Faut-il expulser en bloc les hockeyeurs russes de la Ligue nationale de hockey pendant la guerre en Ukraine ?

Oui, répondent les uns.

Non, répliquent les autres.

Entre les deux ? Peu de place pour la nuance. Pourtant, c’est dans ce tout petit interstice que se trouve la meilleure réponse.

Dans le premier camp, on retrouve les partisans de la ligne dure. Ceux qui souhaitent la révocation illico des visas de travail de tous les hockeyeurs russes en Amérique du Nord. Ils sont nombreux. Bruyants. Leur argument : tous les petits gestes sont essentiels pour déstabiliser le Kremlin.

Sur papier, ça tient la route. Dans la réalité ? Non. Les sanctions n’ont pas toutes le même pouvoir de dissuasion. Pensez-vous vraiment que Vladimir Poutine cherchera Alexander Romanov dans l’alignement du Canadien avant de décider d’enfoncer un missile au cœur d’un hôpital pour enfants à Kyiv ?

Moi non plus.

Aussi, les hockeyeurs russes dans la LNH ne sont pas tous des hommes-sandwichs pour leur président. Oui, les poutinistes existent. On s’en reparle dans deux minutes. Mais il y a aussi des opposants au régime. Notamment Artemi Panarin. Ce serait quand même bien le comble que l’attaquant vedette des Rangers de New York soit écarté de la LNH à cause de la folie meurtrière d’un despote qu’il a eu le courage de dénoncer publiquement…

Dans l’autre camp, on retrouve les militants du statu quo. Ils sont convaincus qu’aucun joueur russe de la LNH ne doit être expulsé. Au nom de quoi ? Au nom du grand principe de la séparation du sport et de la politique.

Jolie formule. Ça s’insère bien dans un pamphlet aristocratique du XIXsiècle. Sauf que depuis 1896, le monde a changé. Juste un petit peu.

Aujourd’hui, la politique et le sport sont inséparables. Comme Tom Brady et Rob Gronkowski. Parfois, c’est subtil.

Pensez au Canadien, qui participe à l’effort de réconciliation avec les peuples autochtones ou qui amasse des fonds pour les victimes de la guerre en Ukraine. Mais parfois, ça manque de finesse.

On a perdu le compte des autocrates, des oligarques et des dictateurs qui achètent des clubs pour adoucir leur profil à l’international. Il y a même un mot pour ça : le sportswashing. Et devinez qui est une grande championne mondiale de sportswashing ? La Russie. Elle a même créé sa propre ligue de hockey, la KHL, et accordé une franchise à la Chine pour soigner sa relation avec le gouvernement local. Ces jours-ci, la KHL martèle ses spectateurs de propagande guerrière, même au beau milieu des rencontres. Alors pour la séparation du sport et de la politique, on repassera.

Les opposants à l’expulsion des joueurs russes font également valoir qu’il est xénophobe de discriminer un athlète en raison de son pays d’origine. Sur le fond, je suis tout à fait d’accord. Sauf que c’est un peu hypocrite.

Non, les gens ne sont pas tous libres de choisir le pays dans lequel ils veulent travailler.

Les gouvernements imposent des restrictions. Les ligues sportives aussi. Pas juste au Japon. Pas juste en Suisse. Ici même, au Québec. Le CF Montréal est soumis à une limite de joueurs étrangers. Les Alouettes aussi. Même chose pour les clubs juniors de hockey ou les équipes universitaires du RSEQ. Et je souligne que l’Association des joueurs du baseball majeur vient tout juste de refuser que les espoirs originaires de pays autres que le Canada ou les États-Unis soient intégrés dans le repêchage amateur.

À quand remonte la dernière #manifencours sur le sujet ?

C’est ce que je pensais.

Alors, on fait quoi avec les joueurs russes ?

Où trace-t-on la ligne ?

Et surtout, selon quels critères ?

Les athlètes russes – notamment les hockeyeurs – ne constituent pas un bloc politique monolithique. On peut les diviser en trois groupes.

Les dissidents – rares.

Les poutinistes – nombreux.

Les silencieux – majoritaires.

