Comment des hockeyeurs québécois se sont-ils retrouvés sur des timbres de la Guyane, du Mozambique et de l’Éthiopie à leur insu ?

C’est une histoire complètement timbrée. « Me niaises-tu ? », m’a lancé l’agent Paul S. Hamel lorsque je lui ai appris que son client Maxim Noreau – qui a disputé six matchs dans la LNH – était en vedette sur des timbres légaux du Togo et de la Sierra Leone.

François Lacerte, étudiant en génie mécanique, a éclaté de rire lorsqu’il s’est vu sur un timbre illégal de l’Éthiopie, dans son vieil uniforme des Olympiques de Gatineau. « Je suis sur un timbre ? C’est tellement drôle. Ça va faire une bonne histoire à raconter à mes chums en fin de semaine ! »

Qui produit ces timbres ?

Des agences nationales de poste. Un sous-traitant lituanien. Des faussaires, aussi. En me perdant sur des sites spécialisés, j’ai découvert un monde surréaliste, dans lequel le Canadien et les Nordiques sont des nations participantes aux Jeux olympiques, et où une petite île des Antilles rend hommage à « Shi » Weber, Jeff « Pitry » et Karl Alzner – fautes incluses. C’est difficile de distinguer le vrai du faux. Essayons d’y voir plus clair.

Marie-Philip Poulin (Mozambique, 2010)

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En haut à droite : Marie-Philip Poulin, cigare à la bouche et médaille au cou, célèbre le titre de l’équipe canadienne de hockey aux Jeux de Vancouver sur un timbre légal du Mozambique.

Marie-Philip Poulin, cigare à la bouche et médaille au cou, célèbre le titre de l’équipe canadienne de hockey aux Jeux de Vancouver. C’est un vrai timbre, autorisé par l’agence postale du Mozambique, mais produit par une agence externe, Stamperija.

Depuis 20 ans, cette entreprise lituanienne a convaincu une dizaine de pays d’Afrique de lui confier leur production postale. Stamperija a ensuite inondé le marché de timbres destinés aux collectionneurs, et n’ayant aucun rapport avec l’histoire de ces pays.

Dans le milieu philatélique, cette pratique est controversée. C’est que ces timbres sont rarement offerts dans les pays émetteurs. Pour se les procurer, il faut passer par des sites de revente, ou celui de l’agence.

« Nous n’étions pas au courant » de l’existence de ce timbre, m’a indiqué l’agente de Marie-Philip Poulin, Dominique Ladouceur. J’ai demandé à Stamperija si l’entreprise possédait les droits d’image pour les Jeux olympiques et les Championnats du monde.

« Normalement, [les timbres] ne devraient pas porter de logos, de trophées et d’autres éléments sous licence liés à des lieux particuliers », m’a répondu un porte-parole.

« Les joueurs ont pu être considérés comme des personnes publiques internationales qui méritent d’être honorées sur des timbres. Gardez à l’esprit que la décision d’émettre des timbres a été prise et validée par les autorités postales des pays concernés, et non par Stamperija. » C’est toutefois Stamperija qui propose la plupart des sujets, précise le porte-parole.

Maxim Noreau (Sierra Leone 2018, Togo 2018)

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Maxim Noreau apparaît sur deux timbres produits par Stamperija, dont sur un timbre du Togo.

Maxim Noreau apparaît lui aussi sur deux timbres produits par Stamperija. Un de la Sierra Leone, l’autre du Togo, deux pays n’ayant aucune culture de hockey. Un choix étonnant. Contrairement à Marie-Philip Poulin, Maxim Noreau n’est pas une supervedette. Il n’a disputé que six parties dans la Ligue nationale de hockey. S’il apparaît ici dans l’uniforme de Hockey Canada, c’est parce que l’absence des joueurs de la LNH aux JO lui a permis de participer aux Jeux de PyeongChang et de Pékin.

Maxim Noreau n’a jamais donné son accord pour la production de ces deux timbres, indique son agent, Paul S. Hamel. « Si on reçoit un chèque un jour, on te promet le scoop ! »

Alexander Killorn (Sierra Leone, 2017)

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Alexander Killorn ignorait complètement qu’il apparaissait sur un timbre de la Sierra Leone.

Un autre joueur québécois qui apparaît à son insu sur un timbre de Stamperija. « Alex ne connaît rien à propos de ce timbre », m’a écrit son agent.

Le président de la Société philatélique de Québec, Yves Racine, collectionne les timbres de hockey. Selon lui, ces timbres produits en grande quantité n’ont aucune valeur sur le marché secondaire. « Je ne connais aucun philatéliste sérieux qui collectionne ces timbres d’agence. » Notez qu’il est très difficile de trouver des versions oblitérées de ces timbres, car ces timbres ne sont pratiquement jamais employés dans les pays émetteurs.

Martin Brodeur (îles Solomon, 2016)

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Martin Brodeur sur un timbre des îles Solomon

Un autre timbre produit par Stamperija. « Pas de logo », disait-on ? Ça ressemble drôlement à celui des Devils du New Jersey. Ça ressemble drôlement au plus célèbre numéro 30 de l’organisation, Martin Brodeur…

Alexei Emelin (Guinée-Bissau, 2017)

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Alexei Emelin sur un timbre de Guinée-Bissau

Aussi offert sur le site de Stamperija. Personne ne reconnaîtra le chandail avec le logo inversé du CH…

François Lacerte (Éthiopie, 2016)

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François Lacerte, gardien des Olympiques de Gatineau, apparaît sur un timbre illégal de l’Éthiopie.

Pourquoi un gardien des Olympiques de Gatineau n’ayant jamais joué dans les rangs professionnels intéresserait-il les Éthiopiens ? Si ça sonne faux, c’est bien souvent parce que c’est un faux. Ce timbre est illégal. Il a été produit par des faussaires. Son origine est inconnue.

« C’est une des choses les plus bizarres qui me soient arrivées dans la vie, m’a raconté François Lacerte. J’ai joué dans la LHJMQ, mais je n’ai pas eu une grosse carrière. De me ramasser sur un timbre, qu’il soit en circulation ou non… Je trouve ça cool. C’est sûr qu’il y a des droits à l’image qui ont été bafoués, mais ça reste quand même drôle. »

Carey Price/Jonathan Quick (Éthiopie, 2016)

Dans la même série, on retrouve cet ovni. Un timbre de Carey Price, chapeauté du nom de Jonathan Quick, gardien des Kings de Los Angeles. Un faux, évidemment.

José Théodore (Éthiopie, 2016)

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José Théodore sur un timbre illégal de l’Éthiopie

José Théodore apparaît lui aussi dans cette série sens dessus dessous. Il était tout aussi intrigué qu’amusé, surtout quand j’ai évoqué le faux timbre de Carey Price/Jonathan Quick. « Tant qu’à faire de faux timbres, fais un minimum de recherche ! […] Je suis tellement curieux de savoir c’est quoi. »

L’hypothèse la plus probable, c’est lorsque Stamperija a inondé le marché de timbres africains, des faussaires ont vu une porte s’ouvrir. Ces timbres ne sont répertoriés par aucun catalogue. L’Union postale universelle diffuse régulièrement des avis pour prévenir les philatélistes de la prolifération de ces timbres illégaux.

Shea Weber, Jeff Petry, Karl Alzner, Alex Galchenyuk (Saint-Vincent-et-les-Grenadines, sans date)

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Une série de faux timbres sur des joueurs du Canadien

« Shi » Weber ? Jeff « Pitry » ? Cette série non datée, trouvée sur un site russe, semble tout à fait crédible…

Jocelyn Thibault (Guyane, 1998)

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Jocelyn Thibault sur un timbre de la Guyane

Celui-là est un vrai, répertorié dans les catalogues Michel et Stanley Gibbons. Il fait partie d’une série de 36 timbres de joueurs de la LNH émis par la Guyane, un petit pays d’Amérique du Sud n’ayant absolument aucune tradition de hockey. Pourquoi Jocelyn Thibault spécifiquement ? « Je n’étais pas au courant de ça. C’est bizarre », m’a répondu l’ancien gardien du Canadien. Notez le logo du fabricant de cartes sportives Donruss, dans le coin inférieur gauche. Des cartes présentant une image de ces timbres étaient insérées dans les paquets de la série Donruss Priority, en 1997-1998.

Les Nordiques de Québec (îles Cook, 1994)

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Les Nordiques... sur un timbre des îles Cook

Ce n’est pas parce que c’est un vrai timbre que ça doit être réaliste. Sur ce timbre des îles Cook, deux hockeyeurs s’affrontent : un rouge, qu’on devine être russe, et un autre, vêtu d’un chandail des Nordiques de Québec, avec les fleurs de lys bleues sur les épaules. Évidemment, les Nordiques n’ont jamais participé aux JO.

Les Nordiques de Québec (Libéria, 1980)

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Une autre version de l’image du timbre précédent, mais cette fois pour un timbre du Libéria

Le plus étonnant, c’est que la même image a été diffusée sur un autre timbre, celui-là du Libéria, pour souligner les Jeux de 1980. Seules quelques retouches ont été apportées. Le timbre pourrait avoir été inspiré d’une photo de 1977 ou 1978, alors que les Nordiques et l’équipe de l’Union soviétique s’étaient affrontés cinq fois. Le numéro 24 des Nordiques semble être le défenseur gaucher Jean Bernier.

Alex Kovalev (Biélorussie, 2010)

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Alex Kovalev sur un timbre de la Biélorussie

Un petit dernier pour s’amuser. Lui aussi est un vrai timbre, émis par la Biélorussie, dans le cadre d’une série sur les Jeux de Vancouver. On distingue nettement Alex Kovalev, du Canadien, contourner un joueur biélorusse. Le graphiste s’est permis une petite fantaisie, en inversant le logo du Tricolore. Encore là, non, le Canadien n’a jamais participé aux JO. En fait, il n’a jamais affronté l’équipe nationale de la Biélorussie.

Mais dans l’univers surréaliste des timbres de hockey, est-ce vraiment important ?