C’est une histoire d’espoir. D’entraide. D’amour, même, entre un homme et sa patrie. Promis, vous terminerez la lecture de cette chronique avec le sourire. Mais pour vous la raconter, un triste détour sera nécessaire.

Cette histoire, c’est celle de l’attaquant du CF Montréal Kei Kamara. Et elle commence dans un tout petit pays d’Afrique, à peine plus grand que l’Abitibi, la Sierra Leone. C’est là qu’il a grandi, au sein d’une famille nombreuse. Il avait 6 ans lorsque sa mère a quitté la maison pour émigrer aux États-Unis. Peu de temps après, une guerre civile a éclaté. Un conflit épouvantable, qui durera 10 ans.

La population a terriblement souffert. Des enfants furent kidnappés, puis enrôlés de force comme soldats. Ou abusés sexuellement. Des adolescents et des adultes furent amputés des mains, des bras ou des jambes, à coups de machette. Des familles entières furent assassinées en pleine rue. Selon des estimations prudentes, relayées par les Nations unies, 70 000 personnes furent tuées pendant le conflit.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kei Kamara

Kei Kamara habitait alors à Kenema, une ville opposée aux rebelles. « C’était tragique », me confie-t-il, avec retenue. Ce n’est pas un sujet qu’il aime aborder. Une des rares fois qu’il l’a fait, c’était dans une entrevue au magazine Rolling Stone, en 2015.

Ce n’est rien que je souhaiterais à un enfant. Vous voyez des choses que les enfants normaux ne voient pas. Des assassinats, des massacres brutaux, des pillages, des incendies de maisons ou de commerces.

Kei Kamara, au magazine Rolling Stone, en 2015

C’est le plus loin qu’il est allé, publiquement, dans la description des évènements. « J’essaie de ne pas trop en parler, explique-t-il. Lorsque je le fais, c’est pour sensibiliser les gens au sort de mon peuple. » Dans notre conversation, il ajoutera que la vie, pendant la guerre, était « très, très difficile ». « J’ai raté beaucoup d’école. Cela a affecté mon cheminement scolaire. Nous avons aussi perdu beaucoup de membres de notre famille. »

Pendant toutes ces années, il s’est accroché à un espoir : rejoindre sa mère aux États-Unis. « C’était la guerre tout autour. Il y avait des combats. Les gens mouraient. Mais dans ma tête, je me disais : un jour, j’irai voir ma mère en Amérique. »

À 14 ans, Kei Kamara a quitté son pays natal pour la Gambie. À 16 ans, il a retrouvé sa mère, en Californie, grâce à un statut de réfugié. Quelques mois plus tard, pour la première fois de sa vie, il s’inscrivait dans une véritable équipe de soccer.

Aujourd’hui, la guerre en Sierra Leone est terminée. À 38 ans, Kei Kamara pose un autre regard sur son pays d’origine.

Maintenant, je veux faire de mon mieux pour parler des choses positives que nous pouvons faire pour aider les enfants de la Sierra Leone. Pour leur permettre de voir grand.

Kei Kamara

Son projet : contribuer au développement de son pays.

Avec l’aide, entre autres, de Québécois.

Comme nouveau joueur du CF Montréal la saison dernière, Kei Kamara s’est rapidement intégré à son nouvel environnement. Tant sur le terrain qu’à l’extérieur. Fort apprécié de ses coéquipiers, il s’est aussi fait des amis dans la communauté. Notamment Étienne Trudeau, représentant pour l’équipementier New Balance.

Étienne connaissait Kei de réputation. Il lui avait déjà envoyé un message, il y a deux ans, pour le féliciter pour son implication sociale — soulignée par le titre de joueur humanitaire de la MLS, en 2015. Ensemble, ils ont commencé à organiser des collectes de fonds et de matériel pour les enfants de la Sierra Leone. Ici, dans une conférence à Boucherville. Là, dans des ateliers à Longueuil, Saint-Lambert et La Prairie. Ils ont récolté toutes sortes de choses. Des chandails. Des shorts. Des bicyclettes. New Balance et Running Free ont donné des souliers. Basketball Canada, des ballons. La société québécoise Pélican, des kayaks. Même le Toronto FC, ennemi juré du CF Montréal, a poussé à la roue en transportant en avion les dons des Torontois.

