Tranquillement, au rythme des subventions, le P’tit train du Nord délaisse la poussière de roche pour l’asphalte. Le sentier multifonctionnel est déjà asphalté sur 67 % de sa longueur, un pourcentage qui ira en grandissant au fil des années. Des usagers déplorent cette politique au nom de l’environnement, mais aussi, et surtout, au nom d’un certain rythme de vie, d’une certaine atmosphère.

« Pour moi, les secteurs non asphaltés sont plus bucoliques, plus naturels, affirme Benoît Simard, propriétaire d’Espresso Sports, une boutique de vélo située à côté du P’tit train du Nord, à Sainte-Adèle. Ça nous fait penser qu’on est moins en ville. »

Sans vouloir monter aux barricades, le DMarc Gosselin, président de SiriusMedx, un organisme spécialisé notamment dans la formation en secourisme en régions éloignées, exprime la même opinion.

Pendant une bonne section, on longe la rivière du Nord, évoque-t-il. Il y a une sensation de calme, on dirait que le petit gravier ralentit juste assez les gens pour qu’ils prennent le temps d’observer, le temps de vivre. On le voit dès qu’on arrive à la section asphaltée de Mont-Tremblant : tout va plus vite.

Marjorie Valiquette, qui était candidate pour le Parti vert aux dernières élections fédérales dans la circonscription d’Argenteuil-La Petite-Nation, craint notamment les vélos de route.

« Ça va à des vitesses incroyables, lance-t-elle. Je prévois plus d’achalandage, plus d’accidents, plus de gravité d’accidents. »

Elle note que la poussière de roche est plus douce pour les genoux des coureurs. Elle s’interroge également sur l’aspect environnemental de l’asphaltage.

« On parle beaucoup d’îlots de chaleur. Ici, on ajoute une ligne de chaleur de quoi, trois à quatre mètres de large ? On n’a pas besoin de réchauffer davantage la planète. »

Pour Caroline Brunet, ancienne championne de canoë-kayak et résidante de Sainte-Anne-des-Lacs, il s’agit carrément d’un pas en arrière.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le P’tit train du Nord traverse différentes localités, comme Sainte-Adèle.

Le directeur général du Parc linéaire P’tit train du Nord, Jean Sébastien Thibault, avoue qu’il s’est lui-même longtemps opposé à l’asphaltage.

« On m’a convaincu à force de me prouver que c’était bénéfique pour un plus grand nombre de personnes », indique-t-il.

Il a notamment conclu que la poussière de roche (ou criblage) n’était pas plus écologique que l’asphalte.

« Ce sont des milliers de tonnes de poussière de roche qui se retrouvent dans les lacs et les rivières », affirme-t-il.

Il explique qu’à la longue, la poussière de roche favorise l’érosion des sentiers. Il faut réparer le tout à intervalles réguliers. Or, la production et le transport de la poussière de roche sont problématiques d’un point de vue environnemental. Au printemps 2017, par exemple, il a fallu 90 voyages de camion pour étaler 1400 tonnes de poussière de roche entre Saint-Jérôme et Saint-Faustin.

M. Thibault indique que dans le passé, des milliers d’usagers ont réclamé l’asphaltage du P’tit train du Nord, notamment parce qu’en période de sécheresse, la poussière de roche reste suspendue dans les airs et rend la respiration moins plaisante.

En outre, au printemps et à l’automne, la poussière de roche se transforme en boue, ce qui nécessite la fermeture du sentier.

Avec l’asphalte, ce n’est jamais fermé. Au printemps, on fait du ski de fond et une semaine plus tard, c’est du vélo. On gagne de trois à cinq semaines par année.

Jean Sébastien Thibault, directeur général du Parc linéaire P’tit train du Nord

Lorsqu’on lui parle d’îlot de chaleur, il rappelle que le Parc linéaire protège des milliers d’hectares de forêts.

« Ce qui est plus problématique, c’est l’étalement urbain », soutient-il.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le P’tit train du Nord, près de Lafontaine

Il ajoute qu’en raison de son caractère longitudinal, les tronçons asphaltés ne constituent pas vraiment d’îlots de chaleur.

Il ajoute que l’asphaltage de tronçons supplémentaires permettra de désengorger des secteurs actuellement plus achalandés.

M. Thibault fait valoir que l’asphaltage permet d’accommoder un plus grand nombre d’usagers. En fait, selon certaines données, l’asphaltage augmenterait l’achalandage de 30 à 40 %. Et ceux qui s’ajoutent sont souvent des gens du coin, moins mobiles. Évidemment, ça peut constituer un problème pour les cyclistes aguerris qui doivent négocier un chemin entre les fauteuils roulants et les quadriporteurs.

« Je sais que c’est dérangeant, mais il y a quelque chose de beau là-dedans. »

Il rappelle que le P’tit train du Nord est une infrastructure de transport actif qui appartient à tous les Québécois, pas uniquement aux riverains.

« J’habite à côté, moi aussi j’aimerais garder ça pour moi tout seul, souligne-t-il. S’il y a beaucoup de monde là-dessus, c’est tant mieux. Au moins, ils ne sont pas au centre [commercial]. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Une portion du P’tit train du Nord, près de Val-David

Benoît Simard reconnaît qu’il y a plusieurs facettes au débat.

« Je suis pour que les gens fassent plus de sport, qu’ils soient plus actifs, ça fait partie de mes valeurs », assure-t-il.

Il ajoute que la poussière de roche est effectivement salissante.

« Nous louons des vélos. Ça nous prend de la main-d’œuvre pour les maintenir en bon état, pour les nettoyer. »

Il suggérerait de garder quand même certaines sections non asphaltées, les plus pittoresques, comme la section entre Sainte-Adèle et Val-Morin.

Pour sa part, Marjorie Valiquette suggère d’élargir et d’asphalter les accotements des petites routes de la région afin d’y attirer les cyclistes amateurs de vitesse.

Jean Sébastien Thibault ne veut pas mettre en cause les mythiques cyclistes-en-lycra-sur-un-vélo-de-route. Il affirme qu’à l’heure actuelle, ce sont surtout les vélos à assistance électrique qui sont préoccupants. Ces cyclistes, souvent des aînés, roulent beaucoup trop vite.

« Ce n’est pas une question de revêtement, c’est une question de comportement », lance-t-il.