Il démoralise l’adversaire. Lui coupe les ailes. Lui scie les jambes.

Qui ça ?

Le but de fin de période. À écouter les joueurs, les entraîneurs et les analystes, les buts inscrits dans les dernières secondes avant un entracte valent le triple des points. Comme les cases rouges, au Scrabble.

« Les buts tardifs, ce sont des tueurs. Ils changent le momentum de la partie », a récemment expliqué l’attaquant Robert Thomas, des Blues de St. Louis. Une impression partagée par le défenseur du Canadien Jeff Petry, qui avait déclaré après une défaite en 2019 : « Ce but accordé en fin de période nous a fait très mal. Il a donné le momentum à l’équipe adverse. »

On s’entend, ce n’est jamais amusant de voir l’adversaire marquer. Mais, scientifiquement, est-ce vraiment pire d’encaisser un but dans la dernière minute d’une période, plutôt que cinq minutes plus tôt ?

Les chercheurs Henrich Greve (Insead), Nils Rudi (Yale), Marat Salkihov (Yale) et l’auteur à succès Jo Nesbø, dont un scénario sera bientôt adapté au cinéma par Denis Villeneuve, ont réfléchi à la question. Quatre chercheurs pour un sujet aussi frivole, c’est beaucoup, non ? Peut-être. Mais comme vous le constaterez dans trois minutes, les conclusions de l’étude dépassent le cadre sportif.

Le quatuor a donc étudié plus de 72 000 parties de soccer, disputées dans 27 des meilleures ligues d’Europe et d’Amérique. Vous allez me dire que le soccer et le hockey, ce n’est pas pareil. Eh bien, justement. Comme il y a moins de buts au soccer que dans les autres sports, s’il existe vraiment un impact psychologique après un but tardif, on va le savoir.

Les chercheurs ont isolé tous les matchs dans lesquels un but a été marqué entre la 44minute et la pause. Ils ont ensuite comparé les résultats avec ceux des autres parties. Puis ils ont déposé tout cela dans une grosse machine qui croque des chiffres.

Mium, mium.

Crounche, crounche.

Conclusion ?

Les joueurs, analystes et entraîneurs ont – à moitié – raison.

Oui, un but tardif vaut bel et bien plus qu’un but hâtif. Mais pas dans toutes les conditions. Seulement dans des situations très précises.

Lesquelles ?

Les chercheurs ont découpé les résultats selon les six pointages les plus fréquents à la pause de la mi-temps.

0-0 : Facile ; il n’y a pas eu de but. Donc aucun effet.

1-0 pour l’équipe locale : Si le but est marqué avant la 44minute, le club gagne 74,4 % des fois. Après ? 76,8 % des fois. Un petit écart ? Oui. Mais deux points de pourcentage, dans le sport, c’est significatif. Au baseball, par exemple, c’est la différence entre des frappeurs de ,280 et de ,300.

0-1 pour les visiteurs : Si le but est hâtif, l’équipe remporte 62,1 % de ses matchs. Si le but est tardif, les chances de gagner passent à 62,9 %. C’est plus serré.

2-1 et 1-2 : L’échantillon est trop petit pour que les chercheurs tirent des conclusions fiables.

1-1 : Le pointage préféré des auteurs. « Les équipes sont à égalité. La seule différence entre elles, c’est l’ordre et le moment des buts », soulignent-ils. Résultat : l’équipe qui marque le deuxième but, après la 44minute, a plus de chances de gagner que si elle avait égalisé plus tôt dans la partie. L’écart est d’environ 1,5 %.

Alors oui, « les buts marqués juste avant la demie sont spéciaux », notent les auteurs. Surtout si c’est l’équipe à domicile qui inscrit le but tardif. Ces résultats contredisent ceux d’une étude précédente, plus restreinte, qui se concentrait uniquement sur les pointages des parties de la Ligue des champions et de la Ligue Europa. C’est que dans ces deux ligues, le format est particulier. Dans certaines phases, c’est le total des buts de deux rencontres qui détermine le gagnant. Dans toutes les autres ligues étudiées par les chercheurs, les résultats étaient constants.

Voilà pour les chiffres. Promis, juré, il n’y en aura plus d’ici la fin de la chronique.

Maintenant, la grande question : pourquoi les buts tardifs valent-ils plus cher que les buts hâtifs ?

D’entrée de jeu, les chercheurs font une mise en garde : ils n’ont pas trouvé la réponse. Ce n’était pas le but de la recherche, précisent-ils, avant d’enchaîner avec une série d’hypothèses fascinantes.

« Tous les entraîneurs, joueurs et partisans que nous avons interrogés ont souligné l’effet psychologique, le gain de confiance et l’énergie positive d’un but tardif lors du retour au vestiaire. Même les personnes qui ne croyaient pas à l’effet spécial d’un but tardif nous l’ont dit ! L’énergie positive et le sentiment de récompense immédiate produisent-ils de meilleurs résultats que le sentiment inverse ? Si oui, pourquoi est-ce préférable d’avoir une pause immédiatement après la récompense [le but], plutôt que de continuer à jouer ? »

Ils donnent l’exemple d’un joueur de tennis qui joue rapidement, après un point, pour ne pas donner le temps à son adversaire de réfléchir à une contre-attaque.

« Peut-être que tous les buts donnent le boost de confiance évoqué par les experts. Un boost, par définition, c’est temporaire. Imaginez qu’il dure dix minutes. Ça voudrait dire que l’effet d’un but hâtif se serait dissipé au moment de la pause. Alors que le but tardif – si l’équipe parvient à “contenir” son boost pendant l’entracte – peut donner aux buteurs un avantage au début de la deuxième demie. »

Les chercheurs, qui sont spécialisés en économie, croient que les résultats de leur étude peuvent s’appliquer dans le sport, mais aussi dans d’autres industries où les gestionnaires doivent prendre des décisions rapidement.

« Vaut-il mieux, par exemple, récompenser les employés dans des postes décisionnels avec des vacances immédiates, plutôt qu’un boni financier ? Est-ce que ce serait plus bénéfique pour l’entreprise ? », suggèrent-ils.

Le raisonnement, c’est que, après un succès, une personne ressent à la fois un boost moral et de la « surconfiance », ce qui peut la pousser à sous-estimer les risques. Une pause permettrait de préserver le boost moral davantage que la « surconfiance ». « L’étude suggère qu’il est tactiquement intelligent […] de récompenser le succès par des pauses », concluent-ils.

Je suis tout à fait d’accord.

Dis, boss, je peux avoir congé, aujourd’hui ?