Il suffit parfois d’une journée, d’un regard dans la glace, d’une pensée qui nous traverse l’esprit. « Le 6 janvier 2020, quand j’ai pesé 315 lb, je me suis regardée dans le miroir. On dirait que tout s’alignait. Je me disais : “Là, il est temps que tu te réveilles. Ce n’est pas beau, ce qui se passe.” »

À l’écran, Vanessa Lepage-Joanisse prend le temps de tout nous raconter. De ce revers cruel en Championnat du monde en 2017, où son rêve s’est écroulé, à la commotion cérébrale et l’accident de la route qui l’ont forcée à prendre une pause de la boxe, en passant par sa dépression, puis sa spectaculaire remise en forme…

Une histoire qui, on le sait, se termine bien, mais dont le récit permet de comprendre, autant que faire se peut, tout le chemin parcouru par la pugiliste avant qu’elle soulève sa ceinture de championne du monde des poids lourds du WBC au bout de ses bras, le 7 mars.

Retour dans le temps.

En août 2017, Lepage-Joanisse s’est inclinée par K.-O. technique dans un combat de Championnat du monde devant la Mexicaine Alejandra Jimenez, plus tard reconnue coupable de dopage. À l’époque, ce duel était comme « une bouée de sauvetage » pour Lepage-Joanisse, qui composait avec une rupture amoureuse et des soucis financiers. C’était son moyen de fuir son quotidien.

La défaite, en trois rounds, a été douloureuse.

Dans ma tête, je me disais : ce n’est pas grave, on relève le défi au prochain. Mais je cachais à mon coach, quand je suis revenue au gym, que je devais me claquer des Advil tous les soirs parce que j’avais des gros maux de tête.

Vanessa Lepage-Joanisse

Quand son entraîneur, Stéphane Joanisse, l’a découvert, il a fait ce que tout bon entraîneur ferait : prioriser la santé de son athlète. « Au départ, j’étais vraiment fâchée parce que j’essayais de me convaincre que tout était beau, dit-elle. Finalement, j’ai réalisé que c’était beaucoup plus grave que ça. »

Quelques mois de repos plus tard, Lepage-Joanisse a enfilé des gants de boxe à nouveau. Elle était de retour depuis deux ou trois semaines quand une voiture a percuté la sienne de plein fouet. « La femme qui est rentrée en arrière dans ma voiture n’a jamais arrêté. Deux fois, ma tête a cogné contre le volant. Mes nerfs ont vraiment été affectés au niveau de mon bras. »

A suivi un arrêt de boxe et de travail, pour celle qui faisait alors de la massothérapie. Pour une triple championne canadienne habituée à l’encadrement, tant physique qu’alimentaire, la solitude n’a pas été facile. En fait, ç’a été terrible. Lepage-Joanisse a perdu tous ses repères.

« Du jour au lendemain, je suis prise chez nous, je ne peux plus rien faire. Mon cercle d’amis que j’avais, c’était à propos de ma boxe. Je n’avais plus personne. J’ai vraiment mangé mes émotions. Je suis montée jusqu’à 315 lb [environ 143 kg]. Ç’a été intense. »

La deuxième chance

Ce qui nous ramène au 6 janvier 2020, date où elle a décidé que c’en était assez.

« Une chance que j’avais un passé d’athlète, explique la sympathique femme. Je n’étais pas perdue comme quelqu’un qui décide de faire une perte de poids et qui ne sait pas où aller. Ça m’a aidée pour me donner une bonne base. »

Au départ, c’était seulement une question personnelle, pour perdre du poids. J’allais au gym à 4 h du matin pour que le monde ne me reconnaisse pas parce que je ne voulais pas que les gens se disent : “eh boy, elle a été championne canadienne trois fois et elle est rendue là”. J’avais vraiment honte.

Vanessa Lepage-Joanisse

La résidante de Mont-Laurier n’a jamais lâché. L’arrivée d’un nouveau coloc, passionné d’entraînement et d’alimentation saine, l’a aidée à maintenir le cap. « Il m’a super motivée », raconte-t-elle.

Trois mois plus tard, elle avait perdu 50 lb.

Deux ans plus tard, le pèse-personne affichait 220 lb (un peu moins de 100 kg). Tout ça, pendant des années pandémiques. Imaginez.

