(Tokyo) Sur le podium au bassin d’aviron, les rameuses du huit canadien rayonnaient. Certaines pleuraient de joie. D’autres se serraient dans leurs bras, ou tâtaient leur médaille. Comme pour se convaincre que ce n’était pas un rêve. Non. La médaille d’or était bien accrochée autour de leur cou. Brillante. Rutilante. Étincelante.

Belle.

Cette médaille d’or – inattendue –, c’est celle du courage. De la persévérance. De la résilience. Car ces jeunes femmes sont pour la plupart des battantes. Des athlètes qui ont surmonté de graves accidents, oui qui ont découvert l’aviron sur le tard, après une carrière trop courte dans une autre discipline.

PHOTO DARRON CUMMINGS, ASSOCIATED PRESS

Explosion de joie à la suite du triomphe des rameuses du huit canadien. Kristen Kit s’est fait jeter à l'eau par ses coéquipières.

Prenez Kasia Gruchalla-Wesierski. La Montréalaise d’origine, qui vit maintenant dans l’ouest du pays, a subi un grave accident de vélo lors d’un entraînement il y a six semaines.

Grave à quel point ?

« Les médecins m’ont dit que j’étais chanceuse d’être encore en vie. »

Elle ignore ce qui s’est produit exactement. Par contre, elle se souvient très bien des minutes qui ont suivi. « Je suis tombée. Je me suis cassé la clavicule. Il y avait du sang partout. Ce n’était vraiment pas beau à voir. » Une blessure importante. Surtout si près des Jeux olympiques. L’athlète de 30 ans n’a pas abandonné. Elle a insisté pour se faire opérer. Les médecins ont inséré huit vis et une plaque d’acier pour que tout reste en place. « D’habitude, les médecins ne mettent rien dans le corps, car la blessure guérit seule. Mais à cause des Jeux olympiques, on a pris la décision de procéder à une opération. Ça a super bien fonctionné. »

En effet. Avec Kasia à bord, dans le deuxième siège, l’embarcation canadienne a mené toute la course. Elle a franchi les deux kilomètres en moins de six minutes, tout juste devant les Néo-Zélandaises et les Chinoises. La dernière victoire des Canadiennes dans le huit de pointe remontait aux Jeux de Barcelone, en 1992.

***

Quand j’écrivais plus tôt que ces championnes étaient des battantes, ce n’était pas qu’une figure de style.

Je reviens à Kasia Gruchalla-Wesierski un instant. Parce que son parcours est franchement inspirant pour tous les jeunes athlètes qui se sont heurtés à un mur dans les derniers mois.

À 17 ans, Kasia était l’un des plus beaux espoirs du Canada en ski alpin. Elle venait d’amorcer sa carrière à l’étranger, avec quelques courses en Amérique du Nord sanctionnées par la Fédération internationale de ski. Sauf qu’une fracture à une jambe a mis fin à son parcours prématurément.

PHOTO LEE JIN-MAN, ASSOCIATED PRESS

Des visages exténués, mais heureux, côté canadien, au fil d’arrivée

Pendant ses années à l’université, elle a continué de rêver aux Jeux olympiques. Le problème ? Elle ne savait pas dans quel sport.

« J’avais toujours une flamme en moi. Je voulais participer aux Jeux olympiques », m’a-t-elle raconté dans un français impeccable. À 23 ans, une amie skieuse l’a invitée à essayer l’aviron. « C’est un sport que je ne connaissais pas du tout. À l’époque, je m’orientais plutôt vers le bobsleigh !

Quand j’ai commencé à faire de l’aviron, à Calgary, je n’étais même pas sur l’eau. Je ramais sur une machine. Mais dès le premier mois, j’ai su que c’était ce que je voulais faire. Que c’était ce qui allait me porter jusqu’aux Jeux olympiques.

Kasia Gruchalla-Wesierski

Sa persévérance a été récompensée. Sept ans plus tard, Kasia Gruchalla-Wesierski est maintenant championne olympique.

« Est-ce la plus belle journée de ta vie ?

— Oui ! Ça ne me semble pas réel [rires]. Je remercie toute ma famille au Québec. Le club d’aviron de Knowlton. Mes parents. Ma sœur Sofia. Et mon chum Kolton ! »

***

Lorsque Kasia parle de son équipe, elle la qualifie d’équipage « spécial ». Il s’agit en effet d’un groupe atypique, composé d’athlètes aux parcours divers, qui ont surmonté leur lot d’épreuves et de déceptions.

Sydney Payne est elle aussi un ancien espoir du ski. Elle s’est d’ailleurs classée parmi les 10 meilleures juniors au Championnat du monde en super-G.

Avalon Wasteneys, elle, excellait en ski de fond. Suffisamment pour monter sur le podium aux Championnats canadiens juniors. Comme Kasia, elle a découvert l’aviron sur le tard, à l’université.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Christine Roper et Andrea Proske se sont prises dans leurs bras à la suite de la victoire de l’équipe canadienne.

Christine Roper fut d’abord nageuse. Lorsqu’elle a quitté sa Jamaïque natale à l’adolescence, elle ne savait même pas ce qu’était l’aviron.

Susanne Grainger a surmonté des problèmes de glande thyroïde, qui l’épuisaient et nuisaient à son entraînement. Andrea Proske, elle, s’est fait renverser par un véhicule alors qu’elle roulait à vélo. Elle a subi les effets d’une commotion cérébrale pendant près d’un an, ce qui l’a empêchée de participer aux Jeux de Rio, en 2016.

Et dans tout ça, on n’a même pas encore évoqué la pandémie, qui a compliqué sérieusement l’entraînement du huit féminin.

« La dernière année a été difficile », a confirmé Lisa Roman, une ancienne patineuse artistique convertie à l’aviron. « La COVID nous a rendu la vie pénible. Il a d’abord fallu rester à la maison. Puis s’isoler du reste du monde. J’ai dû laisser mon mari à la maison pendant neuf semaines. C’était éreintant. Mais je pense qu’en fin de compte, cette épreuve nous a rapprochées. Et c’est ce qui nous a permis de remporter [la médaille d’or] aujourd’hui. »