La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Sophie*, la cinquantaine.

Ça se dit, vouloir vivre une expérience avec un expert en la matière ? Ça se dit, oser payer et ainsi se sentir légitimé de demander, et recevoir, précisément ce qu’on désire ? Sophie le vit. Et comme elle n’a personne à qui le raconter, voici son récit.

Notre interlocutrice, la cinquantaine énergique, est mariée depuis plus de 30 ans. « Je n’ai peut-être pas fonctionné comme toutes les autres filles », confie-t-elle d’emblée, attablée dans un coquet café, sans y aller par quatre chemins. « J’ai commencé à ressentir très tôt des signes sensuels. »

Les caresses pour s’endormir, se frotter au parc dans les structures, elle se revoit encore trouver ça « agréable », raconte-t-elle tout bas, comme tout le reste de son histoire, plus ou moins inracontable, pour toutes les raisons qu’on sait, à commencer par le secret.

« Ça m’a amenée, en grandissant, à vouloir expérimenter », enchaîne celle qui n’a jamais vraiment cessé depuis, devine-t-on. Elle commence par embrasser un garçon (« la première fois, j’ai trouvé ça dégoûtant ! »), puis « toucher, me laisser toucher, tout ça… »

Dès l’âge de 12 ans, « je voyais l’effet que ça faisait aux garçons, et l’effet que ça me faisait. Oh, mon Dieu, c’est puissant ! », réalise-t-elle.

Elle se fait des amoureux, par-ci, par-là, et poursuit ainsi : « Je te fais ça, tu me fais ça. » Fellation, cunnilingus, tout y passe. « J’aimais beaucoup ça ! »

Sa première relation sexuelle, c’est à 14 ou à 15 ans que ça se passe. « Je voulais me débarrasser de ça. » Elle veut quelqu’un d’« expérimenté », tombe sur un type un peu plus âgé dans un bar (« j’avais des fausses cartes ! »), aime ses épaules et, en fille déterminée qu’elle est, le choisit. « Je ne sais même pas s’il sait qu’il avait une vierge dans ses mains… »

J’avais déjà tellement expérimenté d’autres choses que je n’ai pas trouvé ça extraordinaire.

Sophie, la cinquantaine

Et puis ? « Ça a ouvert la porte », dit Sophie, qui a ensuite multiplié les aventures. Les années suivantes sont fastes : entre 15 et 20 ans, elle se retrouve au lit avec une bonne trentaine d’hommes. Pas de quoi se formaliser, poursuit-elle : « Je sais que je n’ai pas l’air de ça […], mais pour moi, c’est un moyen de communication. L’homme a des désirs et quand il tombe sur une fille qui a des besoins, c’est normal. » Normal, certes, mais pas toujours « satisfaisant », précise-t-elle. « Les beaux gars », même si c’est eux qui l’attirent immanquablement, ne font pas forcément les meilleurs coups, avance-t-elle. « Ils n’ont pas à donner beaucoup d’efforts au lit, ça ne fait pas les meilleurs amants. » Les plus adroits, alors, c’est qui ? « Ceux qui ont eu des blondes de longue durée ! », répond-elle sans hésiter. Pour cause : « eux, ils ont appris… »

Sophie finit justement par rencontrer quelqu’un de plus âgé, qui en a visiblement vu d’autres, dans un bar, au tournant de la vingtaine. C’est lui qui deviendra son mari, le père de ses enfants, en plus d’être un amant hors pair. « Incroyable ! Lui, le cunnilingus […] impeccable ! […] Je n’avais rien à lui montrer », rayonne-t-elle.

« On passe plusieurs années merveilleuses », poursuit-elle. Ils font l’amour plusieurs fois par jour, puis, avec les enfants, les montagnes russes – « tu cherches le temps », mais la chimie se poursuit, quoiqu’évidemment moins souvent. « C’est normal, dit-elle. À un moment donné, tu as d’autres priorités, tu as des carrières, aussi. […] Mais c’est un bon pourvoyeur, un bon amant. Ça a toujours été bon. » Monsieur a « beaucoup de besoins », elle visiblement aussi, bref, ça clique.

D’ailleurs, non, elle n’est jamais allée voir ailleurs. « Peut-être que j’ai frenché dans un party de bureau, glisse-t-elle, mais sinon, j’ai toujours été très fidèle, lui aussi. »

Tout va donc pour le mieux jusqu’à ce que monsieur tombe malade. Gravement. Tout dernièrement. Et là, pour toutes sortes de raisons, tout change. « Mon tempérament d’infirmière est ressorti, analyse-t-elle, je prends soin et l’autre devient un patient. […] Tu ne veux pas qu’il meure ! […] J’ai eu peur. Vraiment peur… » Et tout cela, sait-elle, « ça coupe la libido… » Des deux côtés, faut-il le préciser. À preuve : elle a trouvé des traces de rouge à lèvres incriminantes, à un endroit plus que douteux, disons, sans équivoque.

« Ça, ça m’a fait mal. »

Sophie ne s’épanche pas sur sa douleur. On comprend qu’ils en ont parlé, elle a même consulté, et plus ou moins surmonté. « Je pense qu’on est ensemble jusqu’à la fin des temps. » Mais, il y a un mais.

Lui, il a voulu tester sa masculinité, peut-être que moi, je devrais tester aussi ?

Sophie, la cinquantaine

C’est ainsi qu’assez récemment, et pour trouver une histoire « sans lendemain » (« je ne veux pas entretenir une relation ! ») et surtout avoir une « satisfaction garantie », Sophie a fait « ses recherches ». Celles-ci l’ont menée directement sur le site d’un homme, assez joli merci (« je voulais un idéal physique ! »), offrant des services d’« escorte », carrément. Pourquoi pas, s’est dit Sophie. « Un : ça va être bon. Deux : consensuel, et je n’aurai pas à performer ni à donner ! »

Bien sûr, la toute première fois, Sophie se pose toutes sortes de questions. Mais c’est un professionnel et tout se déroule au final comme un charme, c’est le moins qu’on puisse dire. « Très tendre, chuchote-t-elle en gloussant, évidemment c’est quelqu’un qui a le tour. […] Il est très patient. […] C’est long, une heure, quand tu fais juste recevoir. […] Vraiment, les cunnilingus, s’émerveille-t-elle, ça ne se dit même pas ! »

Elle l’a vu à plusieurs reprises, à raison d’une fois par mois. Et non, l’illégalité de l’affaire ne lui fait pas un pli. « On s’entend que ce n’est pas un petit gars, dit-elle, il fait ça par choix. » Elle ne peut surtout plus s’en passer. « Ah mon Dieu, ça m’apporte de l’assurance, certainement de la plénitude, je me sens comblée ! […] Et plus patiente ensuite dans mon couple ! »

Même plus épanouie avec son mari, croit-elle. Comme si l’aventure avait quelque chose de « thérapeutique ». « Je pense que je suis plus dedans. Et mon mari est très heureux que ce soit revenu. Je suis dans le moment présent. […] Ça a développé ça ! »

Chaque fois qu’elle va le voir, Sophie se dit tout de même que ce sera la dernière. « Oh mon Dieu, mais comment veux-tu que j’arrête ça ? »

« Pensez-y, conclut-elle : 30 ans avec la même personne ! Je ne sais pas les couples qui durent, comment ils font. Mais j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’histoires comme ça derrière la porte… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat