Quelle est la victoire la plus improbable de l’histoire des Jeux olympiques ? Sûrement celle du patineur de vitesse Steven Bradbury au 1000 m des Jeux de Salt Lake City, en 2002.

En quart de finale, l’Australien s’est retrouvé dans la même vague que Marc Gagnon et Apolo Anton Ohno. Deux légendes de son sport. Ses carottes étaient cuites – jusqu’à ce que Gagnon soit disqualifié.

En demi-finale, Bradbury savait qu’il n’était pas de taille. Son plan : rester en retrait, et espérer un carambolage devant lui. Ce qui arriva. Deux rivaux tombèrent. Un autre fut disqualifié.

En finale, dans le dernier tour de piste, Bradbury était largué. Loin derrière le quatuor de tête. Jusqu’au dernier virage, dans lequel tous ses adversaires chutèrent. Bradbury, seul patineur encore debout, gagna l’or.

Des héros improbables, comme Steven Bradbury, il risque d’y en avoir tout plein aux Jeux de Pékin.

Pourquoi ?

Parce que le variant Omicron menace de décimer de façon draconienne les listes de départ, comme il l’a fait avec les alignements dans la Ligue nationale de hockey. Depuis deux semaines, il y a eu au moins trois éclosions impliquant des athlètes canadiens. Une au sein de l’équipe féminine de hockey. Une parmi des patineurs de vitesse qui s’entraînaient à Québec, qui a incité la fédération nationale à annuler les essais olympiques. Et une autre, plus imposante, au sein de la formation nationale de bobsleigh, qui a affecté 14 personnes. À cela, il faut ajouter le désistement des joueurs de la LNH, aussi dû au virus.

Au moins, les athlètes infectés en décembre pourront participer aux Jeux. Les autres ? Ils sont pris dans un grand jeu de démineur, et ils doivent éviter de marcher sur une bombe.

Tous ceux qui contracteront le virus, à partir de maintenant, verront leurs chances de participer aux Jeux fondre comme un glacier en Antarctique.

Vous allez me dire que les Jeux, c’est encore loin. Il reste un mois avant les compétitions. C’est vrai. Sauf que les règles sanitaires des JO sont plus sévères que celles de la LNH. Et c’est pas mal plus difficile d’entrer en Chine que dans un aréna en Floride.

Des exemples ?

· Si un athlète est infecté dans les 30 jours précédant son départ pour les Jeux (donc maintenant), il est dans le pétrin. Il devra soumettre au gouvernement chinois deux tests PCR négatifs, au plus tard huit jours ouvrables avant son départ. Un gros contingent d’athlètes canadiens prendra l’avion le 26 janvier. Moins les huit jours ouvrables : autour du 17 janvier. Moins les deux jours nécessaires pour faire les tests : 15 janvier. Toute trace du virus devra donc disparaître avant la fin de la semaine prochaine.

· En complément, tous les athlètes – infectés ou non – devront présenter deux tests PCR négatifs réalisés dans les quatre jours ayant précédé le départ.

· À leur arrivée à Pékin, les athlètes devront passer avec succès un autre test PCR.

· Ce n’est pas fini : la routine sera répétée chaque jour, jusqu’à la fin de leur séjour. Si un athlète reçoit un diagnostic positif, il ne pourra pas reprendre la compétition avant de présenter deux résultats négatifs. Ça peut prendre de quelques jours à, dans de rares cas, quelques semaines.

« Ma principale préoccupation, c’est l’augmentation du nombre de cas parmi les athlètes », a indiqué le directeur exécutif des Jeux, Christophe Dubi, au média suisse RTS. « On n’aime évidemment pas en perdre à quelques semaines des JO, alors qu’ils en ont fait leur objectif depuis de longs mois. »

La solution facile, ce serait d’isoler tous les athlètes jusqu’à leur vol de départ. Malheureusement, c’est impossible. Les épreuves de qualification sont toujours en cours. Les meilleurs patineurs artistiques au pays seront ainsi réunis à Ottawa, la semaine prochaine, pour les championnats nationaux. Les fondeurs, eux, seront en Alberta pour les essais de la dernière chance. Des rassemblements qui ne sont pas sans risque. Souhaitons qu’ils s’en tirent mieux que leurs collègues du bobsleigh.

Les athlètes retenus s’envoleront ensuite vers Pékin, où là aussi, éviter Omicron sera un défi. C’est que le village olympique, c’est un peu comme une grosse auberge de jeunesse. Les athlètes s’y croisent dans les lobbys et les cafétérias. Aussi, ils vivent généralement en groupe. Aux Jeux de Tokyo, par exemple, Leylah Fernandez partageait son appartement avec quatre gymnastes et une cycliste.

Le calcul est simple.

Plus il y a de gens au même endroit, plus il y a de risques de contamination.

Plus il y a de risques de contamination, plus il y a de risques de forfaits. Comme on l’a vécu, récemment, au Championnat du monde de hockey junior, en Alberta.

À Tokyo, les éclosions majeures ont été évitées, entre autres grâce à des vaccins efficaces contre les variants du moment. C’est plus compliqué, aujourd’hui, avec Omicron.

Pourquoi ne pas reporter les Jeux d’un an ? Comme ce fut le cas à Tokyo ?

Vu de l’extérieur, ça semble être la solution la plus sensée. Sauf qu’à un mois de la cérémonie d’ouverture, cette idée n’a absolument aucune traction.

Au Japon, la population était fortement opposée à la présentation des Jeux, pour des motifs sanitaires. La veille des premières compétitions, les organisateurs évoquaient toujours l’annulation de l’évènement. En Chine ? Il n’y a pas d’opposition. Ou s’il y en a une, on ne l’entend pas.

À Tokyo, des commanditaires ont fait des pressions pour le report ou l’annulation des Jeux. À Pékin ? Rien de ça.

En 2020, des comités olympiques nationaux – celui du Canada en tête – ont fait pression pour reporter les Jeux d’un an. Nous sommes présentement loin de cette dynamique.

Après le retrait des joueurs de la LNH, le Comité olympique canadien a déclaré : « Il existe un bassin extraordinaire de talent au hockey canadien. Nous sommes emballés de nous rallier à notre équipe masculine. » Pas précisément un plaidoyer pour le report des Jeux. Aussi, contrairement à ce qui s’est produit au printemps 2020, les athlètes d’élite ne réclament rien.

Dans ce contexte, quel est le scénario le plus probable ?

Il y aura des Jeux. Mais attendez-vous à ce qu’ils soient parsemés d’obstacles et de surprises. Un peu à l’image du 1000 m des Jeux de Salt Lake City.

Que le dernier infecté gagne.