(Québec) Le Parti québécois (PQ) s’est bien tiré d’affaire en transformant la controverse sur le flirt caquiste de son candidat dans Jean-Talon en attaque contre l’honnêteté du gouvernement au sujet du troisième lien. Pourquoi courir le risque de briser cet élan ?

C’est ainsi que, d’un point de vue tactique, il n’y a rien d’étonnant à ce que le chef Paul St-Pierre Plamondon ait décidé de reporter à après l’élection partielle la présentation de son budget de l’an 1 d’un Québec souverain.

La lutte est serrée dans Jean-Talon. Le PQ cherche par tous les moyens à ce que la question de l’urne porte sur l’intégrité de la Coalition avenir Québec (CAQ). Il veut fédérer les mécontents et attirer la sympathie dans une circonscription qui n’a jamais envoyé un péquiste à l’Assemblée nationale. Le moment serait plutôt mal choisi pour parler des revenus et des dépenses de l’État québécois après une éventuelle victoire du Oui lors d’un hypothétique référendum pour lequel la population n’a pas d’appétit.

La raison électorale l’emporte sur la volonté de faire de la pédagogie financière sur la souveraineté au nom, comme l’a déjà dit M. Plamondon, de la « transparence » et de « l’authenticité ».

Le document est prêt depuis un bon moment déjà – le parti avait même réservé une salle pour une conférence de presse au début de septembre –, mais il sera rendu public le 23 octobre seulement. L’opération a été reportée plusieurs fois : le chef avait promis un dépôt en juin 2022, puis lors des élections générales de l’automne, ensuite le 11 mars…

Jeudi, Paul St-Pierre Plamondon a reconnu que ce document risquait de « faire diversion » pendant l’élection partielle. « Je passerais mon temps à parler d’un autre sujet que ce que les gens de la circonscription de Jean-Talon ont comme préoccupations. »

Lors de la campagne électorale de 2022, il avait renoncé à présenter son budget de l’an 1 en disant que le parti n’avait pas eu le temps d’« ajuster les calculs » pour tenir compte de l’inflation galopante. Il y a fort à parier qu’il avait aussi en tête le risque de diversion.

« Je suis en cr… »

L’histoire tend à lui donner raison. Dans un passage savoureux de sa biographie de Jacques Parizeau, Pierre Duchesne raconte comment le tout premier budget de l’an 1 s’était retourné contre le PQ.

À l’été 1973, en voyage au Mexique, Jacques Parizeau reçoit un coup de fil : Louis Bernard lui annonce que la direction du parti prépare un budget de l’an 1 d’un Québec souverain, qu’il doit participer à l’exercice et que le document sera présenté lors de la campagne électorale de l’automne.

« Quoi ! », s’insurge Jacques Parizeau, placé devant un fait accompli. Il résume crûment son état d’esprit au biographe : « Je suis en cr… »

« En bon soldat », comme le raconte Pierre Duchesne, Parizeau présente le document en pleine campagne. On parle d’un budget à l’équilibre, de dépenses de 12,5 milliards de dollars et de revenus de 11,6 milliards. On prévoit une armée québécoise de 8000 hommes et un dollar québécois si une union monétaire s’avère impossible avec le Canada.

Dans un débat électoral, le libéral Raymond Garneau déstabilise Jacques Parizeau au sujet de son budget et l’entraîne dans un échange complexe sur le « taux d’élasticité ». Robert Bourassa est ravi. L’affaire devient un moment fort de la campagne.

Après la défaite électorale, Jacques Parizeau essuie de nombreuses critiques à l’interne au sujet du budget de l’an 1. Il remet sa démission comme membre du Conseil exécutif du PQ…

Le PQ a relancé l’initiative dans une certaine mesure – et sans grand succès encore – avec les études du Secrétariat à la restructuration avant le référendum de 1995.