PHOTO FOURNIE PAR ÉTIENNE TRUDEAU

Kei Kamara et Étienne Trudeau

« Les Canadiens sont vraiment très, très, très généreux », souligne Kamara, ému.

L’entreprise In-Sport Fashions a gratuitement offert un local, à Lachine, pour entreposer les biens reçus. C’est là que le joueur du CF Montréal est allé rejoindre des amis québécois, trois jours avant le dernier match éliminatoire, pour préparer l’envoi du matériel vers la Sierra Leone.

La taille du conteneur ?

Quarante pieds !

C’est lui-même qui ira le récupérer, de l’autre côté de l’Atlantique, en décembre. C’est aussi lui qui distribuera le matériel sur place. Il l’a déjà fait, dans le passé, après des cueillettes aux États-Unis. « Mais celle-là, c’est ma première du Canada », dit-il fièrement. Les objets seront remis dans des écoles de soccer, ainsi qu’aux enfants qu’il croisera dans les villages sur son chemin.

Partout, je leur dis que ce sont des cadeaux d’étrangers qui pensent à eux. Vous devriez voir la joie dans leurs yeux.

Kei Kamara

Les collectes, c’est le volet le plus connu de sa fondation, Heart Shaped Hands. Mais Kei Kamara caresse un autre projet, beaucoup plus ambitieux, celui-là. Plus cher, aussi. La construction d’une école à vocation sportive, dans la capitale du pays.

PHOTO FOURNIE PAR ÉTIENNE TRUDEAU

Quelques-uns des objets amassés lors des collectes de dons

Son souhait : que les Sierraléonais puissent conjuguer le sport et les études, comme lui a pu le faire, après avoir immigré aux États-Unis.

« Tout ce que j’ai, je le dois au sport et à l’école. C’est ce qui m’a permis de rencontrer des gens, et de voyager dans le monde. Je veux que d’autres aient les mêmes possibilités. »

L’éducation, pour moi, c’est la priorité. Dans plusieurs pays du tiers-monde, pas juste en Sierra Leone, vous croisez beaucoup de gens sans éducation. Ils veulent devenir des athlètes. Or, une carrière sportive, ça ne dure pas éternellement. Et si vous ne percez pas, vous n’aurez ni le sport ni l’éducation pour vous en sortir.

Kei Kamara

Il a déjà acheté le terrain. Une propriété de 100 acres, près d’une rivière, où pourront être déployés les kayaks de Pélican. « Je veux construire une école avec un pensionnat, où les enfants pourront vivre, étudier, jouer au soccer, apprendre les bases de l’agriculture et le travail du bois. C’est ça, mon objectif. »

Nous sommes en milieu d’après-midi. Kei Kamara doit partir chercher ses trois enfants, à l’école justement. Avant de se quitter, il me demande de relayer ses remerciements aux Montréalais pour leur soutien dans la dernière année.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Kei Kamara avec de jeunes joueurs de soccer, lors de l’inauguration du parc du Moulin, à Laval

Les Montréalais m’ont vraiment accueilli comme un des leurs. Ils ont donné à ma fondation. Ils ont aidé les enfants de la Sierra Leone. Ce que j’ai ressenti, à Montréal, c’est que les relations sont fortes. Les gens s’aiment vraiment. Je n’ai jamais regretté mon choix d’aller y jouer.

Kei Kamara

Parenthèse : Kamara possède un contrat de deux saisons, mais l’équipe n’a pas encore activé son option pour la prochaine année.

« Qu’as-tu préféré ici ? », lui ai-je demandé.

« Les gens. J’ai laissé ma femme et mes enfants derrière moi, au Kansas, pendant une année complète. Ils m’ont manqué énormément. Mais je me suis senti tellement bien, à cause des gens, des partisans, de l’ambiance au stade, d’Étienne et sa famille. Partout où j’allais, on me faisait sentir que j’étais à Montréal depuis longtemps. J’ai adoré la diversité de la ville, et l’accueil des Montréalais envers les étrangers. »

C’est une histoire d’espoir, d’entraide et d’amour entre un homme et sa patrie, vous disais-je. J’ajouterai : c’est aussi une histoire d’amour entre lui et nous.