Il est l’homme qui ne craint pas la Chine.

L’homme pour qui les principes sont plus importants que l’argent.

L’homme qui a le courage de ses convictions.

Son nom : Steve Simon, président de la WTA, l’Association des joueuses de tennis professionnel.

La semaine dernière, Simon a annoncé que la WTA ne présentera aucun tournoi en Chine aussi longtemps que la lumière ne sera pas faite sur l’accusation d’agression sexuelle portée par Peng Shuai à l’encontre de Zhang Gaoli, un ancien vice-premier ministre chinois.

« En bonne conscience, je ne vois pas comment je peux demander à nos athlètes de jouer là-bas alors que Peng Shuai n’a pas la permission de communiquer librement et semble avoir subi des pressions pour démentir son allégation d’agression sexuelle », a déclaré Simon dans un communiqué.

Il a dit espérer que les leaders aux quatre coins du monde se battront afin que Peng Shuai obtienne justice, peu importe les « ramifications financières ».

PHOTO KIM HONG-JI, ARCHIVES REUTERS

Peng Shuai

Les dossiers délicats permettent aux véritables meneurs de se révéler. Avec aplomb et panache, Steve Simon s’impose comme un dirigeant sportif d’exception. Dans le sport professionnel, l’argent exerce une influence majeure dans presque toutes les décisions. Cette réalité rend ses mots d’autant plus exceptionnels.

L’affaire Peng Shuai a éclaté le 2 novembre dernier. Dans une publication sur un réseau social chinois, la joueuse de 35 ans a écrit que Zhang Gaoli, longtemps membre du Bureau politique du Parti communiste chinois, l’avait violée il y a trois ans. Le gouvernement a vite effacé le message de Peng Shuai et lancé une vaste opération de désinformation.

Une enquête publiée mercredi par The New York Times décrit le plan. D’une part, éliminer les références à l’affaire sur les réseaux sociaux et les sites web en Chine ; de l’autre, attaquer les critiques étrangères en utilisant des commentateurs contrôlés par l’État et de faux comptes Twitter.

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La position de la WTA est courageuse, puisque ses liens avec la Chine sont lucratifs. Un contrat de dix ans, signé en 2018, a accordé la présentation de la finale annuelle à la ville de Shenzhen, qui a bâti un amphithéâtre pour accueillir la compétition. Les bourses versées aux joueuses ont été doublées. D’autres tournois de la WTA sont aussi présentés dans ce pays, un vecteur majeur de croissance pour l’industrie du tennis.

Il est évidemment plus facile de suspendre des tournois de la WTA que des Jeux olympiques. Le contraste demeure toutefois saisissant entre la réaction de Simon à l’affaire Peng Shuai et celle du président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach. Celui-ci est interpellé par la situation, car Peng Shuai est une ancienne olympienne. De plus, les Jeux d’hiver seront présentés à Pékin en février prochain.

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Thomas Bach, président du Comité international olympique

Bach aurait pu montrer du cran et exiger des réponses concrètes de la Chine. L’accusation de Peng Shuai fait-elle l’objet d’une enquête ? Pourquoi son présumé agresseur, peu importe ses liens avec le Parti communiste, semble-t-il protégé de la sorte ? Pourquoi avoir orchestré une vaste opération de censure dans les réseaux sociaux chinois ? Pourquoi a-t-il été impossible de joindre Peng Shuai avant qu’elle diffuse une déclaration où, de manière très suspecte, elle a nié les faits évoqués dans son message initial ?

Bach s’est plutôt prêté à une mascarade gênante. Il a discuté avec Peng Shuai par l’entremise d’une visioconférence et assuré au monde entier qu’elle se portait bien. Tenez, il a même annoncé qu’il irait au resto avec elle durant son séjour à Pékin l’hiver prochain.

Dans ses communiqués sur le sujet, le CIO ne mentionne jamais le crime présumé. Le mouvement olympique – hélas ! – n’a même pas besoin de la Chine pour se censurer : il le fait lui-même.

Au fil des années, j’ai vu le CIO et ses hauts dirigeants composer avec des enjeux délicats comme la corruption dans l’attribution des Jeux de Salt Lake City en 2002 et le scandale russe de dopage aux Jeux de Sotchi en 2014. Leurs réponses à ces crises n’ont pas fait l’unanimité. Mais le CIO a quand même montré des dents et n’a pas versé dans l’à-plat-ventrisme.

Cette fois, sous le couvert de la « diplomatie tranquille », le CIO se drape dans une mollesse gênante et Thomas Bach ternit son héritage.

L’objectif de sa stratégie est clair : calmer le jeu et maintenir des relations correctes avec le gouvernement chinois dans l’espoir que les Jeux d’hiver se déroulent dans la sérénité. Pourquoi ? Parce que les Jeux sont une aventure si complexe que des liens conflictuels entre le CIO et le comité organisateur sont une recette pour le désastre. Bach veut évidemment éviter pareil scénario.

Mais Bach n’était pas obligé de se prêter à ce qui ressemble à une opération de camouflage du gouvernement chinois. Il aurait pu montrer son insatisfaction. Il aurait pu, comme Simon, établir ses limites.

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La mièvrerie de Bach a des conséquences.

Cette semaine, un média allemand lui a demandé si les athlètes du monde entier seront en sécurité à Pékin. L’enjeu « sécuritaire » est régulièrement évoqué avant les Jeux d’été ou d’hiver en raison de potentiels actes terroristes. Ce qui est inhabituel cette fois-ci, c’est que les craintes sont liées au gouvernement du pays organisateur.

Voilà donc le CIO obligé de rassurer les athlètes internationaux. Le site Inside The Games cite le directeur des Jeux olympiques au CIO, Christophe Dubi : « La sécurité des athlètes participant aux Jeux est garantie. »

Peu importe, une chape de plomb enveloppe déjà ces Jeux. En raison des multiples atteintes de la Chine aux droits de la personne – le génocide des Ouïghours au premier rang –, les États-Unis ont lancé un « boycottage diplomatique » des Jeux de Pékin, boycottage auquel se sont joints le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les athlètes de ces pays participeront aux compétitions, mais les dignitaires resteront à la maison.

Cela ne fera rien pour diminuer la colère du gouvernement chinois… et les tentatives malhabiles d’apaisement du CIO.