Cette contre-attaque mordante, avec en prime son côté malicieux, illustre combien la rancune est parfois tenace dans le sport professionnel.

Non, les Hurricanes de la Caroline n’ont rien oublié de l’été 2019. Après une autre saison de misère, le Canadien avait soumis une offre hostile à leur jeune prodige Sebastian Aho dans l’espoir que la structure du contrat – avec son boni de 11,3 millions US payable sur-le-champ – les décourage d’égaler la proposition.

Le suspense n’a pas duré longtemps. Les Canes ont vite égalé l’offre, consolidant ainsi leur réputation. À l’époque, le propriétaire des Canes, Tom Dundon, n’avait manifestement pas aimé que son organisation soit perçue comme financièrement « vulnérable » par le CH. Il a sûrement demandé à sa garde rapprochée de garder l’œil ouvert et de foncer si une occasion d’égaler le score survenait.

Après une attente de deux ans, c’est maintenant fait. Jesperi Kotkaniemi a accepté l’offre des Canes, un contrat d’un an d’une valeur de 6,1 millions US, assorti d’un boni à la signature de… 20 $, clin d’œil sarcastique au numéro du chandail d’Aho.

Ce n’est pas tout : sur Twitter, les Canes, soucieux d’informer eux-mêmes les fans du CH, ont publié la nouvelle dans un français (quasi) impeccable. Leur déclaration officielle a repris presque mot pour mot celle du Canadien annonçant la signature d’Aho en juillet 2019. Et ils ont relayé l’article de NHL.com annonçant l’acceptation de cette offre hostile avec les lettres « LOL », qui signifient « morts de rire ».

Oui, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Il y a deux ans, égaler ou non l’offre soumise à Aho avait été une décision facile pour les Hurricanes, d’autant que les soi-disant savantes informations du CH sur leurs finances se sont révélées fausses.

Le cas Kotkaniemi est plus complexe, car on ignore toujours s’il deviendra un joueur de premier plan – Aho l’était déjà – ou un attaquant de troisième ou de quatrième trio. Le jeune Finlandais a brillé à l’occasion, mais il a aussi déçu.

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Si le CH égale l’offre des Canes – l’équipe a sept jours pour le faire –, Kotkaniemi deviendra l’attaquant le mieux payé de l’équipe en 2021-2022 après Brendan Gallagher. À sa face même, cela est absurde. Et si KK vaut cette somme, combien exigera Nick Suzuki lorsqu’il se retrouvera dans la même situation l’an prochain ?

En revanche, l’organisation peut-elle laisser ainsi filer le troisième choix au repêchage de 2018 ? Après tout, la profondeur ne caractérise pas la ligne de centre du Canadien. Il s’agirait en outre d’un terrible aveu d’échec face à tous les gens reprochant au CH de ne pas avoir choisi Brady Tkachuk, sélectionné tout de suite après par les Sénateurs d’Ottawa. Et d’un affront envers le recruteur en chef Trevor Timmins, si souvent vanté par Bergevin. Cela accréditerait l’idée qu’il a mal évalué KK.

Pour compenser la perte de Kotkaniemi, le CH recevrait des choix de premier et de troisième tours au prochain repêchage.

L’ennui, c’est que les Canes forment une excellente équipe. Résultat, leur choix de premier tour sera en fin de ronde, donc beaucoup moins intéressant.

Autre possibilité pour le CH : laisser partir KK et inclure ces deux choix dans une offre plus globale à une autre équipe pour obtenir un joueur d’impact.

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La tournure des évènements indispose sûrement Bergevin. Non seulement il doit composer avec un plafond salarial qui n’augmentera guère au cours des prochaines saisons, mais aussi j’ai toujours eu l’impression qu’il n’était pas entièrement à l’aise avec l’offre du CH à Aho en 2019.

En commentant la nouvelle ce jour-là, le DG n’a pas montré beaucoup d’entrain. Questionné sur les raisons l’ayant poussé à violer cette loi non écrite de la LNH – on ne dépose pas d’offres hostiles même si la convention collective le permet –, il avait déclaré : « Ceci démontre à nos fans qu’avec Geoff Molson comme propriétaire, nous voulons être une bonne équipe. »

Cette phrase illustrait que l’offre à Aho était aussi une manœuvre de relations publiques. Le CH, conscient que le buzz autour de l’équipe avait perdu en intensité, cherchait à convaincre ses fans qu’il mettrait tout en œuvre pour améliorer l’équipe. Après avoir disputé une seule série éliminatoire au cours des quatre années précédentes, la côte à remonter dans l’opinion publique était abrupte. L’offre hostile à Aho faisait partie du plan de relance. Que le pari soit remporté ou non, elle donnait l’image d’une organisation audacieuse.

Malgré tout, il était étonnant que Bergevin agisse ainsi. Il soigne ses liens avec les autres DG. Et contrevenir aux dogmes de la LNH n’est pas dans ses habitudes. On l’a vu dans les dossiers de la violence sur la patinoire ou des commotions cérébrales. Le CH n’occupe plus un rôle de leader dans ces enjeux chauds et controversés.

Or, cette offre hostile à Aho bousculait le cours normal des affaires. Aujourd’hui, le CH encaisse l’effet boomerang.

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Le Canadien égalera-t-il l’offre à Kotkaniemi ? Je pense que oui, même si cela perturbera à court terme sa structure salariale, compliquant ainsi la tâche de Bergevin.

Kotkaniemi est doué, cela ne fait aucun doute. Âgé d’à peine 21 ans, il peut devenir une vedette dans la LNH. Mais il a besoin de temps. L’organisation devra se montrer patiente avec lui. Comme le disait récemment Dominique Ducharme, l’expérience ne s’achète pas chez Walmart. Risquer que son talent émerge enfin en Caroline serait trop hasardeux.

Peu importe la suite des choses, KK est le grand gagnant dans cette affaire. À Montréal ou en Caroline, il empochera 6,1 millions US la saison prochaine, une somme très généreuse pour un joueur avec sa fiche. Sans oublier ce beau boni de 20 $ US (!), qui lui permettra de s’offrir une bonne bière pour célébrer son nouveau contrat.

Source des salaires : capfriendly.com