(Pékin) Bobeur. C’est la spécialité la plus bizarre des Jeux d’hiver. Pendant cinq secondes, tu cours sur la glace avec l’ardeur du touriste qui se fait charger par un taureau à Pampelune. Puis tu sautes vite, vite, vite dans un traîneau, et tu te laisses glisser jusqu’au bas de la pente.

Ça semble être simple, non ?

Ça ne l’est pas vraiment. Pas du tout, même. Votre traîneau défile à 150 km/h. Votre rythme cardiaque monte à 200 pulsations par minute. Vous devez encaisser une force gravitationnelle jusqu’à 5 G. Chaque partie du corps est sollicitée, m’a expliqué Samuel Giguère, ancien joueur des Alouettes de Montréal et des Colts d’Indianapolis qui s’est reconverti en bobeur.

Petite leçon d’anatomie, avec celui qui agira comme freineur au sein d’un équipage canadien de bob à quatre, en fin de semaine, à Pékin.

Le cerveau

« Je suis freineur. Ma tâche est moins cérébrale. Mais pour le pilote, c’est autre chose. C’est comme pour un pilote de Formule 1. Les pistes sont très, très différentes les unes des autres. Il faut donc apprendre chaque piste. Toutes les transitions. Toutes les pressions à exercer, à chaque instant précis. Ça vient avec l’expérience et les répétitions. »

« En bobsleigh, on fait beaucoup de visualisation. Le pilote doit s’imaginer en train de descendre la piste, et deviner toutes les forces G qu’il ressentira dans les courbes. Ça le prépare pour manœuvrer et piloter le sled [traîneau] en compétition. »

Les yeux

« À la ligne de départ, je vois le haut de la piste. Je me mets en position. Je fixe mon regard à l’intérieur du traîneau. Ça me permet d’avoir une bonne posture à la sortie des blocs. Un peu comme pour un sprinteur, en athlétisme. Dans le traîneau, je suis celui assis en arrière. Entre le troisième gars et moi, il y a les freins et l’essieu arrière. Je suis pratiquement plié en deux. Mon casque est collé sur les freins. C’est ce que je vois pendant la course [rires]. »

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L’équipe britannique de bobsleigh

Les mains

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Les mains de deux bobeuses du Comité olympique russe

« Lorsqu’on pousse au départ, évidemment, j’utilise mes mains. Les gars devant moi ont chacun une barre de poussée. Ces barres, quand on saute dans le traîneau, il faut les replier. Sinon, on perdrait de l’aérodynamisme. C’est ma responsabilité. Ensuite, je vais descendre mes mains vers mes pieds, où il y a deux poignées. Je vais les agripper, puis les tirer pour rabaisser mon haut de corps le plus possible. »

« Dans le traîneau, il y a tout un système de poulies et d’articulations qui sont reliées à deux anneaux. Le pilote en a un dans chaque main. S’il tire sur l’anneau de droite, les patins avant vont tourner vers la droite. Même chose du côté gauche. »

Le cœur

« Dès la ligne de départ, mes battements cardiaques sont élevés. Pendant la poussée, ça va monter à 200 pulsations par minute en moins de cinq secondes. Quand je saute dans le traîneau, ça baisse, mais ça reste très élevé quand même. »

« Après une compétition, c’est difficile de dormir. Les forces G taxent notre système nerveux. »

Le dos

« Je pousse le traîneau pendant 5-6 secondes, mais dans la minute qui suit, je dois rester immobile, et le plus en ligne droite avec le pilote pour préserver l’aérodynamisme. Beaucoup de freineurs ont des problèmes de dos. Je suis chanceux, j’ai été plutôt épargné. »

Les jambes

« À l’entraînement, on fait beaucoup de mouvements d’haltérophilie. De l’épaulé. De l’arraché. Beaucoup de squats. Toujours en force maximale, avec des charges extrêmement lourdes. On fait aussi des sprints. Parmi nos blessures les plus fréquentes, il y a des déchirures musculaires aux ischio-jambiers, à l’aine, aux mollets. »

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L’équipe suisse de bobsleigh

Les pieds

« Nous avons des souliers à crampons, avec une centaine de petits clous minuscules en dessous. Ça couvre toute la plante du pied et les orteils. C’est ce qui nous permet d’avoir une adhérence sur la glace. Sauf que lorsqu’on saute dans le traîneau, il faut vraiment faire attention pour ne pas accrocher nos coéquipiers. Ça arrive à l’occasion. Ça cause des égratignures. Il y a un endroit précis où je dois mettre mes pieds dans le traîneau pour ne pas blesser celui qui est devant moi. »

Fascinant, tout ça. Les petits clous, entre autres. C’est le genre de truc qui va m’obséder pendant toute la finale. Notez que le Canada compte trois équipages en bob à quatre. Samuel Giguère sera dans le bob piloté par Christopher Spring. Les deux premières manches seront présentées vendredi soir, et les deux dernières, samedi soir.