L’histoire a fait le tour du monde, mais mérite d’être de nouveau racontée. Il s’agit d’une opération rondement menée, à la fois rusée et cynique. La grande gagnante : l’Arabie saoudite qui, le 4 octobre dernier, a remporté sa plus grande victoire depuis qu’elle investit massivement dans le sport professionnel.

On le sait, le royaume multiplie les coups d’éclat dans ce secteur : création de LIV Golf, embauche de joueurs de soccer de premier plan, partenariat avec la Formule 1… Mais rien, absolument rien, n’est plus important que les décisions annoncées ce jour-là.

La Fédération internationale de football (FIFA) déclare que l’Espagne, le Portugal et le Maroc organiseront conjointement la Coupe du monde de 2030. Pour souligner le centenaire de la compétition, l’Uruguay, l’Argentine et le Paraguay accueilleront aussi une rencontre chacun.

Jusque-là, tout est OK, sauf, évidemment, sur le plan environnemental avec tous ces déplacements. La suite est cependant scriptée avec un sans-gêne absolu.

La FIFA enchaîne en dévoilant les paramètres d’attribution de la Coupe du monde de 2034. Seuls les pays membres des Confédérations d’Asie et d’Océanie sont admissibles, puisque ceux des quatre autres accueilleront des matchs des Coupes de 2026 et de 2030.

Ce n’est pas tout : les intéressés devront lever la main le 31 octobre au plus tard, soit dans moins d’un mois ! On parle ici, rappelons-le, d’un des deux plus grands rendez-vous sportifs de la planète avec les Jeux olympiques. Le budget est immense, tout comme les défis logistiques.

Peu importe, l’Arabie saoudite confirme son intérêt dans les minutes suivantes. Et l’Australie, qui évaluait l’idée, comprend que l’affaire est entendue et renonce à ses ambitions. « Nous avons été un peu pris par surprise », déclarera plus tard le grand patron du football australien, sûrement l’euphémisme de l’année.

PHOTO SAUDI PRESS AGENCY, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Abdelaziz ben Turki al-Fayçal, ministre des Sports, Gianni Infantino, président de la FIFA, et le premier ministre et prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane lors du lancement de la Coupe du monde de sport électronique organisée à Riyad, le 23 octobre

En congrès l’automne prochain, la FIFA accordera donc officiellement à l’Arabie saoudite l’organisation de la Coupe du monde de 2034. Faut-il s’en étonner ? Pas du tout !

Son président, Gianni Infantino, souhaite depuis longtemps cette association avec le royaume, comme l’a récemment expliqué le New York Times. Ses tentatives pour 2030 n’ayant pas fonctionné, il s’est repris pour 2034, ne laissant aucun espace à des pays concurrents potentiels.

Et le respect des droits de la personne dans le pays hôte, vous demandez ? Désolé, cela n’a aucun impact. Dans le sport international, l’Arabie saoudite est désormais un rouleau compresseur dont les pétrodollars séduisent irrésistiblement.

Cela dit, en cette fin d’année, l’Arabie saoudite affronte une difficulté d’ordre… golfique.

Le projet de fusionner les activités commerciales de LIV Golf avec celles de la PGA, annoncé en juin dernier, n’est pas encore conclu. Les deux parties ont jusqu’au 31 décembre pour finaliser l’affaire, mais l’échéance pourrait être prolongée.

PHOTO JON FERREY/LIV GOLF, ASSOCIATED PRESS

Finales du championnat par équipes de LIV Golf à Miami, le 22 octobre 2023

Les autorités américaines enquêtent sur cette association. LIV Golf, je le rappelle, appartient au Fonds d’investissement public saoudien. Des médias ont aussi indiqué que Fenway Sports Group, qui détient les Red Sox de Boston, les Penguins de Pittsburgh et Liverpool FC en Première Ligue anglaise, serait prêt à investir massivement dans le projet au détriment, en tout ou en partie, des Saoudiens.

Sur le plan sportif, à moins d’une surprise, une fusion LIV Golf-PGA n’est pas dans les cartes à court terme.

Dans l’espoir de redorer son blason auprès des joueurs, le commissaire de la PGA, Jay Monahan, a annoncé des changements importants au calendrier de 2024 : huit tournois « signature » seront réservés à un groupe restreint de participants. Trois d’entre eux offriront une bourse de 4 millions US au gagnant.

Le champion de la saison (Coupe FedEx) recevra 25 millions US, soit 7 millions de plus que cette année.

Monahan aura cependant fort à faire pour retrouver toute sa crédibilité. Plusieurs têtes d’affiche du circuit ne lui ont pas pardonné d’avoir négocié en secret avec les Saoudiens après avoir démoli LIV Golf sur la place publique durant des mois.

Secoué par ces critiques, Monahan a pris une pause médicale d’un mois durant l’été avant de reprendre le boulot.

À la demande de ses collègues, Tiger Woods s’est impliqué dans la gestion de la PGA en devenant membre de son « conseil d’orientation ». En revanche, Rory McIlroy, qui a défendu bec et ongles la PGA avant l’accord avec les Saoudiens, vient d’en démissionner. On le sent désabusé, lui qui avait très mal pris cette annonce.

McIlroy a invoqué des raisons familiales, sportives et commerciales pour expliquer son choix. Woods et lui ont notamment investi dans un projet de golf intérieur où des équipes de professionnels s’affronteront sur un immense simulateur dernier cri. Le début des activités, prévu pour janvier prochain, est retardé d’un an en raison d’un ennui technique dans la construction du dôme où les matchs seront joués.

Pendant ce temps, LIV Golf prépare sa troisième saison d’existence. Le circuit a subi un échec important quand l’organisation responsable du classement mondial (OWGR) a rejeté sa demande d’intégration.

Les résultats obtenus dans les tournois LIV ne valent donc aucun point à ses joueurs. Cela diminue d’autant leurs chances de se qualifier pour les majeurs, à moins d’en avoir déjà remporté un.

Le circuit connaît du succès en Australie, mais ne retient guère l’attention ailleurs dans le monde. Et il ne profite toujours pas d’un contrat de télévision profitable.

En revanche, avec ses fonds gigantesques, LIV Golf continuera d’embêter la PGA jusqu’au jour, sans doute inévitable, où une véritable fusion aura lieu.

D’ici là, l’Arabie saoudite augmentera encore son influence dans le sport international. Tout comme d’autres pays de la région. En juin dernier, le fonds souverain du Qatar a acheté 5 % des actions de la société mère des Capitals et des Wizards de Washington, une première incursion dans les sports d’équipe nord-américains.

Le Fonds d’investissement public d’Arabie saoudite en a sûrement pris bonne note.

Sources : The Guardian, The New York Times, Sports Illustrated