Le premier, un attaquant canadien de 17 ans, a frôlé une saison de 100 points dans le junior. Le deuxième, un ailier format géant de la Liiga finlandaise, a dominé ses adversaires dans les tournois internationaux.

Shane Wright et Juraj Slafkovsky ?

Bien vu. Mais ces définitions s’appliquent aussi à deux surdoués repêchés l’un après l’autre en 2016 : Pierre-Luc Dubois et Jesse Puljujärvi.

À l’époque, avec le troisième choix au total, les Blue Jackets de Columbus avaient préféré le Québécois au Finlandais. Cette décision avait assommé les observateurs, qui voyaient en Puljujärvi la réincarnation de Teemu Selänne. Leur chouchou avait dominé le Championnat du monde junior, avec 17 points, le titre de meilleur marqueur, celui du joueur le plus utile et la médaille d’or. En plus, il jouait déjà dans une ligue pour adultes. Alors que Dubois, retranché de l’équipe canadienne, s’amusait dans le junior face à une opposition plus faible.

Ça ressemble un peu, beaucoup au débat actuel sur le premier choix du Canadien, non ?

PHOTO JASON FRANSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jesse Puljujärvi, des Oilers d’Edmonton

Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les Jackets ont eu raison. Dubois est rendu à 239 points. Puljujärvi, à 98 points. Comment tant d’observateurs ont-ils pu se tromper à ce point ?

La Liiga est une ligue plus forte que la LHJMQ. Personne ne le contestera. Sauf que les analystes ont surestimé les performances de Puljujärvi en Finlande, et sous-estimé celles de Dubois au Cap-Breton.

La chercheuse Katerina Wu, de l’Université de la Caroline du Nord, a étudié ce cas bien précis. Ses conclusions : « Puljujärvi avait obtenu 28 points en 50 parties. C’était le cinquième total dans la Liiga chez les moins de 20 ans. Dubois, lui, jouait dans une ligue junior, mais il a quand même fait 99 points en 62 matchs. Selon les coefficients d’équivalence, Dubois était statistiquement en avance sur Puljujärvi.

« Bien sûr, ce n’est pas le seul critère d’évaluation des recruteurs. La taille de Dubois et son jeu physique ont certainement pesé dans la décision aussi. Mais on peut supposer que les Blue Jackets avaient une meilleure idée de la façon dont chaque joueur pouvait être comparé à un autre lorsqu’ils ont préféré Dubois à Puljujärvi. »

Pause.

Reculons de trois lignes.

« Selon les coefficients d’équivalence. »

C’est quoi, ça ?

C’est la pierre de Rosette du hockey. L’algorithme qui permet de traduire la production d’un espoir, dans une ligue secondaire, en points dans la LNH. Le hic, c’est que personne n’a encore trouvé LA bonne recette qui garantit les meilleures sélections à coup sûr.

Toutes les équipes travaillent avec les mêmes ingrédients de base. Elles attribuent d’abord une force à chaque ligue, selon l’historique de performance de ses joueurs dans la LNH. Pour la Liiga, par exemple, l’indice peut être de 44 %. Pour la LHJMQ, de 11 %. Puis on multiplie cet indice avec le nombre de points par match de l’espoir. C’est ça, un coefficient d’équivalence.

Maintenant, comme pour la soupe au chou, le secret est dans l’assaisonnement. Des analystes vont relever la formule avec la taille d’un joueur, son temps de jeu, sa production à forces égales, etc. Ils peuvent aussi tenir compte de caractéristiques propres à chaque ligue. Des exemples ? L’âge des joueurs. Le nombre de parties. Le format du championnat. La taille de la patinoire. La qualité des gardiens. La fiabilité des statistiques. Bref, c’est un exercice difficile, complexifié par le fait que les hockeyeurs sont toujours dépendants des gestes de leurs coéquipiers – sauf pour les tirs de pénalité.

Vous aurez compris que ces algorithmes sont imparfaits. Reste qu’ils fournissent une bonne base pour la discussion.

Et que nous révèlent-ils pour le repêchage de cette saison ?

Beaucoup, beaucoup de choses intéressantes.

J’ai un gros faible pour le modèle de Byron Bader. Il calcule les probabilités qu’un espoir devienne une étoile dans la LNH. Une étoile, selon ses critères, est un attaquant qui maintiendra une moyenne de 0,7 point par match dans la LNH, ou un défenseur qui terminera sa carrière avec 0,45 point par match.

Selon son modèle, en 2016, quatre joueurs avaient plus de 50 % de chances de devenir une étoile : Auston Matthews (99 %), Clayton Keller (74 %), Matthew Tkachuk (70 %) et Alex DeBrincat (70 %). Jesse Puljujärvi était à 38 % et Dubois, à 27 %. Par contre, Dubois avait des chances légèrement meilleures de s’établir durablement dans la LNH.

Que suggère le modèle pour la cohorte 2022 ?

Six espoirs ont plus de la moitié des chances de devenir une vedette.

  • Danila Yurov (AD) : 70 %
  • Lane Hutson (D) : 57 %
  • Denton Mateychuk (D) : 57 %
  • Simon Nemec (D) : 56 %
  • Shane Wright (C) : 53 %
  • Logan Cooley (C) : 53 %

Nemec, Wright et Cooley sont les trois joueurs ayant le plus de chances de devenir titulaires. Et Slafkovsky ? Le modèle de Bader ne lui donne que 12 % de chances de devenir une étoile. C’est très peu. Moins que pour Nick Suzuki (27 %), Jesperi Kotkaniemi (37 %) ou Cole Caufield (66 %). Il faut dire que le Slovaque avait peu de temps de jeu en début de saison.

Chace McCallum, qui a fait des travaux sur les coefficients d’équivalence, a lui aussi levé un drapeau rouge, la semaine dernière, à propos de Slafkovsky et d’un autre espoir de la Liiga, Brad Lambert.

« L’argument contre les modèles statistiques, c’est qu’on trouve qu’il est parfaitement normal que Slafkovsky et Lambert n’aient pas beaucoup produit, car ils jouaient dans une ligue professionnelle. Que ces gars aient affronté une concurrence aussi forte en bas âge est un bon signe. Sauf que c’est faux. En raison de leur faible production [dans la Liiga], il est peu probable que des joueurs comme Slafkovsky et Lambert comblent les attentes du rang auquel ils sont repêchés. La qualité de la ligue ne compense pas [leur production]. »

Lisez l’article de Chace McCallum (en anglais)

Dans un autre modèle d’équivalence, le DRAFTe de Thibaud Chatel, Simon Nemec et Joakim Kemell occupent les deux premiers rangs. Logan Cooley est 8e, Shane Wright est 10e et Juraj Slafkovsky, 18e.

Ma prédiction ?

Depuis leur nomination, les nouveaux patrons du Canadien martèlent l’importance des statistiques avancées. Dans ce contexte, une sélection de Juraj Slafkovsky au premier rang serait surprenante. Ce serait le résultat d’un coup de foudre irrésistible de Jeff Gorton ou de Kent Hughes.

C’est possible.

Mais le scénario le plus probable pour le Tricolore reste une sélection de Shane Wright ou de Logan Cooley.

Leur saison 2021-2022

  • Shane Wright : 35 buts, 73 aides, 108 points en 74 matchs
  • Juraj Slafkovsky : 7 buts, 10 aides, 17 points en 49 matchs
  • Logan Cooley : 13 buts, 23 aides, 36 points en 24 matchs

Statistiques de ligue, saison et séries éliminatoires comprises. Ne comprend pas les tournois internationaux et les matchs hors concours.