Claude Raymond est le premier athlète professionnel que j’ai rencontré. C’était lors d’un stage de baseball, à la fin des années 1980. Il m’avait montré comment placer mes doigts sur les coutures pour réussir une balle à effet. J’étais tellement impressionné, je n’avais pas osé lui dire que j’étais plutôt un joueur de premier but.

Dix ans plus tard, je l’ai recroisé alors que je couvrais les Expos. J’ai même écrit un chapitre sur lui dans un livre sur l’édition 1959 des White Sox de Chicago. C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai réalisé que même après l’avoir côtoyé au Stade olympique et sur la route, je ne connaissais pas vraiment sa carrière. Oui, comme tout le monde, je savais qu’il avait lancé pour les Expos. Mais les années précédentes ?

Tout ce que j’avais trouvé, c’était une courte autobiographie, Le troisième retrait, publiée en 1973. Un curieux objet. Cette plaquette de 139 pages, écrite en caractères pour myopes, incluait un résumé de sa vie, des conseils techniques, un lexique des termes de baseball et des dizaines de pages de photos. Depuis ? Rien.

« Plusieurs personnes m’ont approché pour écrire une vraie biographie, m’a-t-il indiqué. J’ai toujours dit non. Je savais l’implication que ça allait me demander. » Jusqu’au jour où l’auteur Marc Robitaille (Un été sans point ni coup sûr) l’a rencontré, à Cooperstown, puis convaincu de raconter son histoire. Toute son histoire. « Il m’a dit : “Tu devrais laisser ça en héritage à tes enfants et à tes petits-enfants.” Il a marqué des points [rires]. »

Ainsi est née Frenchie, la biographie que Claude Raymond méritait.

Le récit est riche, fouillé et, surtout, truffé d’anecdotes. La générosité de Claude Raymond tranche avec celle d’autres anciens athlètes, dont les biographies ne sont qu’une version bonifiée de leur page Wikipédia. Avec Frenchie (son surnom), ce qui s’est passé dans le vestiaire sort enfin du vestiaire.

C’est avec affection qu’il parle de son idole de jeunesse, Robin Roberts, des Phillies de Philadelphie. « Quand j’étais enfant, m’explique-t-il, le Montréal-Matin avait publié quatre photos montrant comment il plaçait ses doigts sur les coutures. J’essayais de reproduire ses trucs. Quinze ans plus tard, nous étions cochambreurs. »

Il se montre admiratif de ses anciens coéquipiers Warren Spahn, Eddie Mathews, Nellie Fox ou Hank Aaron, tous admis au Temple de la renommée. Il a également de bons mots pour l’ancien gérant des Expos Frank Robinson, dont il fut l’adjoint lors des dernières saisons du club à Montréal. Ça m’a surpris, car Robinson n’avait vraiment pas fait bonne impression ici.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Raymond, avec les Braves d’Atlanta, en 1969

« On partait de loin, lui et moi », écrit-il dans sa biographie, racontée à la première personne.

« Depuis que je l’avais atteint d’un tir, en 1961, il m’avait toujours regardé d’un air méfiant, presque hostile. Mais à Montréal, nous avons appris à nous connaître. Pour Frank, ses joueurs étaient comme ses enfants. Ses instructeurs, comme des frères. Dans nos meetings, il voulait vraiment entendre notre opinion, c’était important pour lui. Il faisait tout en son pouvoir pour nous appuyer, pour nous protéger, parfois même contre l’avis de ses patrons. »

* * *

Frenchie, avertit Marc Robitaille dans son introduction, « a un parler bien franc. Il dit les choses exactement comme il les a vues ou comprises ». Ainsi, Claude Raymond n’hésite pas à envoyer quelques rapides à l’intérieur à ceux qu’il a moins appréciés.

L’ancien gérant des Expos Gene Mauch tombe de son piédestal. Il est présenté comme un homme vil, méchant et toxique. « J’aurais pu en raconter encore plus sur lui, me dit Claude Raymond. Ma carrière s’est terminée à cause de lui. »

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Raymond, avec les Braves d’Atlanta

Un ancien coéquipier chez les Braves, Rico Carty, est aussi écorché. Raymond raconte l’avoir vu se battre avec Hank Aaron dans un avion. Felipe Alou avait ensuite défié Carty — un champion boxeur – dans un combat. « Quand [Felipe] vous fixait avec son regard perçant, on y pensait à deux fois avant de répliquer. » Carty s’était défilé.

Mais c’est pour l’ancien propriétaire des Expos Jeffrey Loria et son beau-fils et vice-président du club, David Samson, que Claude Raymond a gardé ses mots les plus durs. Il revient sur un incident survenu pendant un match amical entre les journalistes et les employés des Expos, auquel Samson avait pris part. Raymond l’avait atteint d’un tir, puis forcé à frapper une petite chandelle à l’avant-champ. Samson ne lui a plus jamais reparlé, jusqu’à ce qu’il le congédie, pendant le temps des Fêtes.

La grosse classe.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Raymond et Brad Wilkerson, après le dernier match local des Expos, au Stade olympique, en 2004

D’autres anecdotes sont révélatrices des tensions sociales dont il fut un témoin privilégié, dans les années 1950 et 1960.

Dans plusieurs villes des États-Unis, écrit-il, la ségrégation raciale était « omniprésente ». « Quand nous jouions à Houston, c’était terrible de voir l’autobus de notre équipe s’arrêter dans un ghetto de la ville pour faire descendre Hank [Aaron], alors que nous poursuivions notre route jusqu’à notre hôtel de luxe. Ça révoltait nos vétérans Spahn, Lew Burdette et Mathews, qui ne se gênaient pas pour se lever dans l’autobus et dénoncer la situation. »

À un autre moment, Claude Raymond s’est retrouvé dans une ligue d’hiver, en République dominicaine. Une aventure marquante. Le propriétaire de son équipe a sorti un revolver pour régler le cas d’un arbitre. « Le climat autour du club n’était pas le plus sain : le soir, il fallait se barricader dans nos chambres et si ça frappait, on n’ouvrait pas sans bâton de baseball dans les mains. » Il a quitté le pays à la hâte, en pleine nuit, avec un coéquipier.

Son parcours, vous l’aurez compris, ne fut pas linéaire. Il y a eu des hauts et des bas, dans lesquels tous les lecteurs se reconnaîtront. Mais ce que je retiens le plus du récit, c’est l’amour profond et la gratitude de Claude Raymond envers son sport.

Le baseball lui a permis de voyager partout en Amérique du Nord. De rencontrer des astronautes. De visiter les installations de la NASA à Houston, pendant la conquête de l’espace. De croiser Maurice Richard, Jean Béliveau, Roberto Clemente, Willie Mays et Robin Roberts. De se lier d’amitié avec son voisin d’appartement hippie, le chanteur Kenny Rogers. Il aurait aussi aimé rencontrer le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, lors d’une visite au parc Jarry, au début des années 1970. Mais Gene Mauch s’est interposé et a préféré déléguer ses trois chouchous…

Avec Frenchie, Claude Raymond laisse un très beau cadeau en héritage. Pas juste pour ses enfants et petits-enfants. Pour tous les amateurs de sports du Québec.

Frenchie – L’histoire de Claude Raymond

Frenchie – L’histoire de Claude Raymond

Éditions Hurtubise

320 pages