Il y a 25 ans, au stade de Wembley, Gareth Southgate a raté un pénalty pendant la séance de tirs au but qui a scellé le sort de l’Angleterre en demi-finale. L’Allemagne, sa bête noire, allait remporter l’Euro 96, quelques jours plus tard, dans le même stade.

Dimanche, à sa première finale d’un tournoi majeur en 55 ans, l’équipe d’Angleterre, sous la gouverne du sélectionneur Gareth Southgate, a une fois de plus échoué à Wembley de la plus cruelle manière. Et c’est encore lui que l’on montrera du doigt, cette fois pour son conservatisme et ses décisions discutables.

L’Italie, séduisante, volontaire, engagée tout à l’attaque, est championne d’Europe pour la deuxième fois. Les supporteurs anglais, qui chantaient à tue-tête depuis la victoire de leur équipe face à l’Allemagne en quart de finale : « Football’s coming home, it’s coming home », auront surtout l’impression que la victoire leur a échappé. Et ils n’auront pas tort.

Après un départ canon, et un premier but du latéral Luke Shaw en sélection nationale à la deuxième minute de jeu – qui semblait donner raison à Southgate d’avoir aligné une défense à trois avec Kieran Trippier sur le flanc droit –, les Anglais ont cessé de jouer pour gagner. Ils ont joué pour ne pas perdre, sans construction de jeu, sans possession, sans imagination, sans passion.

De la 20e à la 110e minute, les Three Lions ont été dominés par une Squadra Azzurra à mille lieues des clichés sur le calcio et le catenaccio (le cadenas). Cette équipe italienne était tout sauf hermétique. Elle était soudée et cohérente comme un orchestre, mais tout aussi créative et inspirante. Sans superstars confirmées, elle était sur papier inférieure à l’équipe d’Angleterre, qui, comme l’a déclaré le défenseur Giorgio Chiellini (37 ans le mois prochain), aurait pu se rendre en finale avec son équipe B.

C’est justement ce qui risque de hanter longtemps Gareth Southgate. Il avait peut-être à sa disposition l’effectif le plus talentueux de ce tournoi après celui de la France. Aucune équipe ne pouvait s’enorgueillir d’autant d’attaquants de premier plan sur le banc. Et pourtant, Southgate s’est entêté, dès la phase de groupe, à peu faire tourner l’effectif pendant les matchs, comptant sur ses hommes de confiance au détriment des multiples substitutions à sa disposition.

Dimanche encore, il s’est obstiné à ne pas faire entrer plus tôt des joueurs frais, dispos et rapides, refusant de modifier son schéma tactique. Jadon Sancho et Marcus Rashford n’ont été envoyés sur le terrain qu’à la toute dernière minute de prolongation, afin de tirer à froid des pénaltys qu’ils ont tous les deux ratés. Tout comme Bukayo Saka, bouc émissaire d’une défaite historique, dont il devra subir les séquelles. Gareth Southgate, qui espérait dimanche conjurer le sort, en sait quelque chose. Mais pourquoi diable avoir confié à un joueur de 19 ans des responsabilités aussi lourdes de conséquences ?

On le sait : les championnats ne se gagnent pas en théorie. Si les Anglais étaient les plus forts « sur papier », la meilleure équipe – de la finale et du tournoi – l’a emporté dimanche.

Après avoir été sonné par le but de Shaw en début de match, le milieu de terrain italien a été intraitable, Verrati et Jorginho en particulier.

Roberto Mancini, contrairement à son homologue anglais, n’a pas tardé à faire les changements qui s’imposaient. Celui de remplacer son attaquant de pointe et vedette de la commedia dell’arte Ciro Immobile dès la 54e minute, notamment. Le vent avait déjà tourné. On le sentait de la Petite Italie. Ce n’était qu’une question de temps avant que les Azzurri égalisent. Et c’est avec confiance, et peut-être le meilleur gardien de but au monde, Gianluigi Donnarumma, 22 ans, 6 pi 5 po, que l’Italie a entamé la séance de tirs au but.

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Roberto Mancini, sélectionneur de l’équipe de l’Italie

C’était pourtant loin d’être gagné d’avance pour Mancini. Il y a trois ans, l’Italie ne s’était scandaleusement pas qualifiée pour la Coupe du monde russe. Une tragédie italienne. Malgré les deux petites défaites sous sa houlette en 38 matchs depuis, dont aucune pendant la qualification pour cet Euro, les mauvaises langues répétaient encore récemment que cette équipe n’avait toujours pas affronté une opposition digne de ce nom.

Le tour de force de Mancini, c’est justement d’avoir insufflé un esprit de corps à cette sélection italienne. Pendant cet Euro, il a fait appel à tous ses joueurs de champ qui, à l’évidence, jouaient les uns pour les autres et pas seulement pour eux-mêmes (contrairement à d’autres Bleus…). Aucune supervedette, je le répète, mais des joueurs comme Lorenzo Insigne, Leonardo Spinazzola ou encore Federico Chiesa – future star s’il en est – pour pimenter le jeu de dynamisme et de créativité au moment opportun. L’Italie sait gagner. Elle l’a fait si souvent. Dimanche encore.

Les Anglais, beautiful losers comme l’écrivait Leonard Cohen, à commencer par Gareth Southgate, devront se libérer de leurs fantômes et de leurs complexes s’ils espèrent ajouter un grand titre à leur sacre mondial de 1966 et « ramener le football à la maison » (où il a été inventé).

Certains diront que l’histoire s’est répétée et que la guigne s’est acharnée sur l’Angleterre. Tétanisée par l’enjeu, assise sur une mince avance d’un but, laissant l’Italie contrôler le jeu, elle a plutôt été l’artisane de son malheur. Cette jeune équipe pourra se consoler en se disant que ce n’est peut-être pas de mauvais augure pour la Coupe du monde de 2022, au Qatar. La France, après tout, a bien perdu l’Euro chez elle en 2016, avant de remporter le Mondial deux ans plus tard.