Depuis quelques semaines, l’ambiance sur les galeries de presse a changé. Il y a plus d’écho. Plus de place pour s’étendre. Et, malheureusement, de moins en moins de collègues.

C’est que la crise des médias frappe plus fort que jamais. Le Journal de Montréal a cessé sa couverture quotidienne du CF Montréal. Même chose pour La Presse avec les Alouettes. Marc Brassard a quitté Le Droit. Steve Turcotte, Le Nouvelliste. Trois vétérans de TVA Sports ont renoncé à leur permanence, The Athletic a sabré la moitié de son duo montréalais, et les anglos ne voyagent presque plus avec le Canadien sur la route.

C’est tout ?

Probablement pas. En décembre, les six quotidiens régionaux des Coops de l’information mettront fin au format papier. Plus d’une centaine de postes devront être abolis. Un programme de départs volontaires est en place. Au sein du groupe, on s’attend à ce que d’autres journalistes sportifs rangent bientôt leurs calepins. Conséquence inévitable : les clubs locaux seront moins couverts.

« Pour notre ligue, c’est un enjeu majeur », m’a confié le commissaire de la LHJMQ, Mario Cecchini.

Si quelqu’un est bien placé pour évaluer l’importance de la couverture médiatique pour une organisation sportive, c’est lui. Ces 15 dernières années, il s’est retrouvé des deux côtés de la clôture. D’abord comme patron de stations de radio produisant du contenu sportif (98,5 FM, 91,9 Sports, CKAC Sports). Puis comme président des Alouettes et commissaire de la LHJMQ.

Son circuit est particulièrement exposé à la crise des médias. Pendant la pandémie, TVA Sports a cessé d’affecter un journaliste à temps plein aux activités de la ligue. Un coup dur, considérant que Québecor est actionnaire de deux clubs. Aujourd’hui, quatre équipes sont suivies au jour le jour par un seul média local. Un quotidien des Coops de l’information.

En janvier, ces clubs ne profiteront plus de la visibilité offerte par les éditions papier du Quotidien, de La Tribune, du Droit et du Nouvelliste. Idem avec les Remparts de Québec et Le Soleil. Les articles seront offerts seulement en version numérique, derrière un mur payant. Forcément, le rayonnement diminuera. Pour aggraver la situation, Meta empêche le partage de ces articles sur Facebook et Instagram.

C’est une tempête parfaite.

C’est très, très difficile. C’est un énorme défi. En plus, il y a des hebdos régionaux qui couvrent nos équipes qui en arrachent, eux aussi. Ce ne sont pas de bonnes nouvelles. On se penche sur ce dossier tous les jours.

Mario Cecchini, commissaire de la LHJMQ

La direction de la ligue cherche des solutions. Une piste étudiée ? Embaucher des créateurs de contenu, pour augmenter la couverture. D’autres le font déjà. La Ligue nationale de hockey et les ligues majeures de baseball ont recruté des dizaines d’anciens journalistes pour produire des articles et des vidéos sur leurs plateformes.

Mario Cecchini a lui aussi recours à cette stratégie. Lorsqu’il était à la tête des Alouettes, en 2022, l’équipe a embauché le reporter Joey Alfieri (TSN Radio) pour pallier la baisse de couverture dans les médias montréalais.

« Joey fait ses propres commentaires d’après-match. On lui a demandé d’être le plus objectif possible. Si les Alouettes se font planter, il doit le dire, même si son chèque de paye est signé par le club. »

« Notre ligue doit-elle avoir son propre organe de presse ? », se demande-t-il tout haut. « Est-ce qu’on devra procéder à des embauches pour qu’on parle de nous ? C’est particulier. On va dire aux propriétaires : on va payer des journalistes. Sauf qu’un journaliste, sa force, sa crédibilité, c’est son objectivité. Quand tu travailles dans un média, tu rapportes ce que tu vois, ou ce que tu veux. Mais si tu travailles pour la ligue, tu souhaites que la ligue grandisse. Ce serait une job difficile. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Mario Cecchini, commissaire de la LHJMQ

J’ai sondé une demi-douzaine de personnes qui travaillent pour des médias qui couvrent la ligue sur une base quotidienne. Eux suggèrent une autre solution. Un meilleur soutien des équipes envers les médias qui les suivent assidûment. Comment ? En achetant de la publicité, comme le font les distributeurs de films, les producteurs de spectacles et les compagnies de théâtre. Non, ça ne leur assurerait pas une couverture positive. Mais ça nourrirait l’écosystème dont la ligue profite, et dont elle a besoin.

Juste pour vous montrer d’où on part, un club de la LHJMQ a récemment sondé un collègue pour lui demander comment passer par-dessus le mur payant de son média, afin de pouvoir consulter les articles. Réponse du collègue : abonnez-vous.

Ça coûte moins de 15 $ par mois.

L’équivalent d’un billet vendu.

D’autres clubs et ligues souffriront – ou souffrent déjà – de la perte des revenus dans les médias. Prenez le marché de Trois-Rivières. Le Nouvelliste vient de perdre un de ses trois reporters aux sports. Ce sont 240 quarts de travail par année en moins sur le terrain. Les Lions (hockey) et les Aigles (baseball) seront couverts différemment.

Dans le Grand Montréal, où il y a abondance d’équipes, les médias sont aussi contraints de faire des choix déchirants. Ça explique pourquoi les deux nouvelles équipes de basketball, l’Alliance et la Toundra, sont à peine suivies. Idem pour les Carabins de l’Université de Montréal, les Stingers de Concordia, les Citadins de l’UQAM, les Redbirds et les Martlets de McGill, l’Armada de Blainville-Boisbriand, ainsi que le Rocket de Laval, lorsqu’il n’est pas en séries.

Même dans l’entourage du Canadien, ce n’est plus ce que c’était. Surtout à l’étranger. L’hiver dernier, on a vu des mêlées de presse sans journaliste anglophone. TSN Radio, diffuseur officiel, n’est plus sur la route. Et il y a des patrons de presse qui se posent de sérieuses questions sur la valeur ajoutée de suivre le Tricolore partout, alors que les conférences de presse de Martin St-Louis sont retransmises en direct sur les comptes de réseaux sociaux du club. Les blogueurs dans leur sous-sol s’en régalent. Les médias qui sont sur place pour poser les questions et qui investissent des dizaines de milliers de dollars dans la couverture de l’équipe ?

Pas du tout.

Amateurs de sport, si vous souhaitez une couverture complète et indépendante de vos équipes préférées, c’est le temps de soutenir vos médias locaux.

Maintenant.