C’était un trophée spectaculaire. Près de 75 centimètres de hauteur. Henri Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur l’ont gagné. Maurice Richard l’a soulevé devant 10 000 personnes. Puis au cœur de la meilleure saison de l’histoire du Canadien, en 1976, il a disparu de l’espace public.

Pourquoi ?

J’ai fouillé dans les archives des journaux québécois. Rien. J’ai consulté les reporters de l’époque. En vain. J’ai contacté une dizaine d’historiens, de collectionneurs et d’anciens hockeyeurs de la Ligue nationale. Plusieurs ignoraient l’existence du trophée. « Es-tu bien certain que je l’ai gagné ? », m’a demandé Yvan Cournoyer, lauréat en 1967.

Qu’est-il donc arrivé au trophée Joseph-Cattarinich ?

Il y a 100 ans, tous les Québécois connaissaient Joseph Cattarinich. Il était une des personnalités les plus en vue de la province. « La plus grande figure sportive que le Canada ait connue », a même suggéré le journaliste Charles Mayer.

Cattarinich s’est d’abord fait connaître sur les terrains de crosse avec le National de Montréal, le club le plus populaire de l’époque. Parmi les Blanchard, Valois et Lachapelle, son nom détonne. Les journalistes le méprennent pour un autochtone de Kahnawake. Or, rapporte La Presse en 1901, « Catta est bien canadien », l’expression alors consacrée pour qualifier les francophones.

Plus que ça, Joseph Cattarinich était un fervent nationaliste. Fils unique d’un mariage atypique entre un capitaine autrichien et une mère canadienne-française, il a laissé tomber le « i » de son nom d’origine – Cattarinichi – pour mieux se faire accepter des autres élèves du Collège de Lévis. « Joseph ne laissait passer aucune occasion de s’enorgueillir de ses origines canadiennes-françaises. Il ne faisait pas bon, sur un terrain de crosse, d’insulter sa race », raconta son meilleur ami et partenaire d’affaires, Léo Dandurand.

Avec cette attitude, Cattarinich est vite devenu la coqueluche des partisans du National. En 1909, Jack Laviolette, chargé de monter un club de hockey francophone, l’embauche comme gardien de but. Cattarinich se retrouve devant les filets du Canadien pour les trois premiers matchs de l’histoire de l’équipe. Trois défaites. Conscient de ses limites, il cède sa place pour devenir « gérant et instructeur » du club. Dans cette fonction, il joue un rôle central dans l’embauche du premier gardien vedette de l’organisation, Georges Vézina.

COLLECTION DE L’AUTEUR

Carte de hockey de Joseph Cattarinich dans l’uniforme du Canadien, en 1910

En parallèle, Joseph Cattarinich prospère en affaires. Léo Dandurand et lui fondent un empire de course de chevaux qui s’étend de Montréal à Salt Lake City et qui suscite la convoitise… d’Al Capone. « Les gangsters de Chicago voulurent rançonner ses succès, rapporte La Patrie. Ils exigèrent, dit-on, une forte somme pour le laisser continuer d’opérer une piste de course située près de [Chicago]. Sa droiture de caractère se cabra devant un tel cynisme. »

En 1921, les deux hommes deviennent copropriétaires du Canadien. Dans les dix années suivantes, le club gagne trois Coupes Stanley. Lorsque Cattarinich meurt, en 1938, le Tout-Montréal assiste à ses funérailles. Parmi les porteurs du cercueil, on reconnaît deux légendes du CH, Newsy Lalonde et Aurèle Joliat. « Le Canada perd son mentor sportif, et sa race, un de ses fils les plus attachés », commente Léo Dandurand.

Deux ans après la mort de son mari, Blanche Vermette souhaite perpétuer sa mémoire. Ainsi est créé le trophée Cattarinich qui, selon les journaux de l’époque, « sera décerné chaque année à l’athlète canadien-français qui se sera le plus signalé au Canada ou aux États-Unis ».

