Le Canadien a commis une erreur de jugement en repêchant Logan Mailloux. Et cela pour deux raisons fondamentales.

D’abord, la victime de son acte répréhensible a confié la semaine dernière au site The Athletic que le jeune homme n’avait « pas compris la gravité de son geste ». Ensuite, Mailloux a lui-même reconnu dans une déclaration diffusée avant le repêchage qu’il n’avait pas montré « suffisamment de maturité ou de caractère » pour mériter ce privilège.

Les deux personnes impliquées dans cette triste affaire en viennent donc à une conclusion semblable : Mailloux n’est pas prêt à faire son entrée dans la LNH. C’est clair, c’est limpide, c’est sans appel.

Mais voilà que Geoff Molson et Marc Bergevin entrent en scène. (J’inclus le président du Canadien, car cette décision controversée dépasse le cadre du hockey et touche l’image de marque de l’entreprise. Elle n’aurait pas été prise sans son accord.)

Investis des certitudes conférées par leur appartenance au boys club du hockey, Molson et Bergevin ont substitué leur propre jugement à celui des deux personnes mises en cause. Eux savent. Oui, ils savent que contrairement à ce qu’il pense, Mailloux mérite non seulement d’être repêché par une équipe de la LNH, mais par une des plus prestigieuses. Une équipe finaliste de la Coupe Stanley. Une équipe dont la réputation franchit le territoire de l’Amérique du Nord.

J’imagine sans peine la discussion qui a dû précéder la décision. Pas fous, Molson et Bergevin se doutent que cette sélection fera des vagues. Alors ils concoctent avec leur conseiller en relations publiques une « déclaration » qui sera lue par l’homme de l’heure à Montréal, ce directeur général qui, à la surprise générale, a conduit les siens à d’étonnants succès. À ce moment, ils n’envisagent sans doute pas que l’opération déraille. Dans leur esprit, les amateurs comprendront que Mailloux est un défenseur prometteur, ce qui, pour eux, transcende malheureusement tout le reste.

La « déclaration », truffée de phrases creuses comme « Nous prenons aujourd’hui l’engagement d’accompagner Logan dans son cheminement », ignore complètement l’existence de la victime. Le fait que cette jeune femme n’est pas convaincue de la sincérité de Mailloux n’a eu aucun impact sur la décision de Molson et Bergevin. L’important, nous disent-ils, c’est que la sortie publique du défenseur de 18 ans « représente à [leurs] yeux les premiers pas d’un cheminement personnel et d’une prise de conscience sincère ».

Molson et Bergevin ont sûrement été surpris que l’ouragan s’abatte ensuite sur eux avec pareille intensité. Parce qu’ils ne réalisent pas à quel point l’organisation montre souvent de l’arrogance.

On l’a vu par son mépris envers le talent québécois lors des repêchages des dernières années. On l’a vu dans la pointe que Molson a lancée à la mairesse Valérie Plante sur Twitter durant les séries éliminatoires, lui reprochant, allez savoir pourquoi, son « négativisme ». On l’a vu durant la conférence de presse où le CH a mis sur la sellette les autorités de santé publique du Québec dans l’espoir d’accueillir plus de partisans au Centre Bell. On l’a vu avec les déclarations de Dominique Ducharme qui avait une opinion bien arrêtée sur cette question, comme s’il était un expert des enjeux sanitaires.

Évidemment, le parcours remarquable du CH au cours des dernières semaines ne fait rien pour diminuer la confiance en soi de la direction du club. Nous en avons eu une nouvelle manifestation vendredi soir.

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De toutes les grandes institutions québécoises, le CH est sûrement la plus suivie par le public et les médias. Chacun de ses gestes est scruté à la loupe. Mais paradoxalement, cet intérêt semble à sens unique.

La sélection de Mailloux suscite en effet cette question : le CH a-t-il des antennes dans la société ? Si c’était le cas, Molson et Bergevin auraient compris, comme d’autres équipes de la LNH, qu’ils jouaient avec le feu en le choisissant.

À la radio de Radio-Canada samedi, la spécialiste des relations publiques Martine St-Victor a mis en lumière cette problématique : « Il faut être capable de prendre le pouls de la société dans laquelle on évolue. Et l’impression que le club donne, c’est qu’il est barricadé dans une tour où il a été absolument à l’abri des mouvements sociaux des dernières années. »

En clair, le CH semble déconnecté. Résultat, le ressac est venu de nombreux milieux, notamment de journalistes qui suivent les activités du CH et de la LNH. La ministre responsable du Loisir et du Sport du Québec, Isabelle Charest, a dit haut et fort sa surprise et sa déception, une prise de position courageuse et conforme à son engagement politique.

En une décision mal réfléchie, le CH a effacé une partie de l’énorme capital de sympathie qu’il s’est forgé durant les dernières séries éliminatoires. Le récupérer sera difficile. De nombreux partenaires du CH donneront sûrement un coup de fil à Molson au cours des prochains jours pour tenter de comprendre la logique de l’équipe dans ce dossier.

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Mailloux doit-il être banni de la LNH ? Pas du tout. Il mérite une deuxième chance. Mais au moment approprié. Notamment quand lui-même se sentira prêt, ce qui, de son propre aveu la semaine dernière, n’est pas encore le cas.

Le voilà plutôt auréolé du titre convoité de choix de premier tour du Canadien. Il est précipité sous les feux des projecteurs, dans un milieu où le hockey est roi. Trouver ses repères et développer sereinement sa maturité dans un environnement pareil sera un défi considérable.

Souhaitons à Mailloux de réussir et d’accomplir ses rêves. Mais souhaitons aussi à la victime de panser ses plaies et de retrouver la paix intérieure. Son propre avenir est tout aussi important que celui du jeune joueur.