Ces Jeux sur fond de COVID-19, avec ses stades aux gradins vides, s’annonçaient d’une tristesse inouïe. La pandémie en a fait un cadeau empoisonné pour Tokyo. Ce qui devait être une immense fête pour les Japonais, avec ses multiples volets populaires, s’est transformé en show de télé le plus cher de l’histoire, au bas mot 20 milliards US. Comme catastrophe dans le merveilleux monde du sport spectacle, difficile d’imaginer pire.

Et pourtant…

Oui, et pourtant, ces Jeux nous ont offert des moments incroyables. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai balayé du doigt une larme en suivant nos athlètes, où je me suis émerveillé devant les performances de ceux et celles d’autres pays.

Comme tant d’autres Québécois et Québécoises, mon enthousiasme face à ces Jeux était mince le jour de la cérémonie d’ouverture. Je savais que la majorité des Japonais n’en voulaient plus, inquiets du risque sanitaire provoqué par l’arrivée massive de visiteurs. J’avais l’impression que le Comité international olympique (CIO) enfonçait ces Jeux dans la gorge du pays hôte, lui-même incapable de renoncer à son engagement pour des raisons de contrat et de prestige.

Mais au-delà de la politique olympique, souvent choquante, les Jeux de Tokyo ont été sauvés par les mêmes personnes qui ont sauvé d’autres Jeux controversés au fil des époques : les athlètes. Merveilleux athlètes, dont les performances nous éblouissent parce qu’elles mettent en relief des éléments inspirants de la vie : la quête du rêve suprême, le dépassement de soi et la passion.

On appelle ça la magie olympique. Elle dure deux semaines et nous frappe à coup sûr, peu importe l’arrogance du CIO, les histoires de dopage et les excès budgétaires.

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Durant la dernière quinzaine, j’ai dévoré les magnifiques reportages de mes collègues Yves Boisvert, Alexandre Pratt et Simon Drouin. Et le talent de notre photographe Bernard Brault m’a encore épaté.

Permettez-moi ici de rendre hommage à nos quatre envoyés spéciaux. J’ai couvert plusieurs fois les JO durant ma carrière et je sais l’incroyable somme de boulot que cela représente. On peut comparer l’exercice à un marathon. On ne voit pas le bout quand ça commence, on sait qu’on frappera un mur quelque part après une dizaine de jours, mais qu’il faudra continuer jusqu’au bout.

Bizarrement, couvrir les Jeux est la meilleure façon d’en rater une bonne partie. On suit une discipline chaque jour, ce qui nous prive d’une vue d’ensemble. Je me suis souvent fait raconter des moments forts des Jeux à mon retour à la maison.

« T’as vu notre sauteur en hauteur, il était formidable, non ?

– Non, je ne l’ai pas vu. Je sais qu’il a gagné une médaille, mais j’étais au soccer ce jour-là. »

Couvrir les Jeux est une expérience exaltante, mais exigeante. En temps de COVID-19, avec la quarantaine obligatoire à l’arrivée et les multiples contraintes liées aux déplacements, j’imagine que les moments de frustration ont été nombreux. Alors bravo à vous, Yves, Alex, Simon et Bernard ! Je suis sûr que je me joins à des milliers de lecteurs de La Presse+ pour vous donner un coup de chapeau.

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Il y a eu la médaille d’or de Maude Charron en haltérophilie, le cran de Penny Oleksiak à la piscine, les performances d’Andre De Grasse et de Damian Warner en athlétisme… Tout cela m’a fait vibrer. Mais mon plus beau moment olympique est le triomphe de l’équipe canadienne en soccer. Ces filles ont été extraordinaires. Leur victoire historique trouve ses racines dans la frustration des Jeux de 2012, à Londres.

Ce jour-là, j’étais dans le stade de Manchester United lorsque les Américaines, en raison d’une décision absurde de l’arbitre, ont potentiellement privé le Canada d’une victoire en demi-finale du tournoi olympique. Je me souviens encore de la colère et de la détresse de Christine Sinclair après le match. Ses mots étaient tombés comme des coups de couteau, la tournure des évènements la rendait furieuse. Surveillée du début à la fin du match par ses rivales, elle avait tout de même inscrit les trois buts des siens dans un revers de 4-3.

Sinclair espérait conjurer le sort quatre ans plus tard à Rio, mais ce ne fut pas le cas. Elle aura finalement attendu cinq autres années avant de réaliser son rêve.

À Tokyo, elle n’a pas été dominante comme à ses meilleures années. Mais son aura a transporté l’équipe. Sinclair est assurément une des plus grandes athlètes de l’histoire canadienne.

La volonté démontrée par cette équipe est franchement spectaculaire. Battre les États-Unis et la Suède pour mériter l’or est un réel exploit.

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Les Jeux sont maintenant terminés. Le président du CIO, Thomas Bach, est heureux d’avoir mené l’opération à bien malgré les incertitudes. Hélas, ces Jeux ne laisseront sans doute pas un joyeux héritage au Japon. Peu de résidants se seront bâti des souvenirs d’une vie en assistant à une compétition ou en participant à la fête dans les rues de la ville. C’est franchement désolant.

Mais pour beaucoup de pays dans le monde, dont le nôtre, ces Jeux ont représenté une accalmie dans cette pandémie qui n’en finit plus. Ils nous ont rappelé la beauté du sport et toute l’excitation qu’il provoque. Si le CIO nous déçoit souvent, il faut admettre que la modernisation des Jeux d’été, avec l’ajout d’épreuves palpitantes, est un succès.

Avec la belle médaille d’or de la sprinteuse Kelsey Mitchell en cyclisme sur piste tard samedi, ces Jeux nous auront tenu en haleine jusqu’au bout.

Alors merci aux athlètes, merci pour cette magie olympique.