Les soirs de match du Canadien, après avoir écrit 800 mots sur l’heure de tombée, je me verse un grand verre de lait chaud. Avec trois gouttes de mélilot. Ça déstresse. Sauf qu’une heure plus tard, lorsque j’essaie de m’endormir, il reste toujours un trop-plein d’adrénaline. Et là, des questions existentielles m’envahissent.

Comme quoi ?

Comme le paradoxe du crocodile, de Lucien de Samosate.

Vous connaissez ?

Un crocodile capture un bébé. Il dit à la mère de l’enfant : « Si tu devines ce que je vais faire, je te rends le bébé. Sinon, je le mange. » La mère lui répond : « Tu vas le dévorer. »

Que fera le crocodile ?

Allez, réessayez.

Désolé d’avoir gâché votre déjeuner.

Depuis une semaine, une nouvelle énigme m’obsède. Cette fois, il s’agit d’une question sportive. À propos des séries éliminatoires dans la Ligue nationale de hockey. Est-ce que ce sont les Maple Leafs de Toronto qui sont trop forts, ou le Canadien de Montréal qui est trop faible ?

D’une part, je suis ébloui par le premier trio des Maple Leafs.

Auston Matthews est phénoménal. En quatre matchs, il a cadré 23 tirs, obtenu une dizaine de chances de marquer et volé huit fois la rondelle au Canadien. Son ailier droit, Mitchell Marner, brille autant en attaque qu’en défense. Ses feintes sont spectaculaires. Ses mains, magiques. Mettez-le dans une cabine téléphonique avec un défenseur du Canadien. Quinze minutes plus tard, c’est sûr que c’est lui qui ressort avec la rondelle.

William Nylander ? À lui seul, il a autant de buts que tous les joueurs du Canadien dans cette série. Alex Galchenyuk ? Il joue (enfin) comme le troisième choix au total que le Tricolore a réclamé en 2012. Sauf qu’il n’est pas dans le bon uniforme. Mardi soir, il s’amusait autant qu’un basketteur des Harlem Globetrotters contre les Generals de Washington. Hop, une petite passe par-derrière. Hop, une diagonale vers le filet. Hop, un but dans un filet désert.

Et peut-on parler de Jack Campbell ?

Le gardien des Leafs a bloqué 96,5 % des tirs dirigés vers lui dans cette série. C’est renversant. Pas mal pour un vétéran de 29 ans qui n’avait jamais participé à un match éliminatoire de la LNH avant la semaine dernière.

D’autre part, vous avez le Canadien, qui est… comment dire… anéanti. Impuissant. Découragé. Désespéré. Complètement écrasé.

Chaque période qui passe, le Tricolore s’enfonce un peu plus dans une léthargie qui dure depuis des semaines. Le club de Dominique Ducharme vient de perdre huit de ses neuf derniers matchs. Pendant cette séquence, il n’a inscrit que 15 buts. Aucun en supériorité numérique. Pour un club qu’on nous a dit bâti en vue des séries, c’est inacceptable.

Il y a quelques joueurs qui poursuivent leur progression. Comme Cole Caufield et Nick Suzuki. Mais il y en a davantage qui régressent. Pas besoin de tous les nommer, vous les connaissez. Plus que jamais, je doute que les espoirs, les joueurs à mi-carrière et les vétérans de l’organisation excellent tous au même moment, pour permettre au Canadien d’éliminer un club puissant comme les Maple Leafs. Ce n’est vraiment pas parti pour ça. Ni cette semaine. Ni la semaine prochaine. Ni la saison prochaine. Surtout pas avec les départs anticipés de plusieurs joueurs autonomes.

Alors, les Leafs sont-ils trop forts, ou le Canadien est-il trop faible ?

Peu importe, les deux réponses mènent au même résultat : la saison du Tricolore tire à sa fin.

Joe West fera exploser votre cerveau !

Plus tôt dans cette chronique, j’ai chatouillé votre cerveau avec le paradoxe du crocodile. Permettez-moi maintenant de le faire exploser avec une statistique stupéfiante.

La première fois que Joe West a travaillé comme arbitre dans le baseball majeur, c’était en 1976. Je n’étais pas né. Aucun joueur actuel des ligues majeures non plus.

PHOTO KAMIL KRZACZYNSKI, USA TODAY SPORTS

Joe West

À 68 ans, « Cowboy Joe » est toujours actif. Il était derrière le marbre, mardi soir, pour le match entre les Cardinals de St. Louis et les White Sox de Chicago. C’était sa 5376e partie en carrière. Séries exclues. Un nouveau record.

Un peu de perspective ?

C’est plus de parties arbitrées que celles disputées par les Rockies, les Diamondbacks, les Marlins et les Rays dans toute leur histoire. Le comparatif avec les clubs de la LNH est encore plus impressionnant. Aucun club fondé depuis l’expansion de 1967 n’a encore atteint ce nombre de matchs.

Encore plus, plus, plus impressionnant ? Joe West a réussi cet exploit même après avoir remis sa démission, en 1999, et raté trois saisons ! West, qui a aussi inventé un plastron, enregistré deux albums de musique country et joué dans la comédie L’agent fait la farce, n’a pas trop à s’inquiéter pour sa nouvelle marque. Les arbitres contemporains travaillent environ 120 matchs par saison. À ce rythme, celui qui battra le record devra bosser pendant 45 ans pour égaler la marque.

Impossible ?

Non.

Improbable ?

Absolument.