On ne peut pas demander aux dissidents d’en faire davantage. Ils courent déjà un risque énorme pour leur sécurité et celle de leur famille. Les silencieux, eux, subissent de plus en plus de pression pour s’exprimer. Pour dénoncer les atrocités commises en Ukraine. Une idée entendue récemment, ce serait de lier leur permis de travailler ici à une déclaration contre le régime de Vladimir Poutine.

Je suis contre. Les athlètes ont le droit de se taire. Le silence est d’ailleurs une position politique. Peut-être pas celle que vous privilégiez. Assurément pas la plus efficace pour déstabiliser Vladimir Poutine. Mais ça reste une décision légitime et compréhensible, compte tenu du sort subi par les dissidents.

Reste les poutinistes.

Ils sont nombreux.

Et populaires.

Le plus connu d’entre eux, ici, est Alexander Ovechkin. Un hockeyeur exceptionnel, en voie de battre le record de buts dans l’histoire de la LNH. En Russie, c’est une gigavedette – et un des plus fidèles alliés de Vladimir Poutine.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’Ovechkin n’est pas un poutiniste ordinaire. Il n’est pas qu’un simple partisan politique, comme les zillions de hockeyeurs et baseballeurs qui ont affirmé leur soutien à Donald Trump ou à Barack Obama.

L’ailier des Capitals de Washington est aussi un militant ET un ancien organisateur politique.

En 2017, il a lui-même fondé un mouvement politique, Putin Team, pour fédérer des supporteurs de Vladimir Poutine. Ce groupe a ensuite recruté des influenceurs importants. Qui ? Ilya Kovalchuk. Evgeny Malkin. Le patineur artistique Evgeni Plushenko. La championne de saut à la perche Yelena Isinbayeva. Putin Team a permis à Vladimir Poutine de renforcer son image auprès des jeunes, en Russie comme à l’étranger.

Vous allez me dire que c’était avant la guerre, il y a cinq ans. C’est vrai. Qu’Ovechkin ne devrait pas être puni pour ses engagements passés. Ça se défend. Sauf que déjà, à cette époque, des dissidents étaient empoisonnés. Des opposants, emprisonnés. Des journalistes d’enquête, tués. Les cas étaient nombreux et ont été étalés dans la presse internationale. Souvenez-vous entre autres d’Alexander Litvinenko, infecté au polonium à Londres. C’est ce régime qu’Ovechkin a choisi d’aider, en toute connaissance de cause.

Pourquoi le critiquer maintenant davantage qu’il y a cinq ans ? La même question se pose au sujet des oligarques et des autres proches de Vladimir Poutine punis par l’Occident. Parce qu’avec la guerre, c’est toute la classe politique russe qui est désormais sous la loupe. Par ailleurs, Ovechkin n’a pas pris ses distances de Poutine. Encore lundi soir, sa photo de profil, sur Instagram, le montrait aux côtés de Vladimir Poutine.

Qu’on me comprenne bien : Ovechkin a le droit d’appuyer politiquement qui il souhaite. Or, en créant un mouvement politique en soutien à un politicien qui a par la suite choisi d’envahir un pays au gouvernement démocratiquement élu, et en ne prenant pas clairement ses distances, Ovechkin s’expose aussi à la critique, à des conséquences.

Le joueur des Capitals s’est défendu, il y a deux semaines, d’être en faveur de la guerre. « Je ne suis pas en politique », a-t-il précisé, oubliant volontairement le mouvement qu’il a lui-même créé. « Je suis un athlète, et j’espère que tout sera bientôt fini. C’est une situation difficile pour les deux côtés. Je ne suis pas en contrôle de la situation. »

Situation difficile pour les deux côtés ? Convenons que les souffrances ne sont pas réparties équitablement. Oui, les Russes souffrent des sanctions économiques imposées après le déclenchement de la guerre. Mais des millions d’Ukrainiens, eux, ont dû quitter leur domicile pour échapper aux bombes. Plusieurs de leurs villes sont assiégées. D’autres sont carrément en train d’être détruites. Son argumentaire n’était pas convaincant.

Je ne crois pas que la LNH sévira envers Ovechkin. Ce n’est pas dans les habitudes de la maison. Les gouvernements, par contre, peuvent agir. C’est quand même étonnant de constater à quel point un collaborateur si proche de Vladimir Poutine a pu venir travailler si facilement au Canada, la semaine dernière, alors que l’Occident multiplie les sanctions contre la garde rapprochée du président russe.