Comme nous tous, les recruteurs ont des préjugés. Il y en a qui préfèrent les Canadiens. D’autres, les Européens. Ou les bagarreurs. Ou les géants. Ou les petites pestes. Il y en a même qui se fient au look d’un athlète pour prédire ses succès futurs.

Extrait du livre Moneyball, dans lequel il est question de l’espoir Billy Beane : « Sous sa chevelure brune indisciplinée, le garçon a les traits que les recruteurs adorent. Certains d’entre eux croyaient encore qu’à partir de la structure du visage d’un jeune homme, on pouvait déduire non seulement son caractère, mais également son avenir dans le baseball professionnel. Les recruteurs avaient une expression pour ça. Le Bon Visage [The Good Face]. Billy avait le Bon Visage. »

Quels sont les biais les plus fréquents des recruteurs des équipes de la Ligue nationale de hockey ?

C’est un des sujets abordés par Chace McCallum dans son mémoire de maîtrise, déposé l’été dernier à l’Université Wilfrid Laurier. McCallum est un observateur brillant qui, dans l’esprit des sabermétriciens au baseball, bouscule les idées préconçues. Si vous aimez le hockey, et particulièrement le recrutement, son blogue est une lecture incontournable.

Consultez le blogue de Chace McCallum (en anglais)

Dans ce travail, Chace McCallum a d’abord établi une valeur pour chaque rang du repêchage. Comment ? En utilisant le GAR, l’acronyme de Goals Above Replacement. C’est un indice qui permet de calculer la contribution d’un hockeyeur aux succès de son équipe, par rapport à un joueur de remplacement.

Le GAR tient compte de plusieurs statistiques, à l’attaque comme en défense. Plus le GAR est élevé, plus un joueur est important pour son club. Pour vous donner une idée, voici les meneurs dans la LNH la saison dernière.

GAR les plus élevés en 2022-2023

PHOTO GARY A. VASQUEZ, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Connor McDavid

  • Connor McDavid, Oilers d’Edmonton : 31,7
  • Matthew Tkachuk, Panthers de la Floride : 28,8
  • Nathan MacKinnon, Avalanche du Colorado : 27,8
  • Elias Pettersson, Canucks de Vancouver : 25,8
  • Jared McCann, Kraken de Seattle : 25,0

Chace McCallum a compilé le GAR de tous les joueurs repêchés entre 2007 et 2014. Il s’est arrêté là, pour donner le temps aux espoirs de s’établir dans la LNH. Le résultat n’étonnera personne : les premiers joueurs sélectionnés sont ceux qui présentent en moyenne le meilleur GAR. Puis ça décline rapidement jusqu’au 50e choix, avant de se stabiliser jusqu’au 200e choix.

Il a ensuite vérifié quels joueurs surpassaient ou, au contraire, n’atteignaient pas le GAR attendu pour leur rang de sélection. L’idée, c’était de découvrir s’ils partageaient des caractéristiques communes. Et c’est ici que ça devient intéressant.

Les petits joueurs dépassent grandement les attentes.

Ils présentent un meilleur GAR que les autres joueurs repêchés au même rang qu’eux. Par une bonne marge, en plus.

« Non seulement les petits espoirs créent une valeur ajoutée supérieure par rapport à leur rang de sélection, mais également ils sont des choix plus sûrs, écrit Chace McCallum. C’est vrai peu importe la position. Même les défenseurs de petite taille ont largement surpassé leurs homologues plus grands en termes de valeur ajoutée [pour leur rang de sélection]. »

Bon, ça ne signifie pas que les gros joueurs sont mauvais ou inutiles. On vient de le voir en finale de la Coupe Stanley : une brigade défensive constituée d’hommes forts, ça aide.

Ce que l’étude démontre, par contre, c’est que les recruteurs repêchent les gros joueurs trop tôt, et les petits joueurs trop tard. Les hockeyeurs plus costauds profitent donc d’un biais favorable. Ça peut expliquer pourquoi des joueurs de 5 pi 10 po et moins, comme Brendan Gallagher, Andrew Mangiapane et Jesper Bratt, ont été choisis après le quatrième tour. Pourquoi Mats Zuccarello (573 points), Torey Krug (444 points) et Jonathan Marchessault (418 points) n’ont même pas été repêchés. Pourquoi, aussi, tant d’espoirs de 15, 16, 17 ans sentent le besoin de tricher lorsqu’on les mesure.

L’ancien joueur étoile du Canadien Mark Recchi a déjà raconté avoir mis une épaisse couche de ruban gommé à l’intérieur de ses chaussures pour grandir d’un pouce, peu avant le repêchage. Malgré une saison de 154 points dans la Ligue de l’Ouest, le petit attaquant a quand même dû attendre au quatrième tour avant d’être sélectionné.

Les bons marqueurs comme Mark Recchi ont également tendance à être sous-estimés par les recruteurs de la LNH, révèle Chace McCallum. C’est étonnant, note-t-il, car la production offensive dans l’année qui précède le repêchage est un des meilleurs indices pour prévoir les performances futures d’un joueur dans la LNH.

À l’opposé, Chace McCallum prouve que les recruteurs ont un biais favorable envers les joueurs qui passent beaucoup de temps au banc des pénalités.

« Les équipes de la LNH ont surévalué les joueurs ayant un nombre élevé de minutes de punition, explique-t-il. L’analyse montre que les espoirs les plus punis ont tendance à connaître de moins bonnes carrières dans la LNH que les autres joueurs présentant des caractéristiques similaires [âge, ligue, position] et qui sont repêchés dans la même fourchette.

« Les amateurs de hockey aiment voir les joueurs se frapper et se battre. Ce sont des actions posées plus souvent par les joueurs les plus punis. Peut-être que les équipes de la LNH sont rationnelles dans leur évaluation des joueurs les plus punis, et qu’elles tiennent compte du fait que [ces joueurs] favorisent l’affluence, donc les revenus de l’entreprise. »

Mais alors, se demande-t-il, pourquoi les faire jouer moins souvent, s’ils ont un tel impact sur les revenus ?

Euh… Bon point.

Du bon grain à moudre, dans un repêchage où les espoirs les plus clivants, comme Matvei Michkov, Zach Benson et Jayden Perron, sont tous de gros producteurs de points relativement peu punis, et listés à 5 pi 10 po et moins.