Vingt-cinq ans plus tard, il est difficile d’imaginer à quel point Jacques Villeneuve était une immense vedette au Québec lorsqu’il est devenu champion du monde des pilotes de Formule 1.

Villeneuve suscitait une admiration complète et absolue. Mais une admiration dénuée de cette familiarité caractérisant les relations entre d’autres vedettes québécoises et leurs compatriotes. Dans son cas, une distance demeurait perceptible. On aurait dit un prince. Un prince qui accueillait l’affection des gens en restant sur ses gardes. Rien à voir avec l’attitude d’un Guy Lafleur qui s’en nourrissait pour gagner des Coupes Stanley.

Cela explique en partie pourquoi la passion des fans québécois envers Villeneuve n’a pas résisté au passage du temps. Les relations entre les deux parties ont été coulées dans un béton friable. Au fil des années, des fissures sont apparues. Aujourd’hui, bien des jeunes Québécois et Québécoises ignorent ses considérables réussites.

De toutes celles-là, la plus importante est survenue sur le circuit de Jerez, en Espagne, le 26 octobre 1997.

Dans la dernière course de la saison, Michael Schumacher et lui luttent pour le titre mondial. Comme c’est trop souvent son habitude, Villeneuve connaît un mauvais départ. Mais il bataille ferme, une autre de ses caractéristiques. Au 48e tour, roulant tout juste derrière la Ferrari de son rival, il fonce dans une ouverture pour le dépasser par l’intérieur.

Surpris, Schumacher rabat son bolide vers la Williams de Villeneuve afin de le pousser hors piste, une manœuvre dangereuse et antisportive qui entachera sa réputation. Villeneuve tient le coup et c’est Schumacher qui se retrouve dans le décor.

Villeneuve poursuit sa route et termine la course au troisième rang, assez pour être sacré champion du monde.

Dans un petit hôtel de Berthierville, où j’assiste à la course avec des membres de son fan-club, c’est l’allégresse. C’est dans cette petite ville que le clan Villeneuve a ses racines, c’est ici que son père Gilles a construit sa légende, c’est ici qu’on lui a dit un dernier adieu après sa mort tragique en 1982.

À la télé, Jacques, nouveau champion du monde, répond aux questions. Saluera-t-il ses fans québécois ? Non.

Je l’ai noté dans ma chronique d’alors et mon idée n’a pas changé : on a souvent eu l’impression que l’amour du public québécois pour Villeneuve se heurtait à son indifférence.

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J’ai couvert plusieurs courses de Villeneuve à ses trois premières saisons en Formule 1. Son écurie, Williams, était dotée d’une solide feuille de route. Mais son agent Craig Pollock et lui entretenaient des rêves de grandeur. Ils créeraient une nouvelle écurie pour démontrer aux ténors du sport automobile leur capacité à rivaliser très vite avec les meilleurs.

On connaît la suite. L’aventure de BAR (British American Racing) a été un désastre et Villeneuve y a sacrifié des années potentiellement splendides. Le succès n’a jamais été au rendez-vous.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Villeneuve au volant de sa BAR au Grand Prix du Canada en 2002

C’est dommage parce que Villeneuve était doté d’un formidable talent, doublé d’une forte tête comme en font foi ses démêlés avec ses mécanos à propos des réglages de sa voiture. En piste, il offrait un super spectacle.

Sa première victoire en Formule 1, il l’a savourée en Allemagne, en avril 1996, dans une performance à couper le souffle sur le circuit du Nürburgring. Durant les 30 derniers tours, il a repoussé les assauts d’un Schumacher aux aguets, attendant une erreur qui n’est jamais venue. Un exploit considérable, réalisé dans les terres du pilote allemand.

C’est à ce moment que Villeneuve est devenu un favori du public, même des gens qui ne s’intéressaient guère au sport automobile.

Le phénomène était particulièrement fort au Québec, mais ses fans se comptaient aussi par milliers dans plusieurs pays européens.

Son sens de la répartie était unique. Ainsi, après cette victoire, il déclara : « Je ne suis pas arrivé en Formule 1 avec l’idée de m’asseoir et demeurer deuxième. »

Si une télésérie sur les coulisses de la Formule 1 avait alors existé, à l’image de celle de Netflix aujourd’hui, Villeneuve en aurait été un personnage incontournable. En entrevue, sa candeur était rafraîchissante.

Deux mois après son premier drapeau à damier, Villeneuve a été victime d’un sérieux accident en qualifications au Grand Prix de France, à Magny-Cours.

Le lendemain, malgré des douleurs persistantes, il a pris le départ et terminé au deuxième rang. Son cran ce jour-là demeure gravé dans ma mémoire. Villeneuve n’a jamais manqué de courage en piste, ça, c’est certain.

Villeneuve a quitté Williams après la saison 1998, sa troisième en Formule 1. Son compteur affichait 11 victoires et un championnat du monde. Il n’a jamais amélioré ces chiffres au cours des huit années suivantes, une suite ininterrompue de désillusions.

Plus tard, quelques jugements lapidaires sur la société québécoise – système d’éducation, investissements publics, même les BIXI y ont passé ! – ont terni son image. Le franc-parler a ses mérites, mais encore faut-il éviter les généralisations abusives et les coups de gueule trop impulsifs. Soudainement, on ne reconnaissait plus le Villeneuve du milieu des années 1990, qui trouvait si souvent les mots justes pour commenter le sport et la vie.

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Oui, on peine à imaginer à quel point Villeneuve était une immense vedette au Québec il y a 25 ans. Mais ce qui est encore plus renversant, c’est comment sa légende s’est lézardée au fil des années.

Des souvenirs fabuleux demeurent, comme celui de son championnat du monde, obtenu il y a 25 ans. Mais le prince n’affiche plus le même panache.