnes qui sont dans le feu de l’action. C’est une enquête qui aborde des questions émotives, mais aussi légales et morales.

Hugo Joncas : Pour ma part, c’étaient deux enquêtes : les liens de l’entreprise de guichets de cryptomonnaies Instacoin avec la mafia et les sociétés coquilles du manipulateur boursier Jean-François Amyot dans les paradis fiscaux, retrouvées dans les Pandora Papers.

Katia Gagnon : L’émission La Une me suit pendant la grande enquête que j’ai menée sur le cas de la jeune Marie-Ève, qu’on désignait dans les articles comme « la petite enfant sauvage ». Le documentariste a choisi de me suivre sur cette enquête puisqu’elle était bouleversante, en plus d’être de très grande envergure. Des milliers de pages de documents, des intervenants à retrouver, de nombreux témoignages à récolter. L’ouvrage s’est étendu sur près de six mois.

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La Une saison 2

Quels ont été les défis lors du tournage par rapport aux démarches de vos reportages ?

F. L. : Alors que tous les yeux sont tournés vers Ottawa, qui est paralysée depuis des semaines, un Convoi de la liberté s’organise au Québec et met le cap vers l’Assemblée nationale. Les inquiétudes sont bien réelles : est-ce que le mouvement aura une ampleur aussi importante que dans la capitale fédérale ? Les autorités policières et la classe politique sont sur les dents. Les troupes sont notamment propulsées par le leader syndical de la Côte-Nord, Bernard Gauthier. On me confie la mission de lui parler. La quête est ardue et la réflexion journalistique autour d’une entrevue est complexe.

T. P. : Dans le cas du convoi, l’hostilité des manifestants à mon égard a immédiatement été un enjeu. Les journalistes de presse écrite ont généralement l’avantage de passer inaperçus parmi la foule. Mais avec une équipe de télé qui nous suit partout, rien ne fonctionne plus normalement. L’équipe de La Une a donc dû utiliser une approche furtive, se cachant et filmant de loin pour éviter de susciter la grogne alors que j’interviewais les gens dans la rue.

Pour l’enquête sur les combattants canadiens partis se battre en Ukraine, le défi était surtout de les convaincre de nous laisser les filmer à des moments familiaux chargés d’émotions, comme à leur départ à l’aéroport. Ensuite, j’ai eu de la difficulté à garder contact avec eux en Ukraine, pour des raisons de sécurité et de logistique. Le documentaire ne le montre pas, mais à deux occasions, j’ai dû faire des séries d’appels téléphoniques jusqu’à tard le soir pour m’assurer que les combattants avec qui j’étais en contact étaient toujours bien en vie. La machine à rumeurs m’annonçait régulièrement leur décès.

H. J. : Les défis n’ont pas été trop importants pour ma part. Le réalisateur et le caméraman s’adaptaient bien aux situations. Le principal enjeu était sans doute d’accepter qu’ils soient là pas loin, parfois en captation, lors de discussions délicates avec des sources, et qu’ils filment certains échanges par courriel qui peuvent s’avérer plus confidentiels.

K. G. : Les défis du tournage ont beaucoup tourné autour de la confidentialité, puisqu’il s’agit d’un cas de DPJ. Ni la fillette ni la mère d’accueil ne devaient être reconnues. Certains intervenants nous ont également parlé sous le sceau du secret : ils pourraient perdre leur emploi si on les reconnaissait. Cela a amené des décisions délicates et des tournages un peu sensibles.

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Pourquoi avez-vous accepté de participer à l’émission ?

T. P. : Je pense que nous avons un devoir de mieux expliquer la démarche journalistique qui appuie chacun de nos textes. Les lecteurs, je crois, apprécient de voir comment nous sommes habités par nos sujets, comment chaque mot publié est pesé pour représenter la réalité que nous décrivons. Ma participation à la première saison de La Une m’en a profondément convaincu. Certains téléspectateurs qui m’en ont parlé m’ont dit qu’ils ne savaient pas à quel point un reportage peut être long et complexe à développer.

H. J. : J’ai accepté, parce que c’est intéressant et d’intérêt public, je pense, de voir comment nous réalisons des enquêtes qui peuvent être complexes, et de démontrer la rigueur avec laquelle on procède.

K. G. : J’ai accepté de participer à La Une pour montrer aux téléspectateurs la difficulté du boulot d’enquête journalistique. Montrer à quel point c’est beaucoup de travail, de vérifications, de sueur, pour produire une enquête. On ne fait pas cela sur un coin de table ! Je crois qu’avec deux saisons de La Une, c’est mission accomplie : plusieurs téléspectateurs m’ont dit à quel point ils trouvaient que notre métier était complexe et demandait une rigueur constante. Je crois que nous avons fait œuvre de sensibilisation.

Selon vous, qu’est-ce que l’émission permet de montrer de plus aux lecteurs sur votre travail de journaliste ?

F. L. : Notre métier demeure encore méconnu du grand public. Après deux ans de pandémie pendant lesquelles notre travail de journaliste a été beaucoup critiqué, je pense que nous avons avantage à ouvrir nos portes. J’estime que la série donne en ce sens un accès privilégié à notre quotidien, aux dilemmes et défis entourant la publication d’un reportage.

H. J. : L’émission permet de montrer les efforts, démarches et vérifications nécessaires à la production d’un reportage d’enquête, dans mon cas. Un travail qui ne paraît pas nécessairement dans toute son ampleur dans le résultat final. Des articles qui, par définition, sont conçus pour être faciles à lire et à comprendre et qui vont souvent à l’essentiel, sans décrire les démarches dans le détail.

- Fanny Lévesque, journaliste et correspondante parlementaire à Québec ; Hugo Joncas, journaliste d’enquête ; Katia Gagnon, grande reporter et Tristan Péloquin, journaliste d’enquête

La saison 2 sera diffusée les jeudis 20 h dès le 23 février sur les ondes de Télé-Québec et sur leur site web !