(Pékin) Une patineuse artistique de 15 ans, qui a récemment échoué à un test antidopage, pourra continuer de concourir aux Jeux de Pékin. Sauf que si elle termine parmi les trois premières à l’épreuve individuelle, elle n’aura pas droit à une médaille. Du moins, pas tout de suite. Et probablement jamais.

C’est quoi, ce fatras ?

C’est l’histoire de la jeune étoile russe Kamila Valieva. La semaine dernière, elle est devenue la première patineuse de l’histoire à réussir deux quadruples sauts aux Jeux olympiques. Sa performance phénoménale a permis aux Russes de gagner le concours par équipe. Quelques heures plus tard, on a appris que Valieva avait subi un test positif à la trimétazidine à Noël – mais que personne n’en avait informé le Comité international olympique avant le début des Jeux.

Le CIO a annulé la cérémonie des médailles. Il a voulu empêcher Valieva de participer à l’épreuve individuelle, dont elle est la grande favorite. Il a plaidé sa cause devant le Tribunal arbitral du sport. Il a perdu.

Pourquoi ?

Parce que les trois arbitres, chargés de se prononcer sur un point de droit très précis, ont jugé qu’« empêcher l’athlète de concourir aux JO lui causerait un préjudice irréparable ». Ils ont aussi tenu compte du fait que l’athlète n’a que 15 ans, et qu’elle est donc automatiquement considérée comme une « personne protégée » par l’Agence mondiale antidopage.

C’est quoi, une « personne protégée » ?

C’est exactement ce que vous pensez. Une personne vulnérable à l’intimidation ou à la manipulation. Légalement, ce verdict se défend. Mais sportivement, c’est une catastrophe. Le CIO a réagi en affirmant qu’il ne remettra pas de médaille à Valieva si elle termine dans le trio de tête à l’épreuve individuelle.

Ce qui était un accident au ralenti est soudainement devenu un carambolage monstre, dont on ne voit pas la fin.

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Cette histoire est profondément triste.

Dégoûtante.

Révoltante.

Une histoire triste, car à 15 ans, Kamila Valieva est encore une enfant. L’histoire nous démontre qu’à cet âge, c’est rarement l’athlète qui prend l’initiative de se doper. C’est généralement quelqu’un de l’entourage proche – un entraîneur, un parent – qui fait la suggestion et entreprend les démarches.

Une histoire dégoûtante, parce que forcément, un adulte a cru que la meilleure patineuse de sa génération devait se doper pour atteindre le sommet.

Une histoire révoltante, car une athlète qui vient d’échouer à un test antidopage ne devrait pas pouvoir participer aux Jeux olympiques. C’est la base de la base. Autrement, l’intégrité de la compétition est compromise.

Bien sûr, et c’est facile à dire après coup, cette histoire aurait pu être évitée. Si l’entourage de Valieva avait été plus sain. Si le laboratoire suédois avait livré les résultats plus tôt. Si les Russes avaient offert une meilleure collaboration. Mais il ne faut pas négliger non plus la responsabilité du CIO, qui s’est autopeluredebananisé en créant un environnement propice aux dérapages.

Après le scandale de dopage des Jeux de Sotchi, le CIO a été trop clément avec la Russie. Changer le nom du pays pour le Comité olympique russe ? Remplacer le drapeau bleu-blanc-rouge par un logo aux mêmes couleurs ? Substituer à l’hymne national un concerto de Tchaïkovski ? Soyons honnêtes : ces sanctions ont eu l’effet d’un papier peint posé sur un mur de stuc. Ce n’est pas plus beau qu’avant, et on remarque toujours les petits bouts qui dépassent.

Le CIO aurait dû être plus ferme.

Il aurait dû exclure la Russie des Jeux jusqu’en 2024.

L’autre reproche que je fais au CIO, c’est son entêtement à refuser d’imposer un âge minimal pour participer aux Jeux. Encore lundi, dans toute la tourmente, le Comité a réitéré son parti pris pour que des jeunes de 13, 14, 15 ou 16 ans soient sur les listes de départ. « Nous devons offrir à tous les gens une chance de réaliser leur rêve olympique, et je pense que tout le monde souhaite voir de jeunes athlètes », a indiqué le porte-parole du CIO, Mark Adams.

Euh… non.

« Il y a un équilibre à atteindre, a-t-il poursuivi. C’est un défi, et il faut penser au bien-être des athlètes. » Eh bien, parlons-en, justement, du bien-être de ces enfants.

Parlons de la pression médiatique et populaire à laquelle ils ne sont pas préparés. Parlons des diètes extrêmes qui leur sont imposées. Parlons de leur dépendance à des coachs prédateurs, et des abus épouvantables qui en ont découlé, notamment en gymnastique. Parlons des incitations au dopage, afin que des entraîneurs touchent des bonis liés aux performances de leurs athlètes. C’est arrivé récemment.

Où ?

En Russie…

Le CIO peut agir. D’autres l’ont d’ailleurs fait. Au baseball majeur, l’âge minimal est de 17 ans pour les joueurs internationaux, et de 18 ans pour les Américains. Dans la Ligue nationale de hockey, c’est 18 ans. Dans la NBA, c’est 19 ans. Même au sein du mouvement olympique, des fédérations internationales ont imposé des restrictions. Au biathlon, c’est 22 ans. Alors qu’au patinage artistique, c’est 15 ans.

Bien sûr, ces restrictions d’âge n’empêchent pas le dopage. Le baseball le prouve. Mais j’ose croire que l’attrait du dopage est plus faible, à 15 ans, dans les sports où les compétitions les plus visibles et payantes sont hors d’accès. Sans compter qu’il serait logique que le CIO impose un âge minimal qui soit le même que l’âge de la raison reconnu par l’Agence mondiale antidopage.

Oui, ça nous priverait du spectacle de planchistes de 13 ans et de plongeuses de 14 ans qui gagnent des médailles, comme à Tokyo. Mais si c’est la conséquence pour éviter d’autres drames comme celui de Kamila Valieva, ainsi soit-il.