En cette belle journée du mois d’août dernier, Jacques Lemaire est en excellente forme. Il est assis à la terrasse d’un club de golf où Serge Savard tient un tournoi à l’intention des étudiants athlètes de l’Université de Sherbrooke. On y retrouve une partie du who’s who de l’histoire contemporaine du hockey au Québec, de Marcel Dionne à Stéphane Richer, de Ronald Corey à Marc Tardif, de Guy Lapointe à Alain Côté (oui, Alain, ton but était bon !). Sans compter Michel Bergeron, avec qui Lemaire a eu de joyeuses passes d’armes dans les années 1980.

Je n’ai pas vu Lemaire depuis plus de 20 ans, mais le passage du temps ne l’a guère changé : les mêmes yeux vifs, le même sourire espiègle, le même regard aiguisé auquel rien ne semble échapper.

En le saluant, une foule de souvenirs me viennent en tête. Comme ces discussions dans son petit bureau du Forum ou dans le coin d’un amphithéâtre loin de Montréal, durant la saison 1984-1985.

Pour le jeune reporter que j’étais alors, ces moments ont été d’une richesse inouïe. J’avais l’impression d’assister à un cours à l’université du hockey. Ses explications étaient limpides, ses exemples clairs et variés. Le plus impressionnant, c’était que lui-même ne cessait jamais d’apprendre. Il était à l’affût de tout.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE


Jacques Lemaire, en 2019


Aujourd’hui conseiller avec les Islanders de New York, Lemaire parle de hockey avec le même plaisir qu’autrefois. Ses propos me rappellent combien il était sensible à l’état d’esprit de ses joueurs quand il dirigeait une équipe de la LNH. Ce qu’il aimait le plus ? Leur enseigner des choses, véritable paradoxe dans la mesure où l’école n’était pas sa tasse de thé lorsqu’il était enfant. Il est pourtant devenu un pédagogue de haut niveau sur la patinoire.

Depuis le départ de Lemaire à l’été 1985, plusieurs entraîneurs ont dirigé le Canadien. Mais aucun de ceux-là ne m’a fait penser à lui. Jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à Dominique Ducharme.

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Comme Lemaire, Ducharme donne l’impression d’un pédagogue soucieux de bien encadrer ses étudiants. Il s’exprime d’un ton mesuré, toujours en pleine maîtrise de soi. Ce qui ne l’empêche pas d’être direct.

Ainsi, le mois dernier, quand il a confié à mes collègues Alexandre Pratt et Guillaume Lefrançois qu’il tolérait « l’erreur mais pas le désengagement », j’ai cru entendre Lemaire.

Vous me direz que tous les coachs pensent ainsi. C’est vrai. Mais ils ne tirent pas tous sur les mêmes ficelles pour atteindre leur but. Le style de Ducharme, par exemple, a peu en commun avec ceux de Pat Burns ou de Michel Therrien. À chacun sa recette. Ainsi, Jacques Demers, le dernier entraîneur à avoir conduit le CH à la conquête de la Coupe Stanley, misait sur l’attitude positive et la responsabilité des joueurs envers les fans. Cela lui a valu de magnifiques réussites.

Lemaire, lui, a choisi la pédagogie à une époque où l’approche militariste avait encore ses partisans dans la confrérie des entraîneurs.

Cela ne signifie pas que les décisions chez le Canadien se prenaient par consensus. Il n’y avait qu’un seul maître à bord et personne ne doutait de son identité.

Ducharme est taillé dans le même moule. Voyez ce qu’il disait à mes collègues dans la même entrevue : « Mes instructions, ce n’est pas une option. Ce n’est pas négociable. Sauf que je vais te dire pourquoi on fait ça. Tu vas constater les effets de chaque détail. Tu vas comprendre jusqu’où ça va nous amener. J’ai toujours eu cette approche-là. »

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Lemaire a dirigé le Canadien moins de deux saisons. C’est dommage, car il aurait sûrement obtenu d’autres succès après cette participation surprise à la demi-finale de la Coupe Stanley au printemps 1984. Pour les journalistes, il était haut en couleur. On l’oublie aujourd’hui, mais il répliquait coup pour coup aux pointes cinglantes de Michel Bergeron, alors coach des Nordiques et champion de cette discipline.

Aujourd’hui, les coachs sont prudents dans leurs propos publics. Mais la pression sur eux est tout aussi intense. Ducharme semble avoir la carapace pour composer avec cet aspect redoutable du boulot. Peut-être parce que son parcours n’a pas toujours été facile.

« De Joliette à Montréal, je n’ai pas pris l’autoroute, j’ai pris le chemin de campagne », a-t-il expliqué à Bernard Drainville sur les ondes du 98,5 FM, le mois dernier. Ce parcours sinueux, a-t-il ajouté, a fait de lui un meilleur entraîneur.

Ducharme, à n’en pas douter, s’est imposé à force de travail. Et aussi parce qu’il croyait en lui. Il y a 20 ans, qui aurait pensé que ce jeune passionné de hockey dirigerait un jour le Canadien ? C’est exceptionnel, quand on y pense.

Ducharme amorce sa première saison complète à la tête du CH. Récemment, dans une conversation informelle lors de son passage à RDS, il m’a assuré qu’il resterait le même homme, calme et les deux pieds bien ancrés au sol, même si son statut n’est plus le même au Québec. Au-delà de son sourire, ses yeux perçants ont renforcé son message.

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Le parcours ayant conduit Ducharme derrière le banc du Canadien n’a rien à voir avec celui de Lemaire, auteur de mille exploits sur la patinoire.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Lemaire et Guy Lafleur, en 1977

Lemaire s’est fait connaître des amateurs montréalais dès l’âge de 17 ans, dans la puissante Ligue métropolitaine. Au dernier match du calendrier « régulier », il a inscrit cinq buts et sept aides pour coiffer – à l’étonnement général – le championnat des pointeurs. Il a remporté la Coupe Stanley à ses deux premières saisons dans la LNH, en ajoutant six autres par la suite. En 1979, il a effectué cette passe magique à Guy Lafleur pour permettre au Canadien de renverser la vapeur dans le match décisif de sa série contre les Bruins de Boston. Et il a été élu au Temple de la renommée cinq ans après sa retraite.

Rien de tout cela pour Ducharme. Mais sur le plan de l’approche du métier d’entraîneur, avec cet accent prononcé sur la pédagogie, il me rappelle son illustre prédécesseur. Pour moi, impossible de lui rendre plus beau compliment.