À moins d’un miracle, Carey Price a disputé son dernier match dans la LNH. Même s’il n’a pas gagné la Coupe Stanley, il a marqué l’histoire contemporaine du Canadien. D’où la question : faut-il lui conférer l’ultime distinction et retirer son numéro 31 ?

Si le Canadien l’honore ainsi, ce sera une rupture majeure avec la tradition. Les 15 numéros retirés honorent 18 légendes qui ont participé à la conquête du célèbre trophée. Il s’agit d’un groupe sélect. Des joueurs très méritants, comme Jacques Lemaire, n’ont pas obtenu cette reconnaissance.

D’entrée de jeu, réglons un premier dossier : Price sera élu au Temple de la renommée du hockey. Le contraire serait loufoque puisque ses exploits sont exceptionnels. Il a remporté l’or olympique (2014) et la Coupe du monde (2016), en plus de recevoir des récompenses individuelles après sa mythique saison 2014-2015 : les trophées Hart, Lindsay, Vézina et Jennings. Cette feuille de route lui ouvre toutes grandes les portes du Temple.

Mais entre une admission au Temple et un chandail retiré, il y a un écart.

Dans le premier cas, on reconnaît l’immense contribution d’un joueur à son sport en soulignant avec éclat sa carrière.

Dans le deuxième, on va plus loin : on affirme avec force que ses performances et sa présence ont été à ce point remarquables que personne dans l’avenir de l’équipe ne mérite de porter le même numéro. Cette décision, souvent prise plusieurs années après la retraite du joueur, consacre à jamais son héritage.

De solides arguments militent en faveur du retrait du numéro de Price. Il a joué toute sa carrière avec le Canadien et en fut longtemps la véritable vedette. S’il ne portait pas le titre de capitaine, il en demeurait l’incontestable leader. Toute l’équipe tournait autour de lui. Price a rendu ses coéquipiers meilleurs et ses adversaires nerveux. Son impact dans les matchs a été déterminant.

Aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014, Price a vécu une expérience unique. Je me rappelle son sourire à son arrivée, ce qui n’était pas fréquent chez lui à cette époque. Un an plus tôt, il avait expliqué combien l’anonymat lui manquait dans une ville folle de hockey comme Montréal.

De retour des Jeux, Price a pris une dimension additionnelle. Comme s’il venait enfin de réaliser – et d’accepter – qu’il était un des meilleurs joueurs au monde. C’est malheureusement à ce moment que le malheur a frappé.

Ce printemps-là, beaucoup grâce à ses exploits, le Canadien s’est retrouvé en demi-finale de la Coupe Stanley contre les Rangers de New York. Dès le premier match au Centre Bell, il a été blessé à la suite d’une collision avec Chris Kreider. Sa saison et les espoirs du Canadien ont pris fin.

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Chris Kreider et Carey Price, lors du printemps 2014

On ne saura jamais quelle aurait été la suite des choses sans ce triste revirement. Les Rangers formaient une bonne équipe, mais personne ne les aurait confondus avec une puissance historique de la LNH. Ils ont éliminé le Canadien avant de s’incliner en finale contre les Kings de Los Angeles.

Bref, cette saison-là, après avoir battu le Lightning de Tampa Bay et les Bruins de Boston, le CH pouvait aspirer aux plus grands honneurs. La blessure de Price a brisé cet élan. Ce fut un moment pénible de sa carrière. Avec le recul, on réalise que si le CH avait gagné la Coupe cette saison-là, la question ne se poserait pas : le chandail de Price serait retiré.

Price a participé à une finale dans sa carrière, celle de 2021 contre le Lightning de Tampa Bay. Encore une fois, si le CH avait remporté cette série, le débat serait réglé et le numéro 31 serait immortalisé. Mais le Lightning était simplement trop fort.

En 2014 comme en 2021, le CH ne serait jamais allé si loin sans ses performances exceptionnelles. Mais est-ce suffisant pour mériter le retrait de son chandail ?

C’est ici que le nom de Patrick Roy s’insère dans la conversation. Le Canadien avait de bons clubs en 1986 et en 1993. Mais sans les arrêts prodigieux du numéro 33, l’équipe n’aurait jamais remporté la Coupe.

Roy a été transcendant aux moments où ça comptait le plus. Il a sauvé ses coéquipiers des dizaines de fois. Il a accompli, disons-le franchement, beaucoup plus que Price.

À mon avis, dans la liste des grands gardiens du Canadien depuis 50 ans, Patrick Roy devance Ken Dryden, qui devance Carey Price. Mais cela n’enlève rien au mérite du numéro 31. Les trois ont été des joueurs d’exception.

La LNH a changé depuis l’époque où le CH remportait à répétition la Coupe Stanley. L’augmentation du nombre d’équipes et l’implantation du plafond salarial ont provoqué un certain nivellement des chances.

Ces bouleversements font-ils en sorte que la conquête de la Coupe n’est plus un facteur essentiel pour retirer le numéro d’un joueur du Canadien ?

Je réponds oui à cette question. Après tout, on peut avoir marqué son époque – comme Price – sans avoir son nom gravé sur la Coupe. Le sport change et rien n’est immuable.

L’organisation du Canadien pourrait aussi trouver important – et c’est compréhensible – d’honorer un grand joueur d’une époque plus récente, un joueur que la majorité des fans ont vu à l’œuvre.

Mais avant de célébrer ainsi Price, le CH devrait retirer le numéro 21 de Guy Carbonneau, un capitaine dont le rôle a été déterminant dans l’obtention de deux Coupes Stanley et qui, sans l’ombre d’un doute, répond à tous les critères de sélection qu’on puisse imaginer.