Et si nous bougions pour le simple plaisir, plutôt que pour accumuler des statistiques, nous vanter de nos sorties sur Strava ou perdre du poids ? C’est l’invitation que lance Chloé Rochette, fondatrice de l’entreprise Le Mouvement HappyFitness et coanimatrice de l’émission balado L’état du jeu, dans le livre Tout le monde aime danser, un plaidoyer pour libérer le mouvement de toute pression.

Vous avez fait du sport de façon encadrée, compétitive même. Vous êtes entourée d’athlètes : votre sœur et votre mari sont cyclistes professionnels. Que s’est-il passé pour que vous remettiez en question votre relation au mouvement ?

J’ai été vraiment privilégiée. Toute mon enfance, j’ai eu la chance de faire plein de sports différents qui étaient encadrés, bien que non compétitifs. Ça m’a amenée à développer un amour sain et une relation plus pérenne avec le mouvement. Quand je suis arrivée à l’adolescence, j’ai eu accès au sport un peu plus compétitif, de niveau élite. Pour moi, ç’a été assez malsain parce que je suis une personne très perfectionniste. Le sport est devenu une source d’anxiété et d’épuisement.

Au fil des années, mes questionnements sont venus du fait que j’ai fréquenté de près des athlètes professionnels et, plus tard, des centaines de femmes qui avaient des relations différentes avec le sport, certaines vraiment négatives, d’autres neutres ou positives, puis je me suis mise à me questionner sur notre rapport collectif au mouvement.

PHOTO VESA MOILANEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

On peut juste courir pour bouger. Il n’est pas nécessaire d’en faire une compétition !

La performance, les mesures, l’encadrement, la compétition peuvent néanmoins convenir à certaines personnes, non ?

Je ne veux pas tomber dans l’absolutisme. Il n’y a rien de mal aux données et aux statistiques, il n’y a rien de mal à vouloir performer, même progresser dans un sport. Pour plein de personnes, ça peut être sain, mais ça peut devenir malsain à d’autres moments dans leur vie. On se fait un peu lancer le message que c’est « performance ou rien », « mesure ou rien », « statistique ou rien ». Je veux amener la nuance qu’il y a beaucoup de façons de bouger qui sont super plaisantes tout en étant loin de la performance.

Ce rapport au sport devient tordu quand même assez tôt dans notre vie. Dès le plus jeune âge, le plaisir du jeu dont vous parlez s’estompe progressivement pour faire place à la spécialisation et à la performance.

Malheureusement, oui.

Je crois qu’on commence de plus en plus à réaliser que ça peut être nocif d’introduire cette tendance à la performance si jeune. Dans les cours d’éducation physique, de noter quelque chose d’aussi essentiel que le mouvement physique, ça n’a aucun sens.

Ça fait que les gens, dès un très jeune âge, sont capables de se dire ou se font dire qu’il y a deux catégories : bon en sport ou pas bon en sport. Et à partir de ce moment-là, les gens qui ont été catégorisés, malheureusement, comme « pas bons en sport », et je mets ça entre gros guillemets, vont peut-être se dire pour le restant de leur vie : « Le mouvement, ce n’est pas pour moi. » Et c’est une tragédie selon moi.

En Norvège, il est interdit de faire des compétitions sportives pour les jeunes de moins de 12 ans. Ils pratiquent plein de sports, mais il n’y a pas de tableaux de résultats, de points. C’est vraiment plus apparenté au jeu. On le voit dans les performances sportives et dans la pratique pendant la vie adulte que ça a un effet super positif.

Comment peut-on faire pour se réapproprier le mouvement, pour revenir aux bases et le pratiquer pour le plaisir ?

On a affaire à un conditionnement de longue date. On sent qu’on a besoin de ressources externes pour nous guider. Je ne condamne pas les kinésiologues et les entraîneurs, on en a besoin, mais je pense que les gens ont besoin de réapprendre une certaine autonomie dans leur mouvement. Pour ça, il y a beaucoup de choses qu’il faut laisser aller, notamment le lien hyper étroit créé entre l’exercice et la perte de poids.

La première étape, c’est de prendre conscience de toutes les contraintes externes et de se dire : « Je ne suis pas obligée d’aimer la course à pied, même si tout le monde le dit. » Après ça, c’est d’expérimenter.

J’aime l’idée que le mouvement soit une occasion pour les adultes, avec des vies super occupées et orientées vers la performance, de jouer une fois de temps en temps. Je suggère de délibérément enlever les résultats et les mesures, de se dire : « Je vais aller courir sans montre », même si c’est très inconfortable au début. Et peut-être même d’essayer de nouveaux sports en sachant qu’on va être débutant, d’être ouvert à rire de ça.

En dehors de vos activités professionnelles, à quoi ressemble votre façon de bouger ?

Ça a beaucoup changé au fil du temps. Dans la dernière année et demie, je suis devenue mère. Après avoir accouché, j’ai fait une petite rééducation pour essayer de recommencer à courir. J’ai commencé à écrire mon livre, je travaillais à temps plein, je ne pouvais pas aller courir avec une montre, ça me mettait trop de pression. C’est nouveau pour moi et c’était inconfortable au début. En ce moment, mon mouvement est très libre et pas structuré. C’est ce qui fonctionne dans ma vie et qui me fait du bien. Je pense qu’éventuellement, je vais peut-être vouloir me mettre un objectif, voire faire un demi-marathon. Probablement que si je m’étais imposé de continuer à m’entraîner de façon intense et très structurée dans la dernière année, j’aurais sûrement fait un burnout ou je me serais épuisée d’une façon ou d’une autre.

Tout le monde aime danser

Tout le monde aime danser

Québec Amérique

192 pages