Un homme d’affaires qui possède 153 guichets de cryptomonnaie au Canada entretient des liens d’affaires avec le chef d’un clan discret de la mafia et ses proches.

La société d’Onofrio Simone Santamaria, Instacoin ATM inc., est l’une des plus importantes de l’industrie. Elle annonce sur les autobus de la Société de transport de Montréal et exploite près de 20 % des guichets au Québec. Elle logeait jusqu’à tout récemment dans un immeuble aux vitres teintées de la rue Jarry Est appartenant à la famille de Serafino Oliverio, blessé dans une tentative de meurtre en novembre dernier.

La Presse révélait lundi l’ampleur de l’industrie des guichets de cryptomonnaie. Plusieurs entreprises ont déploré un flou quant aux lois qui les encadrent, d’autant plus qu’elles sont elles-mêmes responsables de rapporter les transactions suspectes aux autorités.

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Instacoin ATM inc. s’affiche notamment sur des panneaux publicitaires accrochés aux autobus de la Société de transport de Montréal.

Oliverio, alias Sergio Lopez, a survécu à une pluie d’une vingtaine de balles près de chez lui dans Rivière-des-Prairies l’automne dernier. Il s’en est sorti avec des blessures à un avant-bras et à une cheville. La police le considère comme un membre de la vieille garde de la mafia montréalaise, impliqué dans l’importation, la distribution et la vente de cocaïne.

Sa femme, Maria Farella, possède le Café Gelato, boulevard Saint-Laurent à Montréal. Mais c’est le propriétaire d’Instacoin, Simone Santamaria, qui dirige l’établissement avec l’un de leurs fils. Selon le registre des entreprises, il est vice-président de la société qui détient le commerce. Les policiers l’ont rencontré pour des manquements répétés aux règles sanitaires liées à la COVID-19 dans l’établissement, selon une décision du tribunal de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ).

En avril dernier, les agents qui ont visité le Café considéraient leur intervention comme une « affaire liée au crime organisé ou gang de rue », selon un rapport présenté à l’organisme.

Les forces de l’ordre ont interpellé sur place Alexandre Boivin et Tomasso James Burcheri, deux individus que la police considère comme des proches de Davide Barberio, patron de la rue pour la mafia, selon les renseignements policiers. Comme Oliverio, ce caïd a survécu à une tentative de meurtre l’automne dernier. Un tireur lui a troué l’abdomen à l’aide d’un pistolet muni d’un silencieux, devant ses enfants, dans son garage à Laval.

En septembre dernier, le tribunal de la RACJ a finalement ordonné la suspension du permis d’alcool du Café Gelato pour ses incartades sanitaires.

Les relations financières de Simone Santamaria avec Oliverio ne se limitent pas à la gestion du commerce familial. En 2016, le caïd, entrepreneur en construction, lui a vendu un condo du boulevard Gouin Est pour 252 000 $, en lui prêtant lui-même une partie de la somme nécessaire à la transaction, selon le registre foncier.

La Presse a pu parler quelques secondes au téléphone avec Simone Santamaria, qui est aussi vice-président de la Société de développement commercial Petite Italie–Marché Jean-Talon. Il s’est d’abord engagé à nous rappeler quelques heures plus tard. Il n’a cependant jamais répondu à nos coups de fil subséquents.

Aucun lien avec Oliverio, dit Instacoin

Instacoin a quitté il y a trois semaines la propriété de la famille de Serafino Oliverio pour s’installer au troisième étage d’un immeuble de la rue de Jaffa à Laval, au bord de l’autoroute 15.

Rencontré à la porte de ses bureaux, le président et chef de la conformité de l’entreprise, Michael Lo Verso, assure qu’Instacoin n’a aucun lien avec le clan mafieux que dirige le caïd. « Nous avions un bail avec lui, et nous avons quitté l’immeuble. Donc je ne vois pas quelle connexion vous tentez de faire. »

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Michael Lo Verso, président et chef de la conformité d’Instacoin ATM inc.

Les liens d’affaires qu’entretient Simone Santamaria n’ont rien à voir avec Instacoin, dit-il. Michael Lo Verso souligne que l’entreprise a les autorisations requises des services de renseignement financier et de Revenu Québec pour exploiter son réseau.

« S’il y avait un problème, pensez-vous qu’ils nous auraient accordé nos permis ? » demande-t-il.

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Instacoin a quitté il y a trois semaines la propriété de la famille de Serafino Oliverio pour s’installer au troisième étage d’un immeuble de la rue de Jaffa à Laval, au bord de l’autoroute 15.