« C’est une question de priorité. […] Moi, c’est noir ou c’est blanc. C’est toute ou pas pantoute. »

En 2022, après discussion avec son conjoint, Lepage-Joanisse a décidé de recontacter son entraîneur. « Sa réponse a été sans hésitation : oui. »

L’entraîneur Stéphane Joanisse, qui n’a, soit dit en passant, aucun lien de parenté avec elle, a tenté de lui trouver des combats, sans succès. C’est en assistant à des galas d’Alexandre Gaumont, un boxeur de Gatineau qui s’était entendu avec Eye of the Tiger Management, que son entraîneur a convaincu Camille Estephan, président de la boîte de promotion, de lui offrir un contrat.

« J’ai reçu une tuque d’Eye of the Tiger, se souvient-elle en souriant. Je me la suis mise sur la tête, je braillais. Moi, il y a une équipe dans la vie que je souhaitais et c’était eux autres. […] C’est comme si tu te faisais approcher par le Canadien de Montréal. »

Deux rêves

Le contrat a été annoncé le 1er mars 2023. Un an et quatre combats plus tard, le 7 mars, elle a vaincu l’Argentine Abril Vidal pour décrocher le titre vacant de championne du monde des poids lourds du WBC.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Abril Vidal et Vanessa Lepage-Joanisse, durant leur duel du 7 mars

Voilà. C’est cela, l’histoire de Vanessa Lepage-Joanisse.

Cette ceinture-là, ç’a été très significatif. Ce n’était pas juste de devenir championne du monde, mais de prouver au monde que des deuxièmes chances, ça existe. On est capables de se retrousser les manches et de foncer. Là, je l’ai, [la ceinture].

Vanessa Lepage-Joanisse

Au moment de notre entretien, le 21 mars, exactement deux semaines se sont écoulées depuis sa victoire par décision partagée. Son visage n’affiche plus aucune trace des coups reçus. Elle a recommencé à travailler comme éducatrice à la petite enfance, à Mont-Laurier. Et les fins de semaine, elle prend part à des tournois de bowling avec son conjoint.

La vie normale, quoi.

Sauf qu’elle a maintenant un nouveau titre. Celui de championne du monde… même si elle a du mal « à le prendre ». « Il faut que je le prenne parce que ça me revient, mais j’ai vraiment de la misère. Je trouve ça gros comme mot. »

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Vanessa Lepage-Joanisse, au moment de soulever la couronne du WBC, le 7 mars

« Je suis quelqu’un qui est très terre à terre dans la vie. Le monde, parfois, me dit : “combien ça coûte pour un autographe ?” Je suis comme : “ça ne coûte rien ! Venez en prendre, des photos !” »

Lepage-Joanisse veut maintenant défendre son titre. Elle aimerait peut-être unifier les ceintures. Et continuer de mettre la boxe féminine de l’avant avec les Mary Spencer, Kim Clavel et Marie-Pier Houle de ce monde.

Mais elle veut aussi des enfants. À 28 ans, c’est son « deuxième rêve ». Elle se donne environ un an et demi, peut-être plus, peut-être moins.

« On va aller au sommet de ce que je peux pour le laps de temps qu’il me reste parce que je veux donner tout ce que je peux pour ce sport-là dans le laps de temps que j’ai. »

Pour l’instant, elle prend le temps de savourer « un rêve enfin réalisé ». « Je souhaite à tout le monde de mettre tout en priorité pour réaliser ton rêve parce que quand ça arrive, c’est le plus beau jour de ta vie. »

Un combat revanche ?

L’Argentine Abril Vidal, que Lepage-Joanisse a vaincue le 7 mars, a fait appel de la décision partagée dans les jours qui ont suivi le combat. Le résultat du duel ne peut pas être modifié, mais la décision du WBC pourrait forcer un combat revanche entre les deux pugilistes. « Je m’attendais à ça, dit la Québécoise à ce sujet. […] C’est sûr que c’était serré, je suis 100 % d’accord là-dessus. On était proches, mais je pense en avoir assez fait à la fin pour remporter la ceinture. On l’a revisionné, mes entraîneurs et moi, et le combat me revient. Je le méritais. Est-ce que c’est de là à qualifier ça comme un vol ? Je trouve ça un peu exagéré. » Lepage-Joanisse et son équipe sont donc en attente de la suite des choses. « On ne dit pas non, mais c’est sûr que ça ne me ferait pas tant avancer non plus, ce combat revanche-là. Ce n’est pas dans les objectifs qu’on avait, mais si je n’ai pas le choix, on va y retourner. »

Qui est Vanessa Lepage-Joanisse ?

  • Âge : 28 ans
  • Résidence : Mont-Laurier
  • Fiche : 7 victoires (2 par K.-O.) et 1 défaite
  • Catégorie : poids lourds
  • Débuts professionnels : 19 mars 2016