En juin 1986, on lit ces mots dans La Presse à propos de Mike Bossy : « Difficile de trouver un joueur aussi talentueux et aussi gentilhomme que lui. Et en plus, il est franc. »

Et en plus, il est franc… On devine que pour l’auteur de ces paroles, le célèbre Maurice Richard, ce bout de phrase était le compliment absolu. Le Rocket félicitait souvent des athlètes dans sa chronique, mais avec retenue. Voilà pourquoi cette appréciation pèse si lourd. Il éprouvait une réelle admiration pour ceux qui, comme lui, livraient sans détour le fond de leur pensée. Ce que faisait déjà Bossy à cette époque, notamment en dénonçant la violence au hockey.

La mort de Bossy plonge le Québec dans le deuil. Elle survient moins d’un an après celle de Rodrigue Gilbert, un autre Québécois qui a brillé dans le plus grand marché médiatique du monde. Gilbert demeurera à jamais un joueur pivot dans l’histoire des Rangers ; Bossy l’est tout autant dans celle des Islanders.

Peu d’experts pensaient que Bossy connaîtrait une carrière aussi splendide dans la LNH. Les plus sceptiques l’estimaient trop prudent sur la patinoire. En 1992, quelques jours avant que les Islanders retirent son maillot numéro 22 à l’occasion d’une visite du Canadien à Uniondale, il m’a raconté son premier camp d’entraînement dans la LNH. Une blessure à une épaule et une coupure au-dessus d’un œil l’ont inquiété. « J’ai passé plus de temps à la clinique que sur la glace », m’a-t-il dit, en riant.

À la fin du camp, animé d’une formidable intuition, l’entraîneur Al Arbour a réuni au sein d’un même trio Bryan Trottier, Clark Gillies et Bossy. « On a cliqué tout de suite ! », a-t-il ajouté.

Ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Bossy marquera 53 buts durant sa saison recrue. Dès sa troisième campagne dans la LNH, au printemps 1980, les Islanders remportent la première de quatre Coupes Stanley consécutives. Bossy est au cœur de leurs succès.

Ses lancers décochés sans avertissement rendent fous les gardiens adverses. Il profite des plus minces ouvertures pour loger la rondelle dans le filet : en haut, en bas, à gauche, à droite, entre les jambes, sous le gant…

Son œil de lynx et sa précision hors du commun le servent aussi bien dans la LNH qu’à l’époque où, âgé de 4 ans à peine, il a marqué 21 buts en 15 minutes contre des joueurs de 6 et 7 ans !

En 1982, les Islanders atteignent la finale en éliminant les Nordiques de Québec. Ils affrontent les Canucks de Vancouver pour la Coupe Stanley. Dès le premier match, Bossy donne le ton en marquant le but vainqueur deux secondes avant la fin de la première période de prolongation. Il intercepte du revers une passe risquée du défenseur Harold Snepsts et déjoue Richard Brodeur d’un tir dans le haut du filet, manière parfaite de réussir… son tour du chapeau !

PHOTO UPI, ARCHIVES LA PRESSE

Mike Bossy enlace le gardien des Canucks, Richard Brodeur, après la victoire des Islanders en finale de la Coupe Stanley.

Le troisième match donne lieu à un autre exploit de Bossy, qui inscrit un but spectaculaire après avoir été frappé par un rival. « À l’horizontale par rapport à la patinoire, Bossy a marqué d’un revers. J’étais là. Je l’ai vu. C’est vraiment arrivé », écrira des années plus tard le journaliste George Vecsey, du New York Times.

Ce n’est pas seulement dans son uniforme que Bossy a écrit sa loi. Sur le plan contractuel, il a été un précurseur dans la LNH. Tout cela en raison de son talent, bien sûr, mais aussi de son agent Pierre Lacroix.

En octobre 1981, Bossy signe une entente de six saisons avec les Islanders. « Pendant quelques années, Bossy a été le joueur le mieux payé de la ligue », me dira un jour Lacroix, évoquant ces négociations.

« Nous étions dans une situation idéale. Les Islanders venaient de remporter la Coupe Stanley, Mike avait marqué 68 buts en saison régulière, en plus d’être choisi au sein de l’équipe d’étoiles de Coupe Canada. »

Ce n’est pas tout, a ajouté Lacroix. « La convention collective des joueurs expirait un an plus tard. On savait tous que ceux-ci essaieraient d’arracher aux propriétaires des conditions plus favorables pour profiter de leur autonomie. Les Islanders ne voulaient pas risquer que les Rangers de New York leur chipent Bossy sous le nez. »

Toutes ces tractations se sont déroulées dans le « style Lacroix », sans sortie publique ou menace. Cette entente a assuré l’avenir financier de Bossy, ce qui n’était pas la norme pour toutes les vedettes de l’époque.

Comme d’autres joueurs québécois de renom, qu’il s’agisse de Gilbert Perreault, Marcel Dionne ou Luc Robitaille, le fabuleux numéro 22 n’a jamais endossé l’uniforme du Canadien. L’organisation aurait pourtant eu la chance de le repêcher en 1977. Mais elle l’a ignoré, comme ce fut le cas avec Denis Savard trois ans plus tard. Après tout, leur jeu défensif laissait à désirer…

Bossy aurait-il aimé s’aligner avec le Canadien ? Le DG des Islanders, Bill Torrey, lui a donné l’autorisation de discuter avec le CH à l’expiration de son contrat. « Mais je ne jouais plus depuis un an en raison de mon malaise au dos », m’a-t-il expliqué. Ne sentant aucune amélioration, il a mis fin à sa carrière et n’a pas contacté la direction de l’équipe.

Lors de notre rencontre, je lui ai demandé quelle émotion l’habiterait lorsque son numéro 22 serait retiré par les Islanders. Sa réponse a été toute simple : « Le sentiment du devoir accompli. »

Ce soir-là, sachant que la cérémonie était télévisée au Québec, Bossy s’est aussi adressé à la foule en français, un geste conforme à ses valeurs. Ce gars-là n’oubliait jamais d’où il venait, même s’il était une vedette à New York.

Comme analyste, Bossy m’a toujours impressionné. Le fait de ne pas avoir fait partie de la famille du Canadien lui conférait du détachement en disséquant les performances de l’équipe. Ses quatre Coupes Stanley et ses nombreux trophées individuels, tout comme sa capacité à briller sous pression, établissaient son autorité exceptionnelle.

Plus important encore, comme le Rocket l’a souligné dès 1986, Bossy parlait franc. Et, oui, il était un gentilhomme. Et un grand Québécois qui, toute sa vie, a fait honneur à ses compatriotes.

Repose en paix, fabuleux Mike Bossy.