C’est une pièce de collection majestueuse. Cinq grandes colonnes, posées sur un socle, soutiennent un athlète triomphant. La première remise se déroule dans le cadre d’un buffet grandiose à l’hôtel Windsor, de Montréal. Gérard Côté, gagnant du marathon de Boston, est l’heureux élu. « Vous êtes la gloire de votre race », lui lance Blanche Vermette. « Le trophée Cattarinich est un emblème d’une grande signification », l’en remercie le coureur.

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Gérard Côté avec le trophée Joseph-Cattarinich, en février 1941

L’année suivante, le trophée est décerné au boxeur Dave Castilloux. S’ensuit une pause, probablement due à la guerre et à la mort de Blanche Vermette. Le trophée réapparaît en 1947. Il est attribué à Maurice Richard, qui vient d’être élu le joueur le plus utile à son équipe dans la LNH. Le trophée lui est présenté le jour de la Saint-Jean-Baptiste, entre deux courses de chevaux à l’hippodrome Blue Bonnets. Dix mille personnes acclament le Rocket.

Puis le trophée disparaît. Encore une fois.

Pourquoi ?

On ne le sait pas. Toujours est-il qu’il effectue un retour remarqué, en 1964, lors d’une soirée inusitée : le cinquième banquet annuel de l’Association des vétérans du hockey du Québec. C’est quoi ? Un regroupement de hockeyeurs ayant évolué dans des ligues montréalaises, entre 1921 et 1931. C’est niché, j’en conviens. Si la plupart des membres sont d’illustres inconnus, quelques-uns possèdent un palmarès remarquable.

C’est le cas d’Armand Mondou, premier joueur de la LNH à avoir obtenu un tir de punition, et gagnant de deux Coupes Stanley avec le Canadien dans les années Cattarinich. C’est lui qui, cette année-là, est chargé de remettre le trophée à Jean Béliveau, devant un parterre de 200 invités.

Le trophée a maintenant une nouvelle vocation. Il récompense désormais « la personnalité dominante du hockey dans la province ». La notion de la race a disparu. Il a aussi été modifié. À son sommet, l’athlète triomphant a été remplacé par un hockeyeur.

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Yvan Cournoyer reçoit le trophée des mains de Harry Hyland, en 1967.

En 1965, Mondou devient le président de l’Association. Son groupe prend de l’ampleur. D’anciennes vedettes de la LNH, comme Newsy Lalonde, Aurèle Joliat et Joe Malone, rejoignent les rangs. La remise du trophée Cattarinich devient le clou du congrès annuel. Au fil des ans, Claude Provost, Gump Worsley, Toe Blake, Yvan Cournoyer, Henri Richard et Ken Dryden se succèdent comme gagnants. Guy Lafleur le remporte même trois fois.

Puis en 1976, sans explication, la tradition cesse.

Que s’est-il passé ? Pourquoi le trophée Cattarinich a-t-il été tabletté pour la troisième fois ?

C’est un mystère plus grand que celui de la Caramilk. Les articles de l’époque ne fournissent aucun indice. J’ai demandé aux journalistes Réjean Tremblay, Bertrand Raymond et Bernard Brisset, qui couvraient le Canadien en 1976, s’ils avaient une hypothèse. Réponse courte : non.

J’ai interrogé Yvan Cournoyer, lauréat en 1967. « Je n’ai aucun souvenir de ce trophée-là. » Au moment de notre entretien, Réjean Houle, qui dirige le comité des anciens du Canadien, passait par là. Cournoyer lui demande de s’arrêter.

« Réjean, le trophée Cattarinich, ça te dit quelque chose ?

