(Mont-Tremblant) Sac de sel de déglaçage sur l’épaule, râteau à la main, une douzaine de coachs et de techniciens de l’équipe féminine canadienne de ski alpin s’affairaient sur les parcours de la piste Flying Mile de la station Tremblant, la semaine dernière.

En cette matinée presque encore hivernale où le soleil voulait percer, la montagne recrachait ses eaux à travers rochers et rigoles boueuses en bordure de la pente. La neige, très ferme au début de ce stage d’entraînement la semaine précédente, commençait à ramollir. Comme en Coupe du monde, le sel est utilisé pour extraire l’eau des cristaux neigeux, qui regèle ensuite pour créer une surface plus solide et uniforme.

« Caaaaass, non ! » Cassidy Gray n’avait pas eu le mémo. La jeune skieuse britanno-colombienne s’est donc élancée entre les piquets sans entendre l’avertissement amusé de sa coéquipière Valérie Grenier. Le sel n’avait pas eu le temps d’effectuer son travail…

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Cassidy Gray

Cinq ou six virages et pouf ! Gray a disparu dans le premier mur de la Flying Mile. Grenier, Amelia Smart, Britt Richardson, Sarah Bennett et la championne mondiale Laurence St-Germain l’ont suivie l’une après l’autre. Observer ces athlètes sur un écran d’ordinateur est une chose. Les voir découper les courbes à quelques mètres de nous en est une autre. Le photographe Martin Tremblay peut le confirmer.

Dans moins de huit mois, les mêmes skieuses – à l’exception de la slalomeuse Laurence St-Germain – s’élanceront du même endroit pour deux slaloms géants de la Coupe du monde de ski alpin, une première en 40 ans pour la station reine des Laurentides.

« C’est un rêve qui se réalise », s’enthousiasme Valérie Grenier en remontant dans le télésiège entre deux manches. « Je n’en reviens pas encore. C’est fou. »

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Valérie Grenier

Du 4 au 14 avril, Grenier et ses coéquipières ont tenu leur traditionnel stage printanier sur la pente même où elles s’exécuteront devant public les 2 et 3 décembre. L’occasion est inédite pour celles qui passent l’essentiel de l’automne et de l’hiver en Europe, avec quelques sauts de puce en Amérique du Nord, le plus souvent dans les Rocheuses de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

« On se sent toutes très chanceuses d’être sur la piste de course. C’est quand même un avantage. »

Bennett, 21 ans, acquiesce. « C’est vraiment quelque chose d’incroyable, surtout pour moi qui suis plus jeune, souligne la skieuse de Stoneham. Quand je vais à des Coupes du monde, c’est rare que j’aie déjà skié là. Je découvre chaque fois et je n’ai aucun repère. Ça rend ça super difficile. »

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Sarah Bennett

Blessée et opérée à une épaule à la mi-janvier, elle a repris l’entraînement dans les parcours à Mont-Tremblant. « Enfin, on peut être à un niveau équitable avec les équipes européennes qui s’entraînent toujours sur leurs pistes de Coupe du monde. C’est vraiment cool que la montagne nous laisse faire ça. »

Pour Grenier, ce camp est d’autant plus spécial qu’elle a grandi sur les pentes de Mont-Tremblant.

« J’ai commencé à 2 ans et j’ai skié ici toute ma vie », expose la native de Saint-Isidore, localité située à 45 minutes à l’ouest d’Ottawa. « Mes grands-parents ont un condo ici. Au début, on y venait toute la famille. Ce n’est pas si grand et tout le monde couchait par terre ! J’ai plein de cousins et on skiait tous ensemble. Mes parents ont ensuite acheté un condo. »

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« C’est un rêve qui se réalise », dit Valérie Grenier.

Plus d’attention

Avant le stage, son entraîneur Laurent Praz, récemment promu à la tête de l’équipe féminine à la suite du départ surprise de l’Américaine Karin Harjo, lui a demandé si elle avait besoin d’un « traitement spécial » pour ce retour dans son alma mater.

L’Italien se souvenait de son amie Federica Brignone, auréolée de son titre de championne de la Coupe du monde et sollicitée de toutes parts quand elle rentrait chez elle dans son village du Val d’Aoste.

La Franco-Ontarienne n’en voyait pas du tout la nécessité. Elle a fait le saut durant le week-end de Pâques, où l’achalandage était à son paroxysme.

« Finalement, je me suis trompée », concède celle qui a signé la première victoire de sa carrière sur le cirque blanc, le 7 janvier à Kranjska Gora (Slovénie), en plus de conclure la campagne avec une troisième place à Soldeu (Andorre), le mois dernier.

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Valérie Grenier

« C’est fou ! Partout où je suis, il y a du monde qui me connaît, me dit bonjour, me félicite, demande de se prendre en photo. Je ne m’attendais pas à ça. Autant c’est une belle communauté de courses de ski alpin ici, je ne pensais pas que c’était à ce point. Pour vrai, j’aime vraiment ça. Ça me fait chaud au cœur et c’est flatteur, mais ça a fait beaucoup à gérer. »

Par hasard, une cliente de l’hôtel où Grenier répondait aux questions s’arrête pour prendre une photo à la dérobée…

La vedette locale ne se plaint surtout pas de ce surcroît d’attention, d’autant que les skieuses avaient l’habitude d’exercer leur art dans une relative indifférence pendant des années à Lake Louise, étape passée à la trappe à la faveur de Tremblant.

