Quand le baseball majeur a rejeté le concept d’une équipe en « garde partagée » en janvier dernier, Stephen Bronfman a stoppé le projet de retour du baseball majeur à Montréal à la vitesse de Tim Raines volant le deuxième but. Le rêve entretenu depuis si longtemps s’est brisé.

J’ai alors écrit une chronique intitulée « Go Jays Go (hélas)… ». C’était ma manière de reconnaître ce point de non-retour : le Québec ne retrouvera jamais une équipe des majeures et, dans les circonstances, aussi bien appuyer les Blue Jays de Toronto.

Pourquoi les Blue Jays ? Après tout, on peut encourager les Red Sox de Boston, les Cubs de Chicago ou les Yankees de New York. Mais avouons qu’aucune de ces organisations n’a levé le petit doigt pour favoriser le retour des Expos. Ce n’est pas le cas des Blue Jays.

En disputant deux matchs préparatoires à Montréal en 2014, les Blue Jays ont permis à des dizaines de milliers de Québécois de démontrer leur attachement à ce sport. Le baseball majeur en a pris acte, Bronfman s’est impliqué, le maire Denis Coderre aussi et la porte s’est entrouverte… jusqu’à ce qu’elle se referme brutalement huit ans plus tard.

Ce n’est pas tout : les Blue Jays ont longtemps fait confiance à un DG montréalais, Alex Anthopoulos, et au receveur Russell Martin. Aujourd’hui, ils alignent Vladimir Guerrero junior, fils d’une légende des Z’Amours. Et Otto Lopez, né en République dominicaine et qui a passé une partie de sa jeunesse à Montréal.

Tout ça pour dire qu’aucune organisation des majeures n’approche celle des Blue Jays sur le plan des liens avec le Québec.

Parce qu’on peut suivre tous leurs matchs à la télé – ce qui nous permet de bien connaître leurs joueurs – et aussi parce qu’ils forment une équipe excitante, les Blue Jays attirent de nombreux fans du Québec au Rogers Centre. J’ai été étonné d’entendre si souvent parler français lors de mon passage en juin dernier.

Aujourd’hui, les Blue Jays amorcent leur parcours éliminatoire en recevant les Mariners de Seattle dans une série deux de trois. Elle sera entièrement présentée à Toronto, tous les matchs de premier tour étant disputés au domicile de l’équipe la mieux classée.

Ça s’annonce excitant. Les Blue Jays alignent quelques joueurs formidables, notamment l’arrêt-court Bo Bichette qui a brillé en septembre. Et si Guerrero junior n’a pas été aussi dominant que la saison dernière, il demeure une menace de premier plan.

Bichette (24 ans) et Guerrero junior (23 ans) ne profiteront pas de leur autonomie avant la fin de la saison 2025. Mais une tendance lourde se dessine dans l’industrie : les meilleurs jeunes joueurs signent des contrats à très long terme bien avant d’atteindre ce cap. Les équipes s’assurent ainsi de conserver leurs services et ces joueurs, qui choisissent la sécurité financière, touchent plus tôt dans leur carrière des salaires importants.

C’est notamment le cas de Wander Franco des Rays de Tampa Bay, de Ronald Acuna junior des Braves d’Atlanta et de Fernando Tatis junior des Padres de San Diego.

Si les Blue Jays ne proposent pas d’ententes semblables à leurs deux jeunes vedettes, ils leur enverront un mauvais signal, ce qui créera des tensions dans l’organisation. Guerrero junior a déjà ouvert la porte à des négociations et Bichette estime avec raison mériter plus d’argent.

Cela dit, les Blue Jays hésiteront sûrement avant de s’engager pour quelques centaines de millions de dollars dans des contrats de longue durée. Pour l’instant, en vertu des règles de la convention collective, ils demeurent les maîtres du jeu, même si Bichette et Guerrero junior auront droit à l’arbitrage salarial au cours des trois prochaines saisons.

La situation contractuelle de Bichette et de Guerrero junior suscitera de nombreux commentaires au cours des prochains mois. Mais pour l’instant, place à l’action sur le terrain !

La force de frappe des Blue Jays est impressionnante. George Springer et Teoscar Hernandez sont aussi capables de produire des étincelles.

Le jeune Alek Manoah est leur meilleur lanceur partant. Il est plus grand et plus gros que l’ancienne star des Expos Pedro Martinez, mais son attitude est semblable. Il ne craint pas de lancer ses balles de feu à l’intérieur et ses rivaux ne l’apprécient pas beaucoup. L’énergie ne manque pas quand il est sur la butte, ce qui sera le cas lors du premier match vendredi.

PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, LA PRESSE CANADIENNE

Le lanceur partant des Blue Jays Alek Manoah

Après, ça se complique un peu. Kevin Gausman est fiable, mais José Berrios a connu une saison décevante. En courte relève, le Canadien Jordan Romano fait le travail.

Solides défensivement, les Blue Jays ne devraient pas accorder de points faciles à leurs rivaux. Mais la pression des séries complique parfois les choses.

Les Mariners comptent sur d’excellents lanceurs, mais devront aussi montrer leur capacité à s’imposer dans des matchs cruciaux. Il s’agit, après tout, de leur première participation aux séries depuis la saison 2001. À suivre : le jeune Québécois Abraham Toro, qui a cogné dix circuits cette saison.

J’ignore si mon intérêt pour les Blue Jays résistera au passage des années. Pour l’instant, parce que j’aime le baseball et qu’ils forment l’équipe des majeures que je connais le mieux, je dis, comme en janvier dernier, « Go Jays Go », mais cette fois sans le « hélas ». La perspective du retour des Expos, sous une forme ou une autre, est bel et bien terminée. L’heure n’est plus à la déception et il faut passer à un autre rêve.

Une équipe de la NBA, peut-être ?