Mais c’est François Legault qui a produit le plus complet et le plus récent budget de l’an 1, en 2005. Bernard Landry était réticent au départ, mais des sondages très favorables pour lui et son option en ce mi-mandat libéral l’ont convaincu d’aller de l’avant.

Si, aujourd’hui, Paul St-Pierre Plamondon dépoussière les « Finances d’un Québec souverain » de François Legault, c’est aussi un peu, disons-le, pour tenter de mettre le premier ministre dans l’embarras avec son passé souverainiste…

« C’est Alice au pays des merveilles ! »

Dans son document, François Legault concluait qu’un Québec souverain ferait des surplus chaque année, pour un total de 17 milliards en cinq ans.

Aujourd’hui, le premier ministre caquiste reconnaît, comme Jean Charest l’a déjà fait, qu’un Québec souverain serait « viable » financièrement, en raison de « notre niveau de richesse [qui] est relativement élevé si on se compare avec les autres pays dans le monde ».

Ce serait toutefois « un gros défi financier », disait-il en campagne électorale il y a un an. Il soulignait que la péréquation que reçoit le Québec était passée de 4 à 13 milliards de dollars par an depuis 2004.

Le printemps dernier, François Legault piaffait d’impatience à l’approche de la présentation du budget de l’an 1. « Les chiffres sont très clairs, on reçoit 10 milliards de plus que ce qu’on envoie à Ottawa. Donc, j’ai hâte de voir comment il va proposer de boucher ce trou de 10 milliards ! », lançait-il au Salon bleu.

Mieux que quiconque, il sait que le budget de l’an 1 est susceptible de servir de munition aux adversaires du PQ. Et on peut s’attendre à ce qu’il reprenne les attaques que lui avaient servies les libéraux en 2005. « C’est un budget-fiction », avait pesté Jean Charest. Son ministre des Finances, Michel Audet, avait parlé d’une « opération jovialiste qui trompe la population ». Plus encore : « C’est Alice au pays des merveilles ! » Michel Audet avait déjà joué dans le film : il avait conseillé Raymond Garneau en 1973 dans la préparation du débat contre Jacques Parizeau !

Trudeau-Legault et le « problème structurel »

Le budget de l’an 1 pourrait néanmoins remettre à l’avant-scène un enjeu financier important que François Legault soulevait lui-même tout récemment.

C’était en début d’année, après l’échec dans ses négociations avec Ottawa sur les transferts en santé ; les provinces ont obtenu le sixième de ce qu’elles demandaient.

François Legault avait réagi en disant que, « de toute évidence, il y a un déséquilibre fiscal » par rapport à Ottawa. « Ça n’a pas de bon sens », disait-il, que le fédéral touche près de la moitié des impôts payés par les Québécois et ne finance qu’environ le quart des dépenses en santé. C’est, à ses yeux, un « problème structurel ». Et pour le régler, « il faut trouver un moyen de sensibiliser la population pour mettre de la pression politique sur le fédéral ». Il prenait soin d’ajouter que le fédéralisme demeure « avantageux » ; il ne fallait pas pousser le bouchon.

Mais comme dans le dossier des pouvoirs en immigration, François Legault a baissé le ton depuis. Sa colère contre Justin Trudeau s’est estompée.

« Je pense qu’actuellement, nos relations n’ont jamais été aussi bonnes ! », a-t-il affirmé, la semaine dernière, à l’émission de radio La journée (est encore jeune) de Radio-Canada. C’est surtout en raison des annonces économiques communes faites par les deux gouvernements dernièrement.

Attendez-vous d’ailleurs à voir les deux hommes sur la même tribune pour l’annonce attendue, vers la fin de septembre, du plus gros investissement privé de l’histoire du Québec, le projet de 7 milliards de dollars du cellulier suédois Northvolt dont La Presse a traité dernièrement. Pour la filière batterie, le courant passe !

Et tout cela fait diversion au « problème structurel » dans la fédération.