Au sommet

Dans le portillon, les concurrentes auront une vue imprenable sur le lac Tremblant, à droite, et les toits colorés du village piétonnier, vers lequel elles plongeront directement.

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La vue au sommet de la piste de Tremblant

« D’en bas, le public peut vraiment voir une bonne partie de la piste, se réjouit Laurent Praz. Normalement, ce n’est pas si facile à trouver. Souvent, les pistes tournent entre les arbres. Tu n’as donc pas toute cette visibilité. L’arrivée dans le village sur la voie piétonne, ce sera super bien et facile d’accès pour le public. »

Pour l’heure, l’entraîneur-chef se réjouit surtout de compter sur un lieu sécurisé et dédié à sa cause. Certains matins, la station a ouvert le télésiège plus tôt pour leur permettre de dévaler la piste sur sa pleine longueur, à l’abri du public dans la cuvette du bas.

« Honnêtement, au Canada, c’est très difficile d’avoir des endroits pour s’entraîner où il y a toute cette envie de nous avoir, relève Praz. Le club nous aide, on a toutes les remontées mécaniques, tout le village est très content qu’on soit ici. Les pistes sont disponibles quand on en a besoin. Ça rend tout plus facile parce que les filles se sentent aussi un peu plus à la maison. Ça fait quand même une différence. »

En haut de la Flying Mile, les skieuses se préparent pour une autre descente. Méticuleuse, Valérie Grenier active ses muscles comme elle le ferait avant une manche de Coupe du monde. Dans différentes positions, elle tend un élastique tenu par le physiothérapeute Alexandre Gariépy.

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Valérie Grenier et le physiothérapeute Alexandre Gariépy

Simultanément, elle s’adonne à ce qui ressemble à un jeu de roche-papier-ciseaux nouveau genre. « Poivre, banane, sel, poire », énumère-t-elle en tournant la tête pour repérer la main du physio. Celui-ci déploie ses doigts d’une certaine façon. Selon un code préétabli, un rond avec le pouce et l’index équivalait à la poire, l’index et l’auriculaire relevés représentaient la banane, etc.

« C’est un exercice neuro-athlétique », explique Gariépy, qui suit l’équipe féminine depuis cinq ans. Ainsi, non seulement les muscles de Grenier sont-ils aiguisés, son cerveau l’est tout autant.

Un peu plus bas, Laurence St-Germain écoute les directives de Francis Royal, nouvel entraîneur du groupe de slalom. « Aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est symétrie », annonce l’ex-coach en chef de l’équipe du Québec, qui était déjà un mentor pour la championne mondiale depuis des années.

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Francis Royal (à gauche), nouvel entraîneur du groupe de slalom

« Je relâche, je change de pied et là j’ai une relation de force avec mon pied avant l’angulation, détaille Royal en mimant le mouvement avec ses gants dans le télésiège. Cette relation doit rester la même tout le long de l’angulation. Ça va t’aider à sortir de la groove. Ça va être intéressant. Tu bâtis ta vitesse derrière, mais après, tu gardes la même relation de force dans ton angulation. »

St-Germain acquiesce, familière avec ce langage hermétique pour un skieur du dimanche. La remontée est rapide : en moins de cinq minutes, les skieuses sont prêtes à repartir. Une ligne express leur permet de couper la file.

« Ça nous permet d’avoir du rythme, souligne Francis Royal. Notre souhait, c’est que ce soit un héritage de la Coupe du monde pour le sport et son développement. »

Clac, clac, clac… Laurence St-Germain s’y remet et frappe les courts piquets avec ses protège-tibias. Elle tient ses bâtons à mi-hauteur en raison d’une blessure à un pouce subie la semaine précédente. Elle a chuté sur le côté dans le mur principal en tentant de corriger une erreur.

« As-tu sacré ?

— J’ai plus sacré parce que j’étais tombée ! », réplique-t-elle du tac au tac.

Une médecin a d’abord diagnostiqué une fracture, mais le radiologiste y a plutôt vu une entorse. « De toute façon, ça va prendre le même temps à guérir », tranche-t-elle, résignée.

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Laurence St-Germain garde le sourire malgré sa blessure à un pouce.

Le soleil se fait plus insistant et la surface ramollit. St-Germain saute dans sa voiture en direction de Polytechnique Montréal, où l’étudiante au baccalauréat en génie biomédical avait une présentation en après-midi.

« C’est sur un robot en Lego qu’on a conçu pour insérer des vis dans un bassin », explique-t-elle.

Après une demi-douzaine de descentes, les géantistes canadiennes remettent les planches aux techniciens qui les attendaient dans un petit enclos délimité au pied du télésiège. Gros sacs sur le dos, elles rentrent à l’hôtel à pied en traversant le village à peu près désert. En songeant peut-être à l’ambiance qui y régnera durant la Coupe du monde au début de l’hiver prochain.

En français !

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Phénomène rare dans le sport canadien de haut niveau, une bonne partie des communications s’effectue en français au sein de l’équipe féminine de ski alpin. Laurent Praz parle la langue de Ducharme, tout comme son successeur responsable du groupe de slalom géant/super-G, Pierre Miniotti, originaire du Val d’Aoste lui aussi. Marie-Ève Boulianne et Pierre Caron font toujours partie du personnel d’entraîneurs. Le nouveau directeur de la haute performance, Jean-François Rapatel, est également québécois. « C’est super cool, on a plusieurs discussions en français et l’environnement est bilingue », souligne Francis Royal, entraîneur-chef de l’équipe de slalom.

Simon Drouin, La Presse