La Loi sur les entreprises de services monétaires prévoit que les dirigeants d’une entreprise exploitant des guichets « doivent avoir de bonnes mœurs ». Pour déterminer si c’est le cas, les autorités doivent tenir compte « des liens qu’entretiennent les personnes ou entités visées […] avec une organisation criminelle ».

Revenu Québec, qui a pris le relais de l’Autorité des marchés financiers dans l’encadrement de l’industrie des guichets automatiques en septembre dernier, n’a pas voulu « confirmer ou infirmer » si une enquête était en cours au sujet d’une entreprise de cryptomonnaies sous sa supervision.

Réseau à vendre

Après avoir développé le réseau d’Instacoin, Simone Santamaria est à la recherche d’un acheteur pour ses actions, affirme Michael Lo Verso.

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Onofrio Simone Santamaria, propriétaire d’Instacoin ATM inc., gère un café appartenant à la femme d’un chef de clan de la mafia.

« Il conserve ses parts jusqu’à ce qu’un investisseur présente une offre convenable et avantageuse », selon un courriel qu’il a fait parvenir à La Presse après notre rencontre.

Simone Santamaria a créé Instacoin ATM en 2015 pour « vendre et distribuer » la technologie d’une autre entreprise, Logiciels Chainlogic inc.

Cette société montréalaise a fait breveter son système et la marque de commerce Instacoin en 2016, selon des documents d’Industrie Canada.

Chainlogic a elle-même financé la transaction. L’entreprise a pris une garantie de 250 000 $ sur les actifs d’Instacoin ATM et du holding de Simone Santamaria, selon les documents publics.

Le prêt aurait permis aux propriétaires de Chainlogic, Jonathan Valicenti et Carlo Pansera, d’acquérir des « parts préférentielles » d’Instacoin ATM, selon Michael Lo Verso. La Presse a voulu savoir si ça signifiait qu’ils étaient aussi actionnaires de l’entreprise, mais nous n’avons pas obtenu de réponse. Leurs noms n’apparaissent pas au registre des entreprises.

Encadrement flou pour 270 guichets

Plus de 270 guichets de cryptomonnaie ont fait leur apparition ces dernières années au Québec, selon le site Coin ATM Radar. La multiplication de ces machines soulève des inquiétudes ici comme ailleurs en raison de la facilité avec laquelle des criminels pourraient les utiliser pour blanchir de l’argent. La Drug Enforcement Agency américaine a publié une mise en garde à cet effet en 2021, tout comme la police de Vancouver, en 2019.

Revenu Québec et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) – les organismes responsables d’encadrer ces guichets selon la loi – ignorent le nombre réel de machines en activité dans la province, révèle une enquête de La Presse publiée lundi.

Le fisc semble par ailleurs en savoir assez peu sur les propriétaires des entreprises qui exploitent des guichets de cryptos. Le registre public des entreprises de services monétaires que tient Revenu Québec « ne contient pas le nom des propriétaires et/ou des opérateurs de ces guichets », a indiqué un porte-parole par courriel.

Une tournée de La Presse dans le Grand Montréal a permis de constater que les guichets d’Instacoin se trouvent dans des lieux variés, comme un motel à bas prix en bordure d’une autoroute sur la Rive-Sud, une buanderie dans un petit centre commercial de Laval et de nombreux dépanneurs. Au moins huit sociétés de guichets se font concurrence dans la Grand Montréal.

Avec la collaboration de Maxime Bergeron et de Daniel Renaud, La Presse

Si vous avez de l’information d’intérêt public sur les sociétés de cryptomonnaies au Québec, contactez notre journaliste à hjoncas@protonmail.com ou au 438 396-5546 (téléphone, Signal).

Qui est Serafino Oliverio, alias Sergio Lopez ?

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Serafino Oliverio, alias Sergio Lopez

  • 70 ans
  • Il a survécu à une tentative de meurtre près de chez lui en novembre dernier.
  • À l’époque de l’opération Colisée contre la mafia montréalaise, la Gendarmerie royale du Canada a observé ses conversations avec plusieurs lieutenants de la mafia montréalaise.
  • Son clan était déjà actif à l’époque où la pègre italienne était dirigée par les Calabrais, mais comme d’autres, il s’est rallié aux Siciliens lorsqu’ils ont pris le pouvoir vers le milieu des années 1980.
  • En 2018, son entreprise Développement Olicon et lui ont écopé d’une amende de 75 000 $ pour fraude fiscale.
  • Quand il a voulu renouveler la licence de son entreprise de construction, Serafino Oliverio a menti à la Régie du bâtiment du Québec en déclarant n’avoir jamais fait l’objet de condamnations pour des infractions aux lois fiscales.