— Je sais qui est Joseph Cattarinich, mais non, le trophée ne me dit rien. »

Courriel à Mario Tremblay, qui était avec le Canadien en 1976. Aucun souvenir. À Serge Savard, aussi avec le club cette année-là. « J’ai bien connu Armand Mondou, alors qu’il était propriétaire des Bombardiers de Rosemont. Il était reconnu comme l’inventeur du slap shot. » Le trophée ne lui rappelle toutefois rien. Le Sénateur a appelé Ken Dryden, lauréat en 1972. L’ancien gardien était intrigué, mais lui non plus ne se souvient de rien.

Coup de fil à Carl Lavigne, ex-employé du Canadien et auteur de livres sur l’histoire du club. Il connaissait bien le trophée. Mais la raison de sa disparition ? Non. J’ai ensuite rejoint un autre historien, Vincent Couture, qui m’avait aidé il y a une dizaine d’années à écrire une courte biographie de Joseph Cattarinich, pour le Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec. L’histoire du trophée lui était familière, mais il ignorait lui aussi pourquoi il avait été remisé en 1976. « Appelle l’ancien défenseur du Canadien Pierre Bouchard. Il a acheté une propriété de Joseph Cattarinich. Peut-être sait-il des choses. »

Voilà une piste prometteuse. Bouchard était avec le CH en 1976. Il a acheté une ferme ayant appartenu à Cattarinich. Et dans les archives, j’ai lu que c’est chez son père Émile que les vétérans du hockey se sont réunis pour la première fois, à la fin des années 1950. Allait-il permettre de dénouer l’intrigue ?

« Désolé, Alexandre. Je n’ai aucun souvenir de ce trophée-là. »

Au fil de mes recherches, je n’ai reçu qu’une seule hypothèse crédible. Celle de l’auteur Andrew Zadarnowski, connu pour ses contributions au site Habs Eyes On The Prize. Il souligne que le président de l’Association des vétérans du hockey, Armand Mondou, est mort en septembre 1976. Vérification faite, après sa mort, le groupe disparaît de l’espace public. Il est fort possible que l’Association, alors constituée de septuagénaires, ait tout simplement cessé ses activités. J’ai appelé l’ancien attaquant du Canadien Pierre Mondou, petit-neveu d’Armand Mondou, pour qu’il puisse confirmer cette piste.

« C’est la première fois que j’entends parler de ce trophée. Désolé, je ne peux pas t’aider. »

Trois décennies plus tard, le trophée Joseph-Cattarinich est revenu sous les projecteurs, en 2009, dans un encan de la maison d’enchères Classic Auctions. L’historien Vincent Couture a déposé une mise. Sans succès. Le trophée a été vendu à un autre collectionneur, pour la jolie somme de 7207 $ US.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE CLASSIC AUCTIONS

Une rare photo du trophée Joseph-Cattarinich, vendu dans un encan de la maison Classic Auctions, en 2009

J’ai joint l’encanteur Marc Juteau, pour qu’il me mette en contact avec l’acheteur. Malheureusement, puisque la transaction date de près de 15 ans, il a perdu la trace du propriétaire.

Le trophée est retourné dans l’ombre.

Encore une fois.

Peut-être un lecteur de La Presse connaît-il la petite histoire derrière sa mise au rencart en 1976. Peut-être connaissez-vous l’acheteur ou le vendeur de 2009. Si vous avez un indice, écrivez-moi.

Qui sait si le trophée n’aura pas une quatrième vie.

Gagnants connus du trophée Joseph-Cattarinich

  • 1940 Gérard Côté
  • 1941 Dave Castilloux
  • 1947 Maurice Richard
  • 1964 Jean Béliveau
  • 1965 Claude Provost
  • 1966 Lorne Worsley
  • 1967 Yvan Cournoyer
  • 1968 Toe Blake
  • 1969 Henri Richard
  • 1970 John Ferguson
  • 1971 Guy Lafleur (Remparts)
  • 1972 Ken Dryden
  • 1973 Henri Richard
  • 1974 Guy Lafleur
  • 1975 Guy Lafleur