(Doha) Le président de la FIFA, qui en a assez d’être critiqué, veut qu’on parle de soccer.

D’accord.

Angleterre 6, Iran 2.

Maintenant, parlons des vraies affaires. Des deux heures extrêmement tendues qui ont précédé le coup d’envoi de cette partie.

Le capitaine de l’Angleterre, Harry Kane, avait prévu jouer avec un bandeau multicolore pour dénoncer la discrimination dont sont victimes les membres de la communauté LGBTQ+ au Qatar. Les capitaines de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de l’Écosse, des Pays-Bas et de la Suisse avaient prévu de même.

Ces nations ont informé la FIFA de leurs intentions au mois de septembre. Depuis ? Aucune nouvelle. Rien. Nada. Puis tout juste avant la partie initiale de l’Angleterre, la FIFA s’est finalement prononcée.

Vous voulez porter le bandeau ? N’y pensez même pas. Sinon, nous punirons vos joueurs.

Les fédérations s’attendaient à devoir payer une amende. Elles étaient évidemment prêtes à l’assumer. Or, la FIFA a sorti l’artillerie lourde : des sanctions sportives, pouvant aller jusqu’à un carton jaune. Un carton jaune, c’est une épée de Damoclès. Si vous avez deux cartons dans un même match, vous êtes expulsé. Deux dans le premier tour, vous êtes suspendu une partie.

« En tant que fédérations nationales, nous ne pouvons pas demander à nos joueurs de risquer des sanctions sportives, y compris des cartons jaunes », ont écrit les sept nations dans un communiqué commun.

Harry Kane s’est donc présenté sur le terrain avec un brassard noir, sur lequel était écrit No Discrimination. Un slogan officiel de la FIFA. Vous trouvez déplorable que les Anglais aient renié la promesse faite aux membres de la communauté LGBTQ+ ? Je vous comprends très bien. Maintenant, ne dévions pas le regard des véritables coupables de cette sinistre affaire : le Conseil suprême du Qatar et la FIFA.

PHOTO PAVEL GOLOVKIN, ASSOCIATED PRESS

La capitaine de l’Angleterre, Harry Kane, s’est présenté sur le terrain avec un brassard noir, sur lequel était écrit No Discrimination.

Du Conseil suprême, je ne m’attends évidemment pas à grand-chose. Il est contre l’homosexualité, point barre. Les contrevenants s’exposent à des amendes et à des peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Ce qui est honteux et extrêmement perturbant, c’est l’aplaventrisme de la FIFA face à un régime monarchique qui, après avoir interdit la vente d’alcool dans les stades vendredi, lui impose de nouveau ses volontés.

Où sont passés tous les grands idéaux de justice sociale de la FIFA ? Souvenez-vous de toutes ces belles campagnes de sensibilisation pour l’inclusion et la diversité. Tenez, en juin dernier, la FIFA a hissé le drapeau arc-en-ciel de la communauté LGBTQ+ devant son quartier général, en Suisse. Pour souligner le mois de la Fierté, elle a ajouté des filtres multicolores sur ses comptes de réseaux sociaux. Lors de la même occasion, elle avait aussi annoncé la « mise en place des mesures pour garantir que la Coupe du monde soit accueillante et inclusive ».

Restez avec moi, le meilleur s’en vient.

« La Coupe du monde de la FIFA au Qatar sera une célébration de l’unité et de la diversité, indiquait la fédération. Une réunion de personnes de tous horizons, sans distinction de race, d’ethnicité, de religion, d’âge, de handicap, d’orientation et de caractéristiques sexuelles. »

À la condition que vous ne soyez ni gai, ni lesbienne, ni bisexuel, ni transgenre, si j’ai bien compris. Quelle hypocrisie.

Comment croire désormais à la sincérité des campagnes de sensibilisation de la FIFA ? No Discrimination, vraiment ?

Comment éviter d’être cynique face à cette organisation qui, depuis 15 ans, admire les régimes autocratiques et patauge dans la corruption ? C’est la même organisation qui, je le rappelle, exigeait des investissements de 300 millions de dollars de nos gouvernements pour la présentation de trois matchs de la Coupe du monde de 2026 à Montréal. Le gouvernement Legault a tranché : c’est non. Mais d’autres États en Amérique du Nord ont accepté les conditions de la FIFA.

À l’opposé des dirigeants de la FIFA, les joueurs iraniens n’ont pas manqué de courage, lundi. Non, ils n’ont pas porté le bandeau arc-en-ciel. Mais ils ont fait un geste encore plus risqué : ils ont refusé de chanter leur hymne national, pour protester contre la violence et la répression des ayatollahs envers le peuple iranien. Un geste puissant, qui a marqué les esprits.

« Nous devons reconnaître que les conditions dans notre pays ne sont pas correctes, et que notre peuple est malheureux », a souligné le capitaine Ehsan Hajsafi, quelques heures avant le match. « Nous sommes ici, mais ça ne signifie pas que nous ne devons pas porter les voix [des protestataires]. »

Les Iraniens ont perdu le match, mais ils ont gagné l’estime.

La FIFA s’enrichit, mais elle perd le respect.