Avec sa rubrique Derrière la porte, que vous pouvez lire chaque dimanche dans La Presse, la journaliste Silvia Galipeau recueille des témoignages qui visent à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité. Depuis 2015, elle a publié de nombreux articles sous l’enseigne de cette rubrique, dont une sélection fera l’objet de son livre Derrière la porte, 50 récits intimes, sexuels et pluriels disponible en librairie dès le 4 mai prochain. En exclusivité, elle vous parle de ses motivations, de son processus de rédaction, de sa relation avec les lecteurs, et bien plus.

Quelles ont été tes motivations initiales pour lancer cette rubrique ?

C’était en 2015. Toujours à l’affût de nouveaux sujets, j’ai bien vu que nous parlions à l’époque très peu de sexualité dans La Presse, ou alors seulement sporadiquement. Surtout : j’avais l’intuition qu’on en parlait mal. Avec mon collègue Alexandre Vigneault (qui signait au début et en alternance, avec moi), on a cherché à faire les choses autrement. Comment ? En donnant le micro à des quidams, pour raconter la sexualité telle qu’elle est vraiment vécue, loin des stéréotypes, des statistiques, du cinéma ou des normes. Dans toute sa diversité, quoi. On s’est inspiré notamment d’une série lancée par Rue 89 (Nouvel Obs) qui s’intitulait « Vie de baise ».

Comment choisis-tu les sujets ?

J’ai la chance aujourd’hui et depuis quelques années d’être alimentée quasi exclusivement par les lecteurs, qui m’écrivent chaque semaine, généralement en réaction à un témoignage. J’y vais vraiment au flair. Parfois j’aime que les récits se suivent et se répondent, cela donne une vision plus large d’une question : par exemple, une personne trompée témoigne une semaine, puis la semaine suivante, j’ai un ou une infidèle, etc. Quand je sens que ça risque de tourner en rond, ou se répéter, je laisse la voix à quelqu’un d’autre. Souvent selon les disponibilités de chacun, tout simplement. C’est la joie (et le défi) d’une rubrique hebdomadaire : il faut l’alimenter !

Combien de personnes t’écrivent par semaine ou par mois pour partager leur témoignage ?

Cela dépend vraiment du sujet. Et ce qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas du tout les meilleures histoires, au sens journalistique du terme (inusitées, inédites, etc.) qui suscitent le plus de réactions. Mon texte qui a fait le plus réagir à vie, c’est un article que j’ai failli ne pas écrire : l’histoire d’un type célibataire qui se cherchait une blonde. Banal, vous dites ? J’ai été littéralement submergée par les réactions, à la pelle et par dizaines, des semaines de temps. Des filles m’envoyaient leurs photos pour le rencontrer, d’autres types abondaient en son sens, bref, la folie.

Pourquoi est-ce important pour toi de rester loin des statistiques et des normes avec ce projet ?

Mais parce qu’il n’y a pas de norme ! Et c’est ça la beauté de la chose : tout le monde vit sa sexualité différemment, il n’y a pas de moyenne ni de règle. C’est d’ailleurs pourquoi la rubrique roule encore, personne n’a la même histoire, chaque récit est unique. C’est inspirant, mais surtout rassurant, non ?

À travers les années, que remarques-tu de différent dans les sujets abordés ? Comment la rubrique a-t-elle évolué ?

C’est une bonne question, mais en toute humilité, je ne crois pas qu’on puisse tirer de grandes tendances sociales sur huit ans. Il y avait des non-binaires hier, il y en a aujourd’hui, et il y en aura sans doute demain. Peut-être en parle-t-on plus facilement maintenant ? La seule chose qui ait vraiment changé, c’est qu’avec la pandémie, je me suis mise à faire des entrevues en ligne, à la caméra. Avant cela je tenais absolument à rencontrer les gens en personne. Aujourd’hui, je continue de préférer les rencontres en chair et en os, mais quand c’est impossible, distance oblige, j’ose la caméra. Cela a sensiblement agrandi mon échantillon.

La confiance que les lecteurs te témoignent est indéniable. À ton avis, pourquoi ressentent-ils le besoin de se confier et de raconter leurs histoires ?

Plusieurs me disent en entrevue qu’il n’y a personne d’autre à qui ils peuvent se confier. J’ai parfois l’impression de servir de confessionnal. Un genre de confessionnal 2,0, par le biais duquel ce qu’on n’ose pas dire tout haut prend vie par écrit. Ça me fascine à ce jour et je me sens choyée d’accueillir tous ces secrets. C’est aussi un poids, parce que je me sens un devoir de les retranscrire à la hauteur de leur confiance. Ce qui n’est pas peu dire !

Qu’est-ce que ça représente pour toi de pouvoir aujourd’hui sortir un livre avec tes rubriques ?

Une immortalisation de mon travail ! Elle est loin l’époque où je découpais mes articles dans La Presse ! Mais aussi un immense sentiment d’imposture. Ce n’est pas à moi que revient le plus grand mérite, mais à tous ceux qui se sont généreusement et courageusement confiés !

La rubrique Derrière la porte de Silvia Galipeau est publiée tous les dimanches sur nos plateformes. Vous souhaitez partager une histoire avec la journaliste ? Écrivez-lui via notre formulaire !

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