(Tokyo) L’avion amorçait sa descente vers Tokyo. Nous nous préparions au pire. À être les témoins d’une version moderne des 10 plaies d’Égypte.

Tous les cataclysmes étaient annoncés. Des moussons. Un typhon. Des éclosions à la douzaine. De la chaleur extrême. Une pénurie de bénévoles. Des citoyens en colère. Un séisme. King Kong. Godzilla. Trois jours avant la cérémonie d’ouverture, l’hypothèse de l’annulation des Jeux circulait toujours.

Finalement, les Jeux ont eu lieu.

Et ils furent splendides.

Oui, c’est vrai, il y a eu des cas de COVID-19 : 29 athlètes et 25 représentants des médias, sur 52 000 visiteurs étrangers. Mais seulement trois hospitalisations. Une seule petite éclosion. Aucune épreuve reportée. Un tour de force, dans une mégapole où la contagion est en train d’exploser.

Il n’y a pas eu de séisme. Pas de typhon. Pas de grande manifestation anti-Jeux. Au contraire. J’ai souvent vu des dizaines de Japonais massés, le long des clôtures de sécurité, pour applaudir chaque autobus qui sortait des stades. King Kong ? Godzilla ? Un ours a bel et bien été aperçu près du complexe de softball. Il a causé autant de dommages que l’équipe italienne de softball.

Aucun.

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L’absence de spectateurs ? C’était triste. Surtout dans les sports marginaux, pour lesquels les Jeux olympiques sont la seule occasion d’évoluer devant des milliers d’amateurs.

Maintenant, souvenez-vous des mots d’Andy Warhol. « Une personne, c’est de la compagnie. Deux, une foule. Trois, un party. » Et bien, le party a levé malgré tout. Grâce aux coéquipiers des plongeurs, nageurs et rameurs qui, lorsqu’ils étaient en congé, venaient encourager leurs amis. Ils criaient fort. Ils accrochaient des drapeaux aux rampes. J’ai même entendu des Suédois chanter, pendant la finale de soccer féminin. Une ambiance intime, qui m’a rappelé celle des matchs de football ou de basketball dans les écoles secondaires du Québec.

Ce qui a pesé plus lourd, c’était l’absence des proches. Les parents, les chums, les blondes, les enfants, les amis des athlètes. C’est revenu dans tous les points de presse. Les compétiteurs auraient préféré les avoir à leurs côtés. Surtout après un cycle olympique de cinq ans (plutôt que quatre), marqué par 18 mois d’entraînement dans des conditions difficiles. Les poloïstes et les volleyeurs canadiens, par exemple, étaient sur la route depuis deux mois lorsqu’ils sont arrivés à Tokyo.

Puisque les athlètes n’avaient souvent personne à qui se confier immédiatement après une performance, sauf leur entraîneur, les points de presse sont devenus des exutoires. Les émotions étaient brutes. À fleur de peau. Les discours, sans filtre.

Cette transparence a permis aux amateurs de mieux comprendre la pression exercée sur les sportifs de haut niveau. Et aux athlètes, d’aborder des sujets autrefois tabous. Notamment, leur santé mentale. Tout le monde y gagne.

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Dans les stades, il y a eu des victoires. Des défaites. Des records. Des échecs. Des célébrations. Des déceptions. Comme dans toutes les éditions des Jeux depuis 1896, d’ailleurs.

Mais il y a eu, à Tokyo, un je-ne-sais-quoi de plus. Un élément intangible, qui la place dans la catégorie des Jeux inoubliables, avec ceux de Barcelone ou de Lillehammer. Quelque chose de familial, dans la façon dont les athlètes se sont épaulés, entraidés et ont collaboré pendant ces 15 jours.

Deux sauteurs en hauteur ont préféré se partager la médaille d’or plutôt que de s’affronter en barrage. Deux coureurs du 800 m sont tombés, se sont relevés, puis ont traversé la ligne d’arrivée ensemble. Les médaillés d’argent et de bronze au marathon se sont enlacés après la course.

Les nouvelles épreuves mixtes (judo, natation, athlétisme) ont permis aux hommes et aux femmes de faire partie d’une même formation. Les joueuses de soccer du Canada et de la Suède ont demandé conjointement le report de la finale en soirée pour éviter les coups de chaleur. Enfin, des centaines d’athlètes ont également apporté leur soutien à la gymnaste Simone Biles, qui a ouvertement parlé de ses problèmes de santé mentale.

Ces Jeux furent ceux de la fraternité.

Ces Jeux furent ceux de la solidarité.

Ces Jeux furent uniques.