« Alex, je suis sûr que si tu te donnes trois ou quatre mois d’entraînement, tu reviens sur le podium ! », a lancé Mikaël Kingsbury à Alexandre Bilodeau autour d’une coupe de vin il y a environ deux ans. « On se crinquait. Mais à la fin, j’ai trop à perdre », relate Bilodeau en entrevue avec La Presse.

En ce jeudi matin de janvier, on pénètre dans une chic tour de bureaux de Westmount Square. L’ascenseur nous mène au 18e étage, où sont installés les élégants bureaux de Walter Capital Partenaires. Alexandre Bilodeau, vice-président aux investissements directs, nous y accueille.

Du haut de la salle de conférence dans laquelle on s’installe pour notre entrevue, le panorama est sublime. « On est choyés ! », acquiesce l’ex-skieur olympique.

Skieur olympique, oui. On doit presque se le rappeler, tellement Bilodeau semble être dans son élément. Son après-carrière, ou plutôt sa deuxième carrière, c’est ici qu’elle se déroule. Loin de la neige, des bosses et des avions depuis déjà huit ans.

« J’adore ça. Je suis tombé sur mon X en étant ici. C’est ce que je veux faire toute ma vie », laisse-t-il entendre.

La vie d’athlète de haut niveau a cela de particulier qu’elle ne dure que quelques années. Bilodeau avait 26 ans quand il a mis un terme à la sienne, en 2014. Ses études en comptabilité étaient alors déjà entamées. « Un athlète, ce n’est pas vrai que ça n’a pas le temps d’étudier ! », assure-t-il.

À l’époque, les études lui permettaient d’avoir « d’autres problèmes que juste le ski ».

C’est important d’avoir un équilibre. Quand tu es juste obnubilé par une affaire, ça devient tellement lourd. Le soir, je n’avais pas le choix de décrocher du sport pour aller étudier pour un examen.

Alexandre Bilodeau

Bilodeau a choisi d’étudier en comptabilité en sachant très bien qu’il passerait un jour en finances. Le milieu transactionnel, « qui est un milieu avec un peu plus d’adrénaline », l’intriguait. Au bout de presque cinq ans dans des postes de comptabilité, il a été embauché en 2019 chez Walter Capital Partenaires, « qui fait vraiment des investissements directs dans des entreprises en portefeuille ». Et le voilà aujourd’hui plus heureux que jamais.

Des hauts et des bas

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, toutefois, le passage du double médaillé d’or olympique à la vie dite « normale » n’a pas toujours été rose.

Ç’a paru facile à l’extérieur parce que tout a bien été, tout était planifié. Mais j’ai eu des moments difficiles, autant personnellement que professionnellement.

Alexandre Bilodeau

Le Montréalais, qui a grandi à Saint-Sauveur, s’est souvent remis en question.

« C’est par phases. Au début, quand je devais finir mes études… Tu te dis : j’ai 26 ans, je suis en classe avec des plus jeunes qui ont 22 ans et je ne comprends pas plus qu’eux. Et tu te dis : j’étais le meilleur au monde dans ce que je faisais. »

« Quand tu commences tes premiers stages, tu es avec des personnes qui sont plus jeunes que toi et qui sont tes boss. Comme athlète, ça fait une dizaine d’années que je suis le centre d’attention de mon équipe. Le travail de tout le monde [autour de toi] est d’optimiser les performances, tant physiques que techniques, sur la piste. Et là, je ne suis plus le centre d’attention de qui que ce soit, je suis le stagiaire. »

Bilodeau, qui est aussi conférencier depuis des années, a rapidement réalisé que ce pas vers l’arrière lui permettrait de faire un marathon vers l’avant.

« Au bout du compte, ç’a valu la peine ? l’interroge-t-on.

– À 100 % », répond-il dans un sourire.

Passer à autre chose

Si les exploits sportifs d’Alexandre Bilodeau peuvent sembler lointains à certains, ce n’est pas le cas pour le principal intéressé. Les souvenirs sont encore frais dans sa mémoire. Comme les Jeux de Vancouver, où il est devenu le premier athlète canadien champion olympique dans son pays. Tous s’en souviennent, notamment pour sa réaction à l’annonce des résultats et la célébration émouvante avec son frère Frédéric, atteint de paralysie cérébrale.

  • Alexandre Bilodeau en route vers la médaille d'or aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Alexandre Bilodeau en route vers la médaille d'or aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010.

  • Alexandre Bilodeau célèbre sa victoire aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Alexandre Bilodeau célèbre sa victoire aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010.

  • À Vancouver, Alexandre Bilodeau est devenu le premier athlète canadien champion olympique dans son pays.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    À Vancouver, Alexandre Bilodeau est devenu le premier athlète canadien champion olympique dans son pays.

  • Alexandre Bilodeau lors de sa descente victorieuse aux Jeux de Sotchi en 2014.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Alexandre Bilodeau lors de sa descente victorieuse aux Jeux de Sotchi en 2014.

  • Alexandre Bilodeau célèbre sa médaille d'or avec son frère Frédéric aux Jeux de Sotchi en 2014.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Alexandre Bilodeau célèbre sa médaille d'or avec son frère Frédéric aux Jeux de Sotchi en 2014.

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Quand on lui demande s’il a déjà eu le goût de revenir à la compétition, Bilodeau s’exclame : « Bah, tu y penses ! Mais je suis en plein élan dans ma carrière. Il faudrait que je mette ça de côté pour y revenir après. Quand je fais quelque chose, je le fais à 100 %. J’ai décidé d’accepter, de passer à autre chose. »

L’ex-athlète demeure fier de son parcours, mais il se concentre sur ce qui se trouve devant lui plutôt que derrière. Il aimerait bien revivre les côtés « performance », « fierté » et « glamour » du sport, mais il sait très bien ce que ça nécessite comme travail. « Et ça, je ne suis pas prêt à le refaire », laisse-t-il tomber.

Le ski est désormais un passe-temps pour le résidant de Griffintown. Comme tout le monde, il travaille. Il se rend à la montagne à Saint-Sauveur quand il en a l’occasion. Il planifie des voyages, des projets.

Il restera néanmoins toujours Alexandre Bilodeau, celui qui a été, l’espace d’un moment, le meilleur skieur acrobatique au monde.

Kingsbury, le passionné

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Bilodeau (médaille d’or) et Mikaël Kingsbury (médaille d’argent) aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014

Alexandre Bilodeau connaît Mikaël Kingsbury depuis qu’il est « ça d’haut », dit-il en faisant le signe avec sa main. « Il vient de Saint-Sauveur, donc je l’ai vu grandir sur les pistes. Il a le même âge que ma sœur. […] Tu voyais que c’était un passionné », se souvient-il. Les deux hommes, qui ont été des adversaires, se textent de temps en temps. « Quand je vois des choses sur les réseaux sociaux, un move sur lequel il travaille depuis longtemps, je lui écris. Je lui dis de continuer à pousser le sport. On a besoin de personnes comme ça. Mikaël est dans une position où il peut continuer à pousser le sport. Il n’a plus rien à prouver », souligne-t-il tout en rappelant que gagner, « ce n’est pas si facile ! ».