Pour Artur Beterbiev, l’équation est simple : il détient trois ceintures de champion mondial des mi-lourds et il veut la quatrième. Le boxeur québécois n’en a jamais été si proche, lundi, à Londres.

L’objet de cuir noir, serti de plaques dorées, trônait sur une table de conférence de presse à proximité de son propriétaire, Dmitri Bivol. L’animateur de ladite conférence, Dev Sahni, a demandé à Beterbiev, assis de l’autre côté, ce que ça lui faisait de la voir en vrai après toutes ces années de convoitise.

« Je vois une autre ceinture », a évacué le boxeur montréalais dans ce qui pourrait s’apparenter à de l’humour pince-sans-rire, mais avec lui, allez donc savoir.

L’animateur a d’ailleurs répliqué, dans un rire inconfortable : « Merci Artur… qui est en train de me terroriser ! »

Mais encore, voit-il en l’invaincu Bivol (22-0, 11 K.-O.), champion de la World Boxing Association (WBA), seulement un adversaire comme un « autre » ?

« Comme vous dites, je collectionne des ceintures et j’en ai besoin d’une de plus », l’a coupé Beterbiev, impassible dans sa veste noire ouverte sur un t-shirt blanc.

Après des années de spéculations et de conjectures, Beterbiev (20-0, 20 K.-O.) et Bivol se retrouveront enfin entre les câbles, le 1er juin, à Riyad, capitale de l’Arabie saoudite.

Des promoteurs respectifs – l’américain Top Rank pour Beterbiev, le britannique Matchroom pour Bivol – liés à des réseaux de télévision concurrents (ESPN c. DAZN) semblaient condamner ce duel que tous les amateurs du noble art réclamaient. L’intervention de Son Excellence Turki Alalshikh, président de la General Entertainment Authority du royaume saoudien et objet de tous les remerciements et révérences durant cette conférence de presse diffusée en direct sur YouTube, a aplani ces différends prétendument irréconciliables (à grands coups de dizaines de millions).

PHOTO ANDREW BOYERS, REUTERS

Artur Beterbiev et Dmitri Bivol prennent la pose avec leurs ceintures.

Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ? « Je ne sais pas, il le sait mieux que moi, demandez-le-lui », a suggéré Beterbiev au maître de cérémonie, qui s’est donc tourné vers Bivol.

« Je le demande depuis longtemps, et la réponse de mon équipe était : personne ne fera advenir ce combat, a rappelé le Russe d’origine kirghize. Maintenant, on a Son Excellence, qui aime tellement la boxe et qui a dit : je veux cette bagarre. »

Cryptique

Bivol, 33 ans, a évidemment assuré avoir pleine confiance en ses moyens. « J’ai de bonnes habiletés, je crois simplement en mes habiletés. Depuis 28 ans, je pratique la boxe. Je boxe depuis que je me souviens de moi-même ! J’aime ce sport. Mon expérience, ma mentalité et mes habiletés vont m’aider… Je crois simplement que je serai le champion incontesté. »

Respectueux envers son vis-à-vis, celui qui est le tenant du titre de la WBA depuis 2017 affirme être emballé par la confrontation.

« J’adore les défis, j’adore être mis à l’épreuve, et ce combat est un immense test pour moi. »

L’animateur a tenté deux ou trois autres questions à Beterbiev, sans grand succès. Ce choc représente-t-il son plus important défi ? « On verra. » Quel est votre pressentiment, à quoi pensez-vous ? « Je ne pense pas, je me prépare. Et je vais me préparer pour ce combat pour essayer d’être prêt à 100 %. »

Puis, une dernière : « Avez-vous un message pour Dmitri Bivol ? » Cryptique comme il peut parfois l’être, le Canadien d’origine tchétchène a simplement rétorqué : « Il le sait déjà. »

Bivol a assuré qu’il n’avait aucune idée de quoi il en retournait, mais Beterbiev a insisté : « Je vous le dis qu’il le sait. »

Brut et magnifique

La petite passe d’armes s’est terminée ainsi, avant le traditionnel face-à-face pour les caméras, durant lequel les deux champions se sont fixés sans ciller pendant presque 30 secondes, ce qui est plus long que ça en a l’air.

Accompagné de Todd duBoef, président de Top Rank, Beterbiev est descendu de l’estrade pour quelques mêlées de presse. Au micro de Queensberry Promotions, duBoef a souligné que son protégé de 39 ans était maintenant « un incontournable à la télévision, presque comme Mike Tyson à son époque ».

Ce n’est pas le plus cute, ce n’est pas le plus fancy, ce n’est pas celui qui exécute la frappe après une esquive, ce n’est pas la beauté du noble art, c’est la destruction. Et il y a quelque chose de si brut et magnifique à cela.

Todd duBoef au sujet d’Artur Beterbiev

Le détenteur des titres du WBC, de l’IBF et de la WBO n’en a pas rajouté. « Je suis un peu gêné, s’est-il justifié. Ce n’est pas mon truc [les évènements médiatiques]. Je suis plus à l’aise dans le ring ! »

Et surtout intéressé par les ceintures, ce qui tombe bien, puisque s’il l’emporte, il enfilera non seulement celle de la WBA, mais aussi celle, très prestigieuse, du Ring Magazine, et une toute nouvelle, dévoilée lundi à Londres, avec l’inscription « Unifié » en plein centre. Un véritable objet de collection.

Le style « très particulier » de Bivol

Occupé dans son gym de Villeray, Marc Ramsay, l’entraîneur de Beterbiev, n’a pas suivi la conférence de presse à grand déploiement, qui a également mis la table pour l’intrigant match « 5 vs 5 » entre les poulains d’Eddie Hearn (Matchroom) et de Frank Warren (Queensberry), puissants promoteurs britanniques et ennemis jurés… jusqu’à ce que Turki Alalshikh les réunisse pour le gala du 1er juin.

Pour redémarrer une machine déjà bien huilée depuis sa victoire sans appel contre le Britannique Callum Smith, à Québec, le 13 janvier, Beterbiev a passé 21 jours en altitude en Russie. Il en est maintenant à la troisième semaine de son stage de préparation à Montréal, qui en comptera huit.

« C’est la même recette avant chaque combat », a indiqué Ramsay. L’opération la plus délicate a été de trouver des partenaires d’entraînement qui pouvaient reproduire le style classique, néanmoins « très particulier » de Bivol.

« Ils n’enseignent pas cette boxe-là partout dans le monde, a souligné le coach. Ce sont presque tous des boxeurs de Russie. Et faire sortir des gars de ce pays en ce moment, c’est très complexe. »

Le clan Beterbiev a réussi à en dénicher trois, en plus d’autres vis-à-vis. « Effectivement, Bivol a un style classique, surtout au niveau du choix des combinaisons, a ajouté le technicien. Mais il a vraiment quelque chose de particulier en ce qui concerne ses déplacements. C’est un style qu’on retrouve surtout en boxe amateur russe et celle des pays de l’ancienne Union soviétique. C’est très linéaire, mais toujours en mouvement en même temps. Ça prend beaucoup de synchronisme et de pratique avec ce style-là. »

Par ailleurs, Hearn a promis un « blanchissage » de ses pugilistes face à ceux de Warren, à commencer par une victoire de l’ex-champion poids lourd Deontay Wilder, qui se mesurera au Chinois Zhiley Zhang en demi-finale. Un autre duel de poids lourds opposera Daniel Dubois au Croate invaincu Filip Hrgović.