Nos décideurs se sont-ils mis à voir la vie en vert tous en même temps ?

Au cours des dernières semaines, on a en tout cas assisté à un nombre étonnant d’annonces à saveur environnementale.

Il est trop tôt pour affirmer qu’on est face à un véritable virage. Et compte tenu de l’ampleur des problèmes, il faut réaffirmer que nos actions environnementales sont encore loin d’être suffisantes. On n’a qu’à lire le dernier rapport du GIEC pour s’en convaincre.

Il reste qu’en lisant les journaux depuis deux ou trois semaines, on constate que l’environnement est résolument présent sur l’écran radar des autorités. C’est réjouissant et il faut le souligner.

Parmi la liste de signes encourageants, le plus important vient évidemment d’Ottawa, où le dernier budget a promis des sommes sans précédent pour les technologies vertes.

Pendant ce temps, Laval, Gatineau et Victoriaville viennent d’adopter des plans climatiques ambitieux soutenus par Québec à coups de dizaines de millions.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES LA PRESSE

Bruno Marchand, maire de Québec, Valérie Plante, mairesse de Montréal et France Bélisle, mairesse de Gatineau. Plusieurs villes viennent d’adopter des plans climatiques ambitieux

À Québec, on prévoit transformer des voies de circulation automobile et des espaces de stationnement en pistes cyclables quatre saisons. C’est d’autant plus encourageant que l’initiative n’est pas accueillie avec une volée de bois vert. On entend bien une certaine opposition, mais elle semble moins vive que lorsque Valérie Plante planifiait l’implantation du Réseau express vélo (REV) sur Saint-Denis (qui s’avère finalement un franc succès).

À Montréal, des restaurateurs et des commerçants proposent maintenant des contenants consignés à leurs clients depuis que plusieurs articles de plastique à usage unique sont interdits1.

Le gouvernement Legault a (enfin !) haussé les redevances sur l’eau. Hydro-Québec a (enfin !) annoncé vouloir augmenter ses cibles d’efficacité énergétique. Énergir promet désormais de fournir du gaz naturel renouvelable, donc produit à partir de matière organique, à tous ses nouveaux clients.

Et le 1er avril, le prix sur le carbone imposé par le fédéral a continué de progresser pour atteindre 65 $ la tonne (cette redevance ne s’applique toutefois pas au Québec, qui possède son propre marché du carbone). Le gouvernement Trudeau vient même d’agir pour compliquer la vie d’un futur gouvernement qui voudrait abolir cette taxe nécessaire2.

On peut reprocher toutes sortes de choses aux mesures annoncées. Plusieurs sont effectivement imparfaites et il est important de le relever.

Le budget fédéral, par exemple, contient 13 fois l’expression « stockage du carbone », une technologie hasardeuse qui n’a jamais fait ses preuves et qui fait miroiter le mirage du pétrole propre. Son soutien par le fédéral fera pleuvoir des millions en subventions sur des entreprises pétrolières qu’on devrait au contraire sevrer des fonds publics.

En revanche, l’expression « efficacité énergétique » ne figure qu’une seule fois dans le budget, alors qu’il s’agit de la toute première étape de la transition énergétique.

Il y a pourtant une industrie à créer là : aux États-Unis, en 2020, le secteur de l’efficacité énergétique employait quatre fois plus de personnes que celui des énergies renouvelables, selon le département de l’Énergie américain⁠3.

La décision d’Énergir de fournir à ses nouveaux clients uniquement du gaz naturel renouvelable est intéressante. Nous avons déjà dénoncé dans ces écrans le fait que l’on continue à installer de nouveaux systèmes de chauffage fonctionnant aux combustibles fossiles au Québec. On peut toutefois se demander si ce gaz ne devrait pas être dirigé en priorité vers des secteurs plus difficiles à électrifier.

À Montréal, l’interdiction des tasses, des verres, des pailles, des ustensiles et des bâtonnets pour café en plastique ne précipitera pas l’industrie du plastique vers la faillite. Le volume de plastique concerné est très limité et certains fabricants ont déjà trouvé des moyens de contourner les règlements avec d’autres matériaux comme l’acide polylactique, impossible à recycler et à composter dans nos installations actuelles.

Malgré ces bémols, on constate qu’il y a du mouvement et ça fait du bien. Surtout qu’on observe un effet d’entraînement qui, on l’espère, fera boule de neige.

Si Justin Trudeau a débloqué 83 milliards de dollars canadiens pour soutenir les énergies propres, c’est parce qu’au sud de la frontière, Joe Biden a promis 369 milliards US dans son Inflation Reduction Act.

François Delorme, qui enseigne l’économie à l’Université de Sherbrooke, répond d’ailleurs à ceux qui trouvent que la réponse canadienne est timide par rapport aux dépenses américaines que ces montants représentent 3 % du PIB au Canada contre 1,4 % aux États-Unis.

Il est aussi intéressant d’observer que le maire de Québec Bruno Marchand a justifié les nouvelles pistes cyclables qu’il veut aménager dans sa ville en parlant de celles qu’il a vues à Copenhague et en brandissant le succès du REV à Montréal.

Cette émulation n’a que du bon.

On aime aussi voir nos élus intervenir pour hausser les redevances sur l’eau ou interdire certains objets de plastique. Cela prépare nos administrations à mener des combats pour l’environnement.

La théorie des petits pas ne rallie pas tout le monde. Mais s’il faut se méfier du jovialisme, on doit aussi éviter le cynisme. Des avancées sur lesquelles on peut construire éclosent ici et là. Il faut les applaudir et travailler à ce que les initiatives ponctuelles se multiplient jusqu’à devenir la norme.

1. Lisez l’article « Interdiction du plastique à usage unique : des commerces misent sur les contenants consignés » 2. Lisez l’éditorial « La taxe carbone est là pour de bon » 3. Consultez l’article « Chart : Surprise ! Energy efficiency is the climatetech employment giant » (en anglais)