(Pékin) Qu’ont en commun le gouvernement de la Coalition avenir Québec et le Parti communiste chinois ? Les deux veulent développer plus de bons hockeyeurs sur leur territoire. Souhaitons que le Québec connaisse plus de succès que la Chine en a eu depuis le lancement de son chantier, il y a six ans et demi.

En prévision des Jeux de Pékin, la Chine a dépensé des milliards de yuans pour stimuler la croissance des sports de patin, comme le hockey. Un investissement pharaonique. Plus de 500 nouvelles patinoires intérieures ont été construites. Calcul rapide : ça fait une nouvelle glace tous les cinq jours !

Les Chinois ont implanté le hockey dans des écoles. Ils ont fondé des académies. Ils ont embauché des entraîneurs étrangers. Ils ont invité des adolescents canadiens, russes et suédois pour offrir une meilleure opposition aux jeunes joueurs locaux. Un de mes enfants y est allé ; les 10 nuitées à l’hôtel n’ont rien coûté.

Pendant la même période, Pékin a obtenu une franchise dans la KHL. Le Red Star Kunlun. Le club a embauché une brochette de gagnants de la Coupe Stanley pour veiller au développement de ses joueurs. Notamment Mike Keenan, Alexei Kovalev, Slava Kozlov et Bobby Carpenter. Cette saison, le club est devenu un miroir de l’équipe nationale chinoise.

Alors, comment ça va ?

Mal.

Très mal.

L’équipe est dernière de la KHL. Les jeunes espoirs nés en Chine tardent à éclore. On l’avait vu venir. Au Championnat du monde, en 2019, les Chinois se sont fait battre par les Serbes, les Croates, les Australiens et les Espagnols. Ça prenait des renforts – et vite – en vue des Jeux de Pékin. Sinon, la Chine risquait de perdre ses matchs par 50 points.

La Chine s’est alors mise à recruter activement d’anciens joueurs de la Ligue nationale. Elle en a convaincu cinq : Brandon Yip, Jeremy Smith, Jake Chelios, Spencer Foo et Ryan Sproul. Elle a aussi recruté d’autres étrangers d’ascendance chinoise. Dans l’équipe olympique, on retrouve ainsi 11 citoyens canadiens, quatre Américains et un Russe. Ce sont eux qui forment le cœur de l’équipe chinoise, qui s’est inclinée 5-0, dimanche, devant le Canada.

Franchement, une chance qu’ils étaient là. Parce que les joueurs nés en Chine, eux, n’ont presque pas joué. Voire, pour certains d’entre eux, pas du tout.

Temps de jeu des joueurs nés en Chine

  • Zesen Zhang : 6 min 37 s
  • Wei Zhong : 5 min 30 s
  • Rudy Ying : 4 min 52 s
  • Juncheng Yan : 2 min 31 s
  • Ruinan Yan : 1 min 4 s
  • Zimeng Cheng : aucune seconde
  • Xudong Xiang : aucune seconde

« Notre gros problème, c’est notre manque de profondeur », a expliqué l’entraîneur-chef de la Chine, Ivano Zanetta. C’est pourquoi il a été contraint d’employer des attaquants 22, 23, 24, 25 minutes. La stratégie a fonctionné. La Chine a livré une belle opposition et évité l’humiliation.

« Je vais leur donner le crédit, ils se sont vraiment bien battus », a reconnu l’attaquant canadien Corban Knight. L’entraîneur-chef Claude Julien a lui aussi souligné la ténacité de ses adversaires. « Ils semblent s’améliorer [de match en match]. Ils n’ont pas abandonné. Ils travaillent fort. Ils ont eu leurs chances de marquer. Je trouve qu’ils ont bien joué. » L’équipe chinoise a même réussi à diriger 26 tirs vers le filet canadien. Mais soyons réalistes : une chance que les joueurs de la LNH n’étaient pas là. Contre Connor McDavid, Sidney Crosby et Jonathan Huberdeau, ç’aurait été un massacre épouvantable.

Sur une décennie, avec des investissements, un pays peut développer deux ou trois athlètes d’exception dans des disciplines qui exigent une routine. Pensez à des plongeurs, des gymnastes ou des haltérophiles. C’est d’ailleurs une des forces de la Chine. Selon une compilation du New York Times, les trois quarts des médailles d’or remportées par la Chine aux Jeux d’été depuis 1984 proviennent de six disciplines : le plongeon, la gymnastique, l’haltérophilie, le tir, le badminton et le tennis de table.

Ce qui est plus difficile, c’est de développer sur une courte période un grand nombre d’athlètes talentueux dans un même sport. La Chine peine à le faire. Pas juste au hockey. Dans tous les sports d’équipe, sauf le volleyball féminin.

Rang mondial des équipes chinoises

  • Volleyball féminin 3e
  • Basketball féminin 7e
  • Water-polo féminin 10e
  • Soccer féminin 19e
  • Hockey féminin 20e
  • Volleyball masculin 22e
  • Water-polo masculin 25e
  • Basketball masculin 29e
  • Hockey masculin 32e
  • Handball féminin 40e
  • Soccer masculin 75e
  • Handball masculin 78e

Pourtant, la Chine est le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4 milliard d’habitants. La masse critique est là. Le gouvernement investit beaucoup dans ses infrastructures, ainsi que dans le développement des athlètes.

Le problème ? La très grande majorité des parents retirent leurs enfants de la compétition sportive lors de l’entrée à l’école secondaire, m’a expliqué l’entraîneur québécois Henri Izard, qui a déjà enseigné le hockey aux Chinois. L’entonnoir devient alors si étroit que le bassin d’athlètes ne se remplit jamais.

Ça se reflète dans le nombre d’inscriptions. Il n’y a qu’un peu plus de 10 000 joueurs de hockey fédérés dans toute la Chine. Et moins de 1000 hockeyeurs au-dessus de 20 ans. Ce n’est presque rien.

Comment changer cela ?

« Nous avons besoin de programmes pour les jeunes, m’a répondu Ivano Zanetta. Les succès n’arriveront pas du jour au lendemain. Tu espères que des enfants et des partisans regardent des matchs comme celui de ce soir, et que tu réussisses à stimuler leur intérêt. »

En attendant d’avoir une masse critique de joueurs locaux, la Chine n’aura pas d’autre choix que de continuer de recourir à des joueurs étrangers, croit-il.

« Quand on commence, il faut trouver une balance [entre les étrangers et les locaux]. L’Allemagne est passée par cette étape. Je suis aussi passé par là avec le programme de l’Italie. Il faut être patient. Les joueurs ne peuvent pas tout apprendre d’un coach. Ils doivent être en contact avec de meilleurs joueurs. C’est comme ça que tu t’améliores. C’est la clé pour passer au niveau supérieur. »

Le Canada affrontera de nouveau la Chine, mardi à 8 h (heure de Montréal), dans un match éliminatoire. Le gagnant affrontera la Suède en quarts de finale le lendemain.