Jonathan Drouin était fier. Avec raison. Son tournoi de golf venait de permettre de récolter 1 163 626 $ pour la Fondation du CHUM. C’est donc avec le sourire que l’attaquant du Canadien s’est présenté au micro de Mario Langlois, mardi, pour une entrevue de 20 minutes.

L’animateur des Amateurs de sports lui a posé des questions sur son opération au poignet. Sur l’identité du futur capitaine du club. Sur Martin St-Louis, sous les ordres duquel Drouin n’a disputé que deux matchs, avant de se blesser.

« Sens-tu que [Martin] veut t’aider ? », lui a demandé Langlois.

« Oui. Je ne suis pas inquiet. J’ai rarement eu un coach capable de coacher individuellement comme ça. Chaque joueur est différent. Il te voit comme ça. Je ne suis pas comme le gars à côté de moi. On a des qualités différentes. Je pense que Martin est capable de voir ça avec un bon œil. »

Une réponse lisse, lisse, lisse. Comme la glace d’un lac en février.

Le site Dans Les Coulisses en a fait un article. Encore là, du contenu lisse, lisse, lisse. DLC l’a relayé aux 100 000 abonnés de son compte Facebook. Et là, c’est devenu cahoteux.

« Tayeule. »

« Qu’il ferme sa grande yeule. »

« Débarrasse Drouin. »

« Décriss. »

« Pu capable de l’entendre, criss de jambon. »

« Commence déjà à licher au mois d’août. »

« Dewors le jaune. »

« Encore Drouin. Qu’il la ferme dont lui et se concentre sur son mental. »

J’arrête ici. Ça donne une bonne idée du ton de la conversation, qui s’étire sur des centaines de commentaires. Pour les non-initiés, je précise que Jonathan Drouin n’a commis aucune inconduite. Il ne tue pas de bébés phoques non plus. Au contraire. Il vient plutôt d’aider la fondation d’un hôpital montréalais à amasser plus de 1,1 million, et il tente de revenir au jeu après une opération importante…

À quel moment, dans l’histoire, est-il devenu socialement acceptable de publier de telles insultes ? De prendre un porte-voix pour crier « Décrisse », « Crisse de jambon » ou « Dewors le jaune » ? De déployer une banderole dans un stade, sur laquelle il est écrit « Décâlisse Gilmore » ?

Le nouveau défenseur du Canadien, Michael Matheson, a déjà reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux à la suite d’une mise en échec contre un joueur des Canucks de Vancouver. Maxime Comtois, des Ducks d’Anaheim, a reçu des invitations au suicide sur Instagram après avoir raté un tir de pénalité au Championnat mondial junior. Ça fesse.

Ces messages peuvent avoir des conséquences. La joueuse de tennis canadienne Rebecca Marino a quitté la compétition pendant près de cinq ans, en raison de l’intimidation dont elle était victime sur les réseaux sociaux. Des entraîneurs de la LHJMQ m’ont confié avoir ramassé des joueurs de 16 ou 17 ans à la petite cuillère, à cause de commentaires publiés sur le web.

Quand en sommes-nous arrivés là ? Et comment ?

Je comprends qu’un partisan puisse détester un joueur de hockey. Déplorer son style de jeu. Son manque d’effort. Son individualisme. Regretter sa prise de décision. Se désoler de le voir rater des filets déserts à répétition. Aucun problème avec ça. Sauf que ces critiques doivent être formulées avec respect et civisme. Oui, c’est possible — et pas très compliqué.

Mais les fans, eux, se foutent des conventions sociales. De la portée de leurs mots. Du bien-être de l’autre. L’insulte est l’arme du faible ? Pas à leurs yeux. Plus leur message est vulgaire, plus ils sont satisfaits. Plus ils emploient le mot « crisse », plus ils se sentent brillants. Même s’ils sont incapables de l’écrire sans faute.

Est-ce que je fais leur jeu, en publiant leurs propos ?

Non. Face à l’intimidation, il vaut mieux agir plutôt que se taire.

Ça fait une dizaine d’années que je gère des situations comme celle-là. D’abord comme patron au journal, puis comme chroniqueur. Par expérience, lorsque les barbares du web sont exposés, leur courage s’envole. Ils passent en mode défensif. Leur grand classique : utiliser leur miroir, et blâmer les médias. Aux sports, ça revient à accuser les journalistes de chasser les joueurs vedettes de Montréal.

Hmmm…

Tous les jours, je lis La Presse. Le Journal de Montréal. The Athletic. The Gazette. J’écoute les chroniques sportives à Cogeco, BPM Sports, TVA Sports, RDS et Radio-Canada. Oui, les journalistes affectés à la couverture sont capables de critiquer les joueurs. Mais non, ils ne les attaquent pas. Ils ne les vilipendent pas. Ils ne les humilient pas. Vous n’entendrez jamais Renaud, Marc-André ou Luc dire « tayeule », « débarrasse » ou « dewors le jaune » à un joueur. Pas plus que Richard, Guillaume et Simon-Olivier ne s’acharneront sur un joueur blessé, ou qui revient d’une opération, par exemple.

Le problème, ce ne sont pas les journalistes.

Ce sont les hooligans du web.

Et malheureusement, tant que Facebook et Twitter préféreront développer des algorithmes pour nous pousser des annonces de grille-pain, plutôt que d’arracher la mauvaise herbe qui pousse dans leur cour, on restera pognés avec eux.