En avril 2022, le Canadien a conclu sa pire saison depuis la Seconde Guerre mondiale chez lui, au Centre Bell, sous un tonnerre d’applaudissements. Une ovation monstre. Une immense boule d’amour des partisans, qui voulaient faire comprendre aux joueurs que même dans la médiocrité, leur soutien resterait indéfectible.

Un an plus tard ? Le ton a changé. Le soutien a fait place à une certaine indifférence. Après le dernier match de la saison, jeudi, il n’y a pas eu de grande communion. Pas d’ovation. Pas grand-chose, en fait. C’était plus feutré. Lors des parties précédentes, on a même entendu quelques huées, les soirs de carnage. Mais on a surtout constaté que même si le Canadien annonçait des salles combles, il y avait des centaines de sièges vides. Plus d’un millier, même, face aux Red Wings de Detroit et aux Capitals de Washington, la semaine dernière. Ça signifie que ces acheteurs ont choisi de ne pas assister au spectacle, et qu’ils n’ont pas réussi à revendre ou redonner leurs billets.

La période de grâce de la nouvelle administration achève-t-elle ?

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Après le dernier match de la saison, jeudi soir, les joueurs du Canadien ont salué la foule du Centre Bell, recevant une réponse plus feutrée qu’à pareille date l’an dernier.

Non, si j’en juge par les commentaires des partisans sur les réseaux sociaux. Des amateurs, surtout parmi les plus jeunes, sont même prêts à endurer une reconstruction de cinq, six ou sept ans. Mais ceux qui achètent des abonnements au Centre Bell seront peut-être moins patients. Un fidèle partisan a d’ailleurs écrit une longue lettre aux journalistes de La Presse, mardi, pour dénoncer la surprime imposée lors de certains matchs.

C’est quoi ?

Lorsque le Canadien affronte des équipes populaires, généralement les meilleures de la Ligue nationale, il vend des billets plus cher. Or, il est arrivé quelques fois, ces derniers mois, que ces adversaires dominent le Canadien à domicile. « Cette taxe humiliation sera-t-elle reconduite en 2023-2024 ? », nous écrivait ce partisan.

C’est peut-être anecdotique. Mais peut-être pas, non plus. À lire vos courriels, depuis un mois, je devine que la patience n’est pas répartie équitablement entre tous les fans. Le Canadien a profité d’un mulligan ces deux dernières années. Le vice-président aux opérations hockey, Jeff Gorton, a d’ailleurs tenu à vous remercier pour votre patience, vendredi. La saison dernière, il fallait faire le grand ménage. Cette année, la loterie pour Connor Bedard le justifiait.

Après, je doute que vous soyez prêts à accepter de longues léthargies de six, sept et douze ans, comme celles des Sénateurs d’Ottawa, des Red Wings de Detroit et des Sabres de Buffalo, trois rivaux de division du Canadien qui, malgré de bons repêchages, sont incapables de rejoindre le peloton de tête.

Bonne nouvelle : la direction du Canadien ne semble pas désirer rester une moitié de décennie dans la cave. C’est ce que je retiens de son bilan de fin de saison. Jeff Gorton et le directeur général, Kent Hughes, souhaitent diriger une équipe qui progresse, plutôt qu’un club qui régresse.

Alléluia.

« Nos attentes vont changer », a indiqué Kent Hughes, en parlant de la prochaine saison. « Je ne sais pas si nous ferons les séries. Mais nous ne commencerons pas la saison en affirmant que nous serons exclus des séries. J’espère qu’on va se battre pour les faire. Si on ne les fait pas, ce sera correct aussi. »

À une autre question, il a répondu : « Quand on est arrivés [à la direction de l’équipe], l’an passé, on perdait. On savait que les séries n’étaient pas un objectif. L’environnement était lourd. On voulait que ça soit plus léger. Je pense qu’on a accompli cela. [Maintenant], plus on ajoutera des victoires, plus le fun va baisser. La manière de définir le fun changera un peu. On va accepter une certaine attente. »

Ensuite, pas besoin d’être l’inspecteur Clouseau pour déduire que le Canadien a une longue côte à remonter. À moins de gagner la loterie ET d’acquérir un attaquant de la trempe de Pierre-Luc Dubois contre des joueurs non établis, j’ai de la difficulté à imaginer le Tricolore souffler dans le cou des grosses puissances de la division Atlantique dès l’automne prochain.

Oui, mais Juraj Slafkovsky.

Oui, mais Kaiden Guhle.

Oui, mais Arber Xhekaj.

Je comprends votre enthousiasme – et le partage en partie. Mais je vous rappelle que ces trois joyaux de l’organisation se remettent de blessures importantes. Lorsqu’ils reviendront au jeu, en septembre, ce sera après une convalescence de six à huit mois. C’est une période d’absence significative.

« C’est sûr qu’il y aura un impact, a reconnu Kent Hughes. Slaf et Arber ont raté une quarantaine de matchs. Ce sont des parties très importantes. Martin St-Louis parle souvent de reps [répétitions]. C’est sûr qu’ils ont perdu des reps. Il n’y a pas eu zéro développement. Ils ont regardé les matchs de [la galerie de presse] en haut. On a essayé, dans cette situation, de leur demander de suivre le jeu de certains joueurs. Au moins, il y a eu du développement mental. […] Est-ce que je suis inquiet [de la période de] réapprentissage ? Non. Mais peut-être qu’ils ne sont pas au niveau où ils auraient pu être. »

Jeff Gorton, toujours intéressant en conférence de presse, a lui aussi parlé de séries éliminatoires, mais avec plus de retenue que son bras droit.

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Jeff Gorton, vice-président des opérations hockey du Canadien de Montréal

« Je n’aime pas mettre des échéanciers. Nous essayons de construire de la bonne manière. Je vous dirais que si nous prenions seulement des raccourcis, si nous faisions quelques trucs pour être un peu meilleurs, juste pour nous qualifier pour les séries, je ne pense pas que ce serait la bonne façon de procéder. Je pense que de construire [la formation], de développer et de laisser aller les choses organiquement, à travers notre processus, c’est la voie à suivre. »

À deux reprises, il a affirmé voir des similitudes entre la reconstruction du Canadien et celle qu’il a amorcée avec les Rangers de New York, il y a cinq ans. Une comparaison qui m’a étonné.

D’abord, les Rangers n’ont jamais été aussi mauvais que le Canadien ces deux dernières années. Au plus creux de leurs déboires, les Rangers ont terminé au 26e rang. Comment ont-ils pu repêcher Kappo Kakko au deuxième rang, en 2019, puis Alexis Lafrenière au premier rang, en 2020 ? En étant très, très, très chanceux. Ils ont gagné à la loterie deux années de suite. Ça accélère une reconstruction.

En parallèle, les Rangers ont acquis Artemi Panarin, Adam Fox, Patrick Kane et Jacob Trouba pour trois fois rien, car ces joueurs désiraient tous jouer à New York. Ça aussi, ça aide. Aux dernières nouvelles, le Canadien ne possède pas encore ce pouvoir d’attraction. Enfin, les Rangers misent sur un gardien exceptionnel, ce que le Tricolore ne possède pas dans son organisation.

Correction.

Il en a un.

Sauf qu’il ne joue plus.

Le retour vers le chemin des victoires sera beaucoup plus cahoteux pour le Canadien que pour les Rangers. Mais bon, au-delà de cette comparaison audacieuse, j’ai apprécié entendre les patrons du Canadien recommencer à parler d’attentes. De victoires. De séries, même si c’était du bout des lèvres.

À la désolation, je préfère